Rino Della Negra, footballeur et résistant, honoré aux côtés des Manouchian

Rino Della Negra, footballeur et résistant, honoré aux côtés des Manouchian
Mémoire
  • Le couple Missak et Mélinée Manouchian, à la tête d'un réseau de résistance lors de la Seconde Guerre mondiale, a fait son entrée au Panthéon mercredi 21 février.
  • Mais à travers eux, ce sont les 22 autres membres du groupe Manouchian qui sont honorés, dont Rino Della Negra, joueur au Red Star de 1942 à 1943 et fusillé aux côtés de Missak Manouchian le 21 février 1944.
  • Pour l'occasion, nous republions ici un article sur la mémoire de Rino Della Negra, paru dans le magazine de mai-juin 2014.

« Envoie l’adieu et le bonjour à tout le Red Star ». Ce sont les derniers mots de Rino Della Negra dans une lettre à son petit frère. Un clin d’oeil poignant à l’une des passions de sa vie – le football – juste avant la mort. Quelques heures plus tard, le 21 février 1944, le membre du groupe de résistance Manouchian est en effet fusillé par la Gestapo au Mont-Valérien aux côtés de ses 21 frères d’armes (une femme, Olga Bancic sera elle guillotinée en mai 44). Et si le footballeur n’apparaît pas sur la tristement célèbre Affiche rouge exposant 10 portraits des membres du réseau, il n’en aura pas moins payé le prix fort.

A Saint-Ouen, le Red Star et son entourage ont petit à petit exhumé la mémoire de cet homme hors du commun. En 2004, un collectif de supporters s’est aperçu de son passé de joueur du Red Star et depuis, une plaque commémore le souvenir du jeune héros non loin de l’entrée du stade.

Rino Della Negra dans l’équipe d’Argenteuil, au centre en bas (avec le ballon).

Vincent Chutet-Mézence, l’actuel président du collectif Red Star Bauer, a lui choisi de perpétuer cette tradition en organisant chaque année une journée hommage à la figure de ce résistant footballeur.

« Ce qui nous touche, nous supporters du Red Star, ce sont les valeurs humanistes et anti-fascistes de Rino, témoigne Vincent Chutet-Mézence. A 19 ans, passer dans la résistance alors qu’on a un avenir tout tracé dans le football, c’est un courage qui force le respect. Et puis, il y a un devoir de mémoire qui est d’autant plus important que la dernière génération qui a connu cette époque est en train de s’éteindre ».

Pourtant, le rapide ailier droit n’aura passé que quelques mois au Red Star et n’aura jamais évolué en équipe première. Qu’importe : même si le lien est ténu, il existe et se voit renforcé par ces valeurs humanistes et populaires que le club de Saint-Ouen a toujours voulu porter.

La trajectoire de Rino Della Negra est en effet un bel hymne au cosmopolitisme et à la France républicaine. Né à Vimy dans le Pas-de-Calais en 1923, cet enfant de parents vénitiens, chassés d’Italie par la montée du fascisme, débarque d’abord à Argenteuil à l’âge de trois ans. Son enfance est rythmée par les accents chantants du quartier de Mazagran, à fort peuplement italien, et déjà par les coups de pied dans un ballon : le jeune Rino joue notamment à la Jeunesse sportive argenteuillaise.

A l’âge de 19 ans, ses bonnes performances et l’obligation pour des clubs exsangues de recruter local lui valent de rejoindre le Red Star, tout juste auréolé de sa cinquième (et dernière) Coupe de France.

Le jeune ailier au regard couleur charbon côtoie alors des grands noms : Fred Aston, Jules Darui ou encore Léon Foenkinos (voir encadré).

Mais l’aventure sera de courte durée. Dès 1942, se refusant à faire le service du travail obligatoire, Rino rentre clandestinement dans les FTP-MOI, les Francs tireurs et partisans-Main d’oeuvre immigrée, fédérés autour de l’Arménien Missak Manouchian.

Lorsqu’il n’est pas sur les terrains de foot, l’ailier tire désormais à balles réelles : il participe notamment à l’assassinat du général allemand Von Apt, à la destruction du siège du parti fasciste italien et à l’attaque de la caserne Guynemer à Rueil. Dans toutes ces opérations, il a notamment pour fidèle alliée Inès Sacchetti-Tonsi, encore en vie. « J’étais son estafette, j’étais chargée de lui fournir armes et munitions », explique la vieille dame. Jusqu’à ce 12 novembre 1943, où Rino est blessé et fait prisonnier au cours de l’attaque d’un convoi de fonds allemand qui tourne mal. La suite est malheureusement connue.

Lors de la journée-hommage organisée cette année, Vincent Chutet-Mézence et son collectif ont demandé à ce que la tribune latérale d’où ils encouragent chaque week-end le Red Star soit officiellement renommée « Rino Della Negra ». Pour que les ailiers d’aujourd’hui qui débordent le long de la ligne de touche dans les pas de Rino se souviennent de lui (désormais détruite dans le cadre du projet du nouveau stade Bauer, cette tribune doit être reconstruite en gardant ce nom de Della Negra, ndlr).

Rino vu par ses coéquipiers

La mémoire de Rino Della Negra subsiste non seulement grâce aux journées organisées par le collectif Red Star Bauer, mais aussi grâce à des écrits. Certains partenaires du footballeur résistant ont ainsi témoigné après-guerre. Le capitaine de l’époque, Léon Foenkinos, arrivé au Red Star en 1942 (décédé en juillet 2014, ndlr), s’est confié dans un entretien à l’historien de Saint-Ouen Claude Dewaele : « J’aimais ce gosse-là, un Italien qui défendait la France. Je ne savais pas qu’il était dans la Résistance, je ne l’ai su qu’en 1944, lorsqu’il a été fusillé. »

Et dans le journal « Le Réveil » du 25 octobre 1947, les « joueurs de 1943 » rendaient hommage de cette manière à leur ex-coéquipier : sans la guerre, « il eût été sans doute une étoile du ballon rond, car sa classe était indéniable. Il formait avec Gomez l’aile droite remarquable du Red Star audonien. Joueur intelligent et d’une finesse digne de Ben Barek, il était l’espoir audonien ». Souvenirs émus en vert et blanc.

Christophe Lehousse

A lire

– Red Star, histoires d’un siècle, de François de Montvalon, Frédéric Lombard et Joël Simon (1999)

– L’Affiche rouge – 21 février 1944, de Benoît Rayski, (Denoël, 2009)

– L’espoir en contrebande, Didier Daeninckx (Folio Gallimard, 2014)

– Rino Della Negra, footballeur et partisan, par Dimitri Manessis et Jean Vigreux (Libertalia, 2022)

Les autres résistants de Bauer

Ce sont des noms qui ornent certaines rues, mais dont on ne sait pas toujours à qui ils renvoient : hormis Rino Della Negra, Jacques Mairesse, Eugene Maës, Maurice Thédié sont d’autres footballeurs passés un moment donné par le Red Star et morts pour libérer la France durant la Seconde Guerre Mondiale. Le stade du Red Star emprunte lui aussi son nom à un ancien résistant : le docteur Jean-Claude Bauer, arrêté en mars 1942 à Saint-Ouen pour ses prises de position anti-nazis et fusillé au Mont-Valérien le 23 mai 1942.

Tous les commentaires1

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *