Thomas Cailley : « Nous avons beaucoup à apprendre de la jeunesse »

Thomas Cailley : « Nous avons beaucoup à apprendre de la jeunesse »
Cinéma
  • Après "Les Combattants", César du meilleur premier film en 2015, le cinéaste montreuillois Thomas Cailley revient dans les salles obscures avec "Le Règne animal" (le 4 octobre).
  • Dans cette ambitieuse fable fantastique, certains humains sont atteints d’un mal étrange qui les fait se transformer peu à peu en animaux.
  • Alors que son dernier opus sera présenté en avant-première le 29 septembre à l’occasion du 11e festival du film de Montreuil (au cinéma Le Méliès du 27 septembre au 3 octobre), le réalisateur nous a accordé une interview exclusive.

Avant de partir sur les routes – en France et à l’étranger – faire la promotion de son dernier opus, Le Règne animal (présenté au dernier festival de Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, il sort en salles le 4 octobre), Thomas Cailley nous a donné rendez-vous au cinéma Le Méliès, chez lui, à Montreuil. Un lieu qu’il fréquente assidûment (« J’y vais au moins une fois par semaine », jure-t-il) et où sera présentée en avant-première (le 29 septembre) sa nouvelle œuvre, qui sera en compétition lors de la 11e édition du festival du film de Montreuil (27 septembre-3 octobre). Jean, baskets, lunettes de soleil, verve impeccable, le cinéaste se montre détendu et disponible, lui qui, pourtant, se sait attendu au tournant après avoir connu un immense succès avec son premier film, Les Combattants.

Pourquoi avoir attendu neuf ans avant de réaliser votre second long-métrage ?

Il faut savoir qu’à la sortie d’un film, il y a un travail d’accompagnement (présentation, promotion) qui prend du temps, a fortiori quand l’œuvre en question connaît le succès – ce qui fut le cas des Combattants que j’ai promené un peu partout pendant un an et demi. Une fois le projet digéré, je me suis lancé dans l’écriture de deux scénarios, l’un pour un long-métrage, l’autre pour une série sur laquelle j’ai plus vite avancé et qui a fini par l’emporter car j’avais envie de m’essayer à ce format, nouveau pour moi. Ad Vitam (mini-série de six épisodes) a été diffusée sur Arte en 2018 mais aura nécessité trois ans de préparation. J’ai commencé à travailler sur Le Règne animal en 2019, qui entre le scénario, la recherche de financements, le tournage et la post-production m’a pris quatre ans.

Comment ce film a-t-il vu le jour ?

Les Combattants est un film empreint de réalisme qui glisse progressivement dans un univers fantastique avec des personnages convaincus que la fin du monde est imminente. Je tenais à reproduire ce schéma, qui nous emmène de la réalité à la fiction, du naturalisme au fantastique, et cela s’est fait par le plus grand des hasards. En 2019, j’ai été sollicité par mon ancienne école de cinéma, la Fémis [École nationale supérieure des métiers de l’image et du son] pour faire partie d’un jury devant se prononcer sur les scénarios réalisés par les élèves de dernière année. En les lisant, l’un d’eux, celui écrit par Pauline Munier, a fait écho en moi. Elle y évoquait des humains dotés de traits animaux. Une idée qui était au carrefour de toutes mes envies d’écriture, à la fois basée sur le fantastique et totalement ancrée dans notre époque. J’ai tout de suite proposé à Pauline qu’on écrive ensemble. Après avoir posé quelques pistes de réflexion – la question de la différence, notre rapport à l’autre, la transmission (quel monde je lègue à mes enfants ?) mais aussi la relation qu’on entretient avec notre environnement, les animaux notamment -, nous nous sommes concentrés sur un monde dans lequel l’homme, pour une raison qui dépasse le cadre de l’entendement, devient animal.

Dans le film, les personnages emploient des termes comme « couvre-feu » ou « protocole ». L’histoire a-t-elle été influencée en partie par la pandémie de Covid-19 ?

Au départ non, car nous avons commencé à travailler sur le scénario avant le début de la crise sanitaire. Mais celle-ci ayant éclaté peu de temps après, et comme il est question d’épidémie dans le film, elle nous a forcément influencés sur certaines expressions, sur cette société qui fait tout pour vivre comme avant, alors que plus rien n’est pareil.

En France, il est rare pour un cinéaste, a fortiori quand celui-ci évolue dans la catégorie cinéma d’auteur, de recourir au genre fantastique et aux effets spéciaux. Vous, vous n’avez pas eu peur, pourquoi ?

Il s’agit d’un choix inconscient. J’y suis venu naturellement parce que le sujet du film l’exigeait. Je n’ai ni cherché à reproduire un cinéma qui m’aurait marqué étant enfant pour rendre hommage à un cinéma de genre, ni voulu plaquer les recettes du cinéma asiatique ou américain sur un scénario français. En revanche, c’est vrai que l’imaginaire et les monstres en particulier m’ont toujours passionné. La nouveauté pour moi dans ce projet a été de me familiariser avec la technique et à tous ces corps de métiers différents (dessinateurs, sculpteurs, storyboarders, maquilleurs, animatroniciens…). Entre un film d’auteur classique et un film riche en effets spéciaux, la différence tient à la durée de la préparation. Pour Le Règne animal, il m’a fallu un an et demi alors qu’habituellement, j’ai besoin de quatre mois tout au plus. Ce fut un challenge aussi stressant qu’excitant.

