Kerysha, made in 93 et finaliste de « Rappeuses en liberté »

Kerysha, made in 93 et finaliste de « Rappeuses en liberté »
Tremplin
  • Kerysha fait partie des huit finalistes de « Rappeuses en liberté », un dispositif qui vise à accompagner et à mettre en lumière les talents féminins de la scène rap.
  • La jeune femme, la seule parmi les candidates à être originaire de Seine-Saint-Denis, tentera le 15 octobre, devant un jury et un parterre de professionnels, de devenir une des trois lauréates.
  • En attendant, elle nous a accordés un entretien exclusif, entre deux répétitions.

Kerysha compte parmi les huit finalistes de « Rappeuses en liberté », un concours qui, depuis sa création en 2021, s’est imposé comme un tremplin incontournable pour les rappeuses aspirantes. Casquette vissée sur la tête, lunettes de soleil dont elle ne se sépare quasiment jamais, la jeune femme de 27 ans nous a donné rendez-vous dans un bar à Pantin, une ville où elle s’est installée il y a deux ans. Pas fan des interviews mais très attachée à la Seine-Saint-Denis, son département de toujours, elle a quand même accepté de se livrer sans concession.

  • Le concours

« »Rappeuses en liberté », j’en ai entendu parler sur les réseaux sociaux. J’avais déjà candidaté il y a quelques années mais je n’avais pas été sélectionnée. À l’époque, il avait fallu que je me fasse violence pour tenter l’aventure car, si j’aime chanter, je n’aime pas trop la lumière, j’ai tendance à faire les choses dans mon coin, à rester dans ma bulle. Mais j’ai fini par comprendre qu’une opportunité comme celle-ci ne se représenterait peut-être plus jamais. Cette fameuse année, j’ai loupé « Rappeuses en liberté » mais j’ai été retenue pour participer au dispositif « Lab93 » [pendant local, ou antichambre, de « Rappeuses en liberté », le « Lab93, soutenu par le Département,  est un incubateur pour rappeuses originaires de Seine-Saint-Denis. Il donne, lui aussi, l’opportunité à de jeunes talents de rencontrer des professionnels de la scène rap et de se produire en concert, ndlr.]. Bien plus qu’un lot de consolation, ce projet m’a permis de croire en mes chances et m’a remplie de confiance. »

  •  Le rap

« Aussi surprenant que cela puisse paraître, j’ai découvert le rap relativement tard, il y a environ six ans. Je suis d’ailleurs loin d’être une spécialiste, il y a plein de standards que je ne connais même pas… Je suis davantage sensible au zouk, à la R’n’B ou à la musique africaine. Quand je suis sous la douche, je chante mais je ne rappe pas. Ce qui me plaît dans le rap, c’est avant tout l’écriture.»

  • Ses textes

« Je parle de mes histoires d’amour, du quotidien et de mon arrivée fracassante dans l’univers du rap, un milieu qui ne me correspondait pas au départ mais que j’ai appris à aimer. Je règle aussi quelques comptes, rappelant mes déconvenues professionnelles, comme par exemple la signature d’un contrat bidon avec un producteur véreux. Dans mes textes, je m’exprime souvent à la troisième personne, pas par prétention mais pour prendre mes distances avec le personnage de Kerysha, qui est en quelque sorte mon double artistique.»

  • Son style

« Je produis un rap énergique, que certains pourraient qualifier de masculin, ce que j’assume complètement. Mon personnage, sur scène, reprend les codes vestimentaires des garçons car je veux que les gens se focalisent uniquement sur ce que j’ai à dire – ce qui ne serait pas le cas si je m’affichais en mini-jupe… Et si je suis autant dans ma bulle, c’est aussi pour ne pas subir l’influence des autres rappeurs et rappeuses. Pour ne pas tomber dans des effets de mode. Trop regarder ce que font les autres, c’est prendre le risque de les imiter, de les recopier. Pour proposer une musique authentique et sincère, il faut avoir l’esprit libre, être soi-même.»

