La Marche pour l’égalité et contre le racisme, 40 ans après

La Marche pour l’égalité et contre le racisme, 40 ans après
Mémoire
  • Du 15 octobre au 3 décembre 1983, des fils et filles d’immigrés lançaient la première Marche pour l’égalité et contre le racisme, de Marseille jusqu’à Paris.
  • 40 ans plus tard, l'Observatoire des discriminations et de l'égalité en Seine-Saint-Denis a organisé le 19 octobre une journée hommage.
  • Retour sur cette Marche avec les témoignages de certains acteurs et actrices de l'époque.

« Sur le moment, ça faisait chaud au cœur. Tant de personnes réunies pour dire non au racisme. A ce moment-là, on se sent soulagés, rassurés, on se dit que le meilleur est devant nous. » La voix de Mimouna Hadjam vibre dans le petit local de l’association Africa, dans la cité des 4000 de La Courneuve. 40 ans après, cette militante du féminisme et de l’antiracisme garde encore un souvenir ému de la première Marche pour l’égalité et contre le racisme, et de sa dernière étape, une manifestation de 100 000 personnes, à laquelle elle avait participé le 3 décembre, dans les rues de Paris. L’objectif : revendiquer la place des fils et filles d’immigrés dans la société française.

Historique, cette marche pacifique puise ses origines dans le refus des crimes racistes et sécuritaires qui émaillent alors le pays. « Le contexte de cette marche, c’est la violence contre les jeunes hommes arabes, une quarantaine de morts violentes entre 1980 et 83. Ça, et la montée du Front national qui commence à remporter ses premières élections », rappelle Naïma Yahi, historienne à l’université Côte d’Azur et co-autrice d’un documentaire sur la marche.

40 crimes racistes en 3 ans

Aux Minguettes, dans la banlieue de Lyon, Toumi Djaïdja est blessé grièvement par un policier en juin 1983 comme tant d’autres jeunes d’origine maghrébine avant lui. Pour dire son ras-le-front (national), le jeune homme organise alors avec un prêtre, Christian Delorme, une marche pacifique, sur le modèle de Gandhi ou Martin Luther King. Partis de Marseille le 15 octobre à une trentaine environ, le cortège grossit au fil des étapes et de sa médiatisation.

Le 2 décembre 1983, un collectif d’habitants du Franc Moisin et des 4000 de la Courneuve organisait un premier rassemblement devant la mairie de Saint-Denis avant de rejoindre le lendemain les 100 000 manifestants de la Marche pour l’égalité et contre le racisme en plein Paris.

En Seine-Saint-Denis aussi, on est réceptif au message porté par les marcheurs. A la Courneuve, les 4000 sont encore sous le choc, en juillet 1983, du meurtre raciste de Toufik Ouanès, 9 ans, tué par balle par un voisin sous prétexte que l’enfant jetait des pétards.

« On avait créé des collectifs de justice comme ça se faisait beaucoup, pour réclamer des condamnations pour les auteurs de crimes racistes », se souvient Mimouna Hadjam. Le 2 décembre, la militante de 22 ans s’apprête à accueillir les marcheurs dans un local à La Courneuve. Après la dégradation des lieux – là encore pour des motifs racistes – le collectif doit toutefois changer ses plans et héberger la vingtaine de marcheurs au Franc Moisin à Saint-Denis, chez une autre militante, Adjera Lakehal.

« On était pas mal de filles dans le mouvement. A la marche du 3 décembre, je dirais même que c’est la première fois qu’autant de filles d’immigrés descendaient dans la rue pour revendiquer leur existence et leurs droits. Mais médiatiquement, d’un commun accord, on se mettait moins en avant que les garçons parce que les premières victimes des crimes racistes de l’époque, c’étaient quand même de jeunes hommes », se remémore Mimouna Hadjam qui, quelques années plus tard, fondera Africa, association féministe et antiraciste à La Courneuve.

« Rengainez, on arrive »

Le 3 décembre, une foule énorme envahit les rues entre Bastille et Montparnasse à l’appel des marcheurs et des organisations anti-racistes comme le Mrap ou la Cimade. « Rengainez, on arrive », « Justice pour nos morts », peut-on lire sur les pancartes. Une délégation des marcheurs est reçue à l’Elysée par Mitterrand, qui instituera la carte de séjour de 10 ans, mais n’accordera finalement pas le droit de vote aux étrangers.

40 ans plus tard, les récentes violences policières et les scores élevés du Rassemblement national peuvent donner l’impression que rien n’a changé. Mais ce n’est pas l’analyse de Mimouna Hadjam : « Evidemment, le bilan est contrasté, mais il est quand même positif. Politiquement, la carte de séjour de 10 ans, les condamnations de crimes racistes qui ont enfin commencé à être prononcées comme dans le cas du meurtre de Habib Grimzi sont des acquis importants. Surtout, cette marche a installé cette idée définitive que le retour des immigrés était un mythe et qu’on ne rentrerait pas dans le pays de nos parents. Elle a donné une visibilité à toute cette génération dite de « seconde génération ». L’historienne Naïma Yahi voit encore un autre héritage qui découle de tout cela : l’interculturalité qui va naître de cette reconnaissance médiatique. « N’en déplaise à certains esprits chagrins, la France est multiculturelle, ce qui se reflète aussi dans ses productions culturelles dont beaucoup sont le fruit d’immigrés ou d’enfants d’immigrés ». Douce France, cher pays de mon enfance, chantait Rachid Taha.

Christophe Lehousse

Photos: Pierre Trovel – Mémoires d’Humanité / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis

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