Le Règne animal est un film fantastique ancré dans la réalité, qui se veut loin de toute science-fiction ou dystopie. Pourquoi ce parti-pris ?

Dans le film, les créatures amènent à un dérèglement, à une anomalie qui fait dysfonctionner le réel. Ce qui débouche sur des scènes d’action, de comédie, de drame, d’émotion et génère des perturbations dans un monde qu’on pense comprendre et maîtriser. Situer l’histoire dans un monde fictionnel et futuriste aurait affaibli le propos, l’aurait rendue moins crédible. Je ne voulais pas explorer le territoire du conte ou créer un univers dystopique. On assiste au contraire à la revitalisation d’un monde endormi qui se met à devenir plus bruyant, plus coloré, plus vivant.

Dans « Les Combattants », vous exploriez déjà l’animalité des êtres humains dans une forêt hostile. La vie sauvage vous fascine ?

Le Règne animal est en quelque sorte un prolongement des Combattants. Après avoir traité de la quête d’un retour à un monde primitif, j’ai eu envie de flouter la frontière théorique – inventée par l’homme – qui existe entre l’homme et l’animal et voir ce que cela pouvait donner quand la vie sauvage se manifesterait. A l’instar de l’animal, l’homme a besoin de nature, besoin de renouer avec un monde non anthropisé.

« Le tournage a failli tourner au fiasco »

On sent dans vos œuvres une volonté de célébrer une jeunesse éprise de liberté, en quête d’horizons grandioses et aérés. Pourquoi ?

La jeunesse, dans notre société, fait souvent l’objet d’un constat pessimiste parce qu’elle ne saurait pas ce qu’elle veut, parce qu’elle aurait du mal à trouver sa place dans un monde soi-disant hostile, etc. On la dit perdue. Je préfère m’employer à montrer au contraire la puissance des générations nouvelles, à mettre en valeur ce qu’elles sont capables d’apporter et ce qu’elles voient avant les autres. Dans le film, l’aspect visionnaire de cette jeunesse est manifeste, on constate qu’elle a un temps d’avance sur les adultes par rapport aux bouleversements du monde. Pour l’incarner à l’écran, j’ai pu m’appuyer sur un réservoir d’acteurs impressionnant. Paul Kircher (le fils de Romain Duris dans le film) et toute la nouvelle génération qui l’entoure sont pétris de talent. Je me sens privilégié d’avoir pu disposer d’un tel casting.

Le tournage s’est déroulé sur fond de dérèglement climatique, vous n’avez notamment pas été épargné par la météo…

Le tournage a été épique et aura duré beaucoup plus longtemps que prévu. Après avoir eu une situation de canicule, perturbée par des orages très violents, dont certains sont dans le film, nous avons été impactés par les incendies qui ont ravagé l’été dernier les Landes et la Gironde. L’un deux a d’ailleurs réduit en cendre un décor qu’on avait mis un an et demi à concevoir. On a dû interrompre le tournage pendant deux mois. Je suis resté sur place pour chercher de nouveaux décors, je roulais en voiture sous une pluie de cendres, c’était vraiment étrange et j’ai cru un moment que cette aventure n’irait jamais à son terme, qu’elle tournerait au fiasco. Finalement, nous avons obtenu une autorisation administrative qui nous a permis de tourner les scènes manquantes de septembre à octobre. En cette période automnale, il a fallu composer avec des journées plus courtes, une météo aléatoire et reverdir plan par plan toute la végétation… On a eu peur mais tout le monde a joué le jeu, les techniciens ont repris les choses comme ils les avaient laissées, les acteurs ont revu leur planning, j’ai senti qu’il y avait chez chacun une vraie envie de terminer ce film.

Le film sera présenté au 11e Festival du Film du 27 septembre au 3 octobre au cinéma Le Méliès, à Montreuil. Est-ce une fierté de prendre part à cet événement ?

Je suis honoré et ravi que mon film soit présenté lors de ce festival car le Méliès est un équipement culturel unique, dotée de salles magnifiques et d’une programmation exceptionnelle, qu’on soit cinéphile ou non. Il offre le même niveau de confort que les meilleures salles parisiennes. Et puis Montreuil, c’est ma ville, j’y habite depuis douze ans, mes enfants y sont scolarisés. La vie y est douce, c’est vivant, mélangé, l’ambiance est différente d’un quartier à l’autre. Elle me rappelle certaines villes de province.

Avez-vous des projets en cours de réalisation ?

Non. Je réfléchis, je lis, je m’interroge, je rêve aussi. Film, série, documentaire… Je ne sais pas encore. Ces prochaines semaines, je vais surtout me concentrer sur la promotion de mon film qui va beaucoup voyager et qui devrait occuper tout mon temps.

Propos recueillis par Grégoire Remund

Photos: Jérémy Piot

Tous les commentaires1

  • Magali

    Bonsoir, je viens d’avoir la chance de visionner le film ce soir. Le monde réel et le fantastique se marient à merveille, et vous réussissez à nous transporter, à nous toucher. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec le monde de l’autisme, ayant effectivement un enfant qui en est atteint. Dans le film, ce père qui se bat, protégeant son fils ; mais qui au final le laisse partir dans « son monde à lui » par amour.
    Bravo à ce duo de choc ; vous pouvez être satisfait d’avoir eu sur votre route ce jeune acteur.
    Encore bravo 👏 👏👏 (et en plus d’être talentueux, beau et humble, c’est un plaisir de vous écouter).
    Vraiment ravie pour cette immersion. Chapeau bas, je vous souhaite le meilleur M. Cailley ! Magali

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