La résistante Jacqueline Tamanini à l’honneur

La résistante Jacqueline Tamanini à l’honneur
Hommage
  • Le 18 avril, la Maison du Parc « Jean Moulin-Les Guilands » à Montreuil-Bagnolet a été baptisée du nom de cette résistante communiste montreuilloise, revenue du camp de Ravensbrück où elle avait été déportée pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • Le Département poursuit ainsi sa politique de féminisation des noms dans l’espace public.

« Une vie d’engagements » Ce sont les mots choisis par Sabine Pesier, petite-fille de Jacqueline Tamanini pour parler de sa grand-mère.

Très touchée par la décision du Département de renommer la Maison du Parc des Guilands, cette professeure d’histoire-géo au collège Solveig-Anspach de Montreuil- « pas vraiment un hasard » – se souvient des convictions très fortes de sa grand-mère mais aussi de la difficulté qu’elle avait à revenir sur son passé de résistante et de déportée.

« Autant, elle parlait volontiers de ses engagements après-guerre, la cause des femmes, les mouvements de décolonisation, autant ça lui coûtait de revenir sur son passé. La première fois que je l’ai entendue le faire, c’était devant une de mes classes, aux alentours de 2005-2006. », se remémore celle qui était présente, avec son oncle Olivier, le 18 avril, au moment de la cérémonie de renommage.

Jacqueline Fleury-Tamanini (au centre) à l’UJFF

Le parcours de cette figure montreuilloise, décédée en 2019 à l’âge de 98 ans, force le respect. Née à Paris en 1921, Jacqueline va connaître Montreuil dès ses 5 ans où la famille Fleury – son nom de jeune fille – emménage. Père menuisier, mère lingère : dans ce milieu ouvrier, qui cultive le souvenir de La Commune, l’engagement de la jeune Jacqueline à l’Union des Jeunes Filles de France (UJFF) dès 1937, puis au Parti communiste un an plus tard, est presque naturel. Dans la maison familiale, Rue de la Fontaine des Hanots, on a dû entonner plus d’une fois L’Internationale ou fredonner Le Temps des Cerises.

Sous l’Occupation, cette couturière de formation rentre très rapidement dans la Résistance comme agente de liaison, puis se voit chargée de structurer les réseaux de la banlieue Est. C’est aussi au cours de ces activités clandestines qu’elle rencontre son futur mari, Otello Tamanini, surnommé « Daniel » dans la Résistance. Le jeune Italien antifasciste et la militante communiste ont un terrain d’entente tout trouvé. « Mais après l’arrestation de leur père en septembre 1942, Jacqueline et son frère André sont incités à transférer leur activité en Loire inférieure, du côté du Croisic », explique Thomas Fontaine, historien et directeur du Musée National de la Résistance.

Section spéciale

Le 6 août 1943, Jacqueline, son frère André et Daniel sont arrêtés par la gendarmerie française alors qu’ils cherchent à fabriquer de faux papiers. Détenue à Vitré puis à Nantes, Jacqueline sera jugée et condamnée à deux ans de prison par la section spéciale de la cour d’appel de Rennes. « Ces sections spéciales françaises, qui sont le sujet d’un film de Costa-Gavras, condamnaient dans des procès fantoches des Juifs ou des communistes, « livrés » en quelque sorte à la soif de revanche des occupants allemands », précise encore Thomas Fontaine.

Le 17 mai 1944, alors que Jacqueline Fleury purge sa peine à Rennes, elle est livrée aux Allemands qui, sur les dents avec l’avancée des Alliés, sont déterminés à vider les prisons des éléments communistes. Le 30 mai de cette même année, après un passage par le sinistre fort de Romainville, la militante de 23 ans est donc déportée vers Ravensbrück, l’un des plus grands camps de concentration dédié aux femmes sur le sol allemand.

Carte d’immatriculation de Jacqueline Fleury-Tamanini au camp de concentration de Ravensbrück

Là, après un terrible processus de déshumanisation – elle portera notamment le matricule 42176 – Jacqueline est mise au travail au sein du kommando Hasag, du nom d’un conglomérat fabriquant des armes devant contribuer à l’effort de guerre nazi. Même là, avec ses camarades affaiblies, la Montreuilloise pense encore au sabotage. « À l’usine, nous nous efforcions de ralentir la production au maximum, nous fabriquions des pièces destinées à des armes de guerre, très certainement des obus. », écrit-elle après guerre dans un témoignage collecté par la revue le Serment. Enfin, après avoir subi les marches de la mort entre Leipzig et Dresde, dans lesquelles les avaient entraînées les nazis, Jacqueline Tamanini est libérée en avril 1945 par les Soviétiques.

Des engagements multiples

Jacqueline Tamanini avec à sa gauche la résistante Adrienne Maire et à sa droite Gilberte Duclos, militante communiste, dans les locaux de La Voix de l’Est.

Après guerre, alors qu’elle a retrouvé Daniel, revenu pour sa part de Buchenwald, et son frère André, rescapé d’Auschwitz-Birkenau et de Dora, son engagement ne faiblit pas. L’inusable militante reprend ses activités au sein de l’UJFF, renommée ensuite Femmes Solidaires, et devient conseillère municipale de Montreuil de 1958 à 1971. Fine plume, elle sera aussi rédactrice dans La Voix de L’Est, publication du parti communiste.

Les guerres de décolonisation, le mouvement de libération des femmes : cette force tranquille sera de tous les combats. En 1962, elle est notamment à la fameuse manifestation du métro Charonne contre l’OAS et pour la paix en Algérie, manifestation qui se soldera par la mort de 9 militants communistes. Tout en veillant aussi à transmettre la mémoire difficile de la déportation.

« Ce n’était sans doute pas l’exercice qu’elle appréciait le plus, mais elle considérait qu’elle devait le faire. Elle a commencé à témoigner après la mort de mon grand-père, Daniel, qui s’exprimait beaucoup plus volontiers sur le sujet, lui qui était notamment directeur du Musée de l’Histoire Vivante de Montreuil  », souligne Sabine Pesier, habituée à passer, petite, avec sa sœur, de beaux mercredis montreuillois chez ses grands-parents.

« Elle est de celles dont on dit qu’elles sont de grandes dames. Toujours là, dans les luttes pour un monde plus juste, dans l’adversité de la vie qui l’a conduite à vivre le deuil de ses deux filles. », écrivaient les élèves de Sabine Pesier à l’occasion d’une biographie qu’elles avaient rédigé pour le Concours national de la Résistance. Jacqueline Tamanini peut reposer tranquille : elle a transmis le flambeau à une partie de la jeunesse.

Christophe Lehousse

©Musée de l’Histoire vivante de Montreuil/archives de la famille

Tous les commentaires2

  • Anne Jollet

    Merci pour ce rappel d’une vie d’engagement courageux au service de la justice sociale, du bien vivre ensemble. La constance est une belle chose. Bravo à Sabine de poursuivre ce travail de transmission et aux forces politiques qui font vivre ce passé de lutte contre les idées et politiques haineuses et mortifères de l’extrême droite. Lecture ….https://journals.openedition.org/chrhc/18159 Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, L’extrême droite , de la marginalité au pouvoir ?

    • Christophe Lehousse

      Merci à vous pour ces mots justes.

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