  •  Son enfance

« J’ai grandi dans le quartier du Londeau, à Noisy-le-Sec. Avec ma sœur et mes deux frères, nous avons été élevés par ma mère. Avant la musique, j’étais passionnée de basket. Je jouais dans le club local où j’avais un bon niveau. J’ambitionnais même de devenir professionnelle mais la marche était trop haute. J’ai quitté le cocon familial à 21 ans et je me suis installée à Aubervilliers. Depuis deux ans, j’habite à Pantin, pas très loin du canal. C’est une ville que j’adore et que je connais très bien. Ados, mes amis et moi voulions danser mais nous n’avions aucune salle. Nous nous sommes alors retranchés sur un parking sous-terrain, à proximité du métro Église de Pantin. On dansait des après-midis entières… jusqu’à l’arrivée des agents de surveillance qui nous délogeaient (sourire).»

  •  Sa profession

« Quand je n’écris pas, je suis factrice dans un bureau de poste, à Bobigny. En neuf ans de métier, j’ai écumé pas mal de bureaux en Seine-Saint-Denis. À défaut d’être incollable, on peut dire que je connais très bien le département (rire). Comme je commence le matin très tôt, l’après-midi, je peux me consacrer à mes projets artistiques. Actuellement, à l’approche de la finale du concours, je répète tous les jours avec des coaches scéniques et vocaux mis à ma disposition par la production.»

  •  Sa vision du monde du rap en tant que femme

« S’il y a du mieux depuis quelques années, les femmes ne sont effectivement pas logées à la même enseigne que les hommes. Le milieu du rap est sexiste, c’est un fait. Et les femmes, dans cet univers, sont encore sous-représentées. Je me prends souvent des réflexions mais j’essaie de ne pas y prêter attention. Les combattre représente un vrai challenge. Mais, à l’instar du foot féminin qui bénéficie aujourd’hui d’une plus grande médiatisation, on avance. Pas au même rythme que les garçons, certes, mais on avance quand même. Beaucoup de rappeuses n’osent pas sortir du bois, donc heureusement qu’il existe des tremplins comme « Rappeuses en liberté » et le « Lab93 ». Dans ce monde dominé par les hommes, j’ai aussi la chance d’avoir le soutien de Fababy [après avoir connu le succès, ce rappeur originaire de Noisy-le-Grand a récemment été nommé directeur artistique de Sony Music Afrique, ndlr], que je considère comme mon mentor.»

  •  Ses attentes

« J’espère, grâce à ce concours, prendre mon envol, que je fasse partie des trois lauréates ou pas. Le plus important, c’est d’être visible, de marquer les esprits. Alors, je travaille. Beaucoup. Ces dernières semaines, j’ai fait énormément de rencontres, je suis en train de me créer un nouveau réseau. J’ai aussi appris à sortir de ma zone de confort, à changer de registre, je tente des choses nouvelles.»

Propos recueillis par Grégoire Remund

Photos: ©stefslpe

« Rappeuses en liberté », un concept aussi novateur que prometteur

Né en 2021, ce dispositif est porté par Aymeric Pichevin, professeur des universités associé en Sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 8, à Saint-Denis, et patron de la société Rafe Productions, créatrice de programmes et d’événements à destination de la jeunesse. « ‘’Rappeuses en liberté’’ est un concours qui donne un coup de pouce à des femmes pour percer dans le rap, le genre musical le plus écouté en France mais le moins féminisé et où les relents sexistes sont légion, explique son concepteur. Les candidates viennent de France, des pays francophones de l’Union européenne et, nouveauté cette année, du Portugal ainsi que des Balkans. »

Pour cette 5e édition, l’appel à candidatures a été lancé en juin et la sélection des huit finalistes a été annoncée en juillet. De la fin août jusqu’à la finale, le 15 octobre, ces dernières répètent quasiment tous les jours sous les conseils et la prise en charge de professionnels. À l’issue de la finale qui se déroulera à l’occasion du MaMa Music & Convention, un festival de musique indépendant qui met en avant des artistes en devenir, les trois lauréates auront droit, notamment, à une résidence scénique suivi d’un concert, à une session d’enregistrement en studio, à des rendez-vous exclusifs avec des professionnels du rap et, privilège, assureront la première partie du concert de Médine (parrain cette année de « Rappeuses en liberté ») au Zénith de Paris en décembre prochain.

G.R.

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