Julien Barret, le pro des mots, le choc du flow

Julien Barret, le pro des mots, le choc du flow
Langue
  • Slam, joutes oratoires, balades littéraires, dictée : partout où il y a des mots, ce poète-linguiste de Bagnolet est comme un poisson dans l’eau.
  • Défenseur d’une langue française ouverte et évolutive, cet auteur travaille avec le campus francophone en Seine-Saint-Denis, lancé en décembre.
  • Cet amoureux de la banlieue organise aussi des balades en Seine-Saint-Denis, notamment sur l’héritage des surréalistes à Pantin et Saint-Denis.

« Comment tu dis ? T’as tout whip in ? » Julien Barret note consciencieusement l’expression que vient d’utiliser notre stagiaire journaliste Bastien. « Ca veut dire « tu t’es trompé, t’as tout mélangé », l’informe ce dernier. – Ah oui ! Intéressant. Je pense que ça vient de to whip, fouetter en anglais. » Et voilà le linguiste à l’œuvre.

Julien Barret est comme ça : à l’affût de toutes les nouvelles expressions qui germent et se diffusent dans la langue française. Cet auteur de « Apprends les bails », un lexique sur les mots de l’Essonne, fait en compagnie d’élèves de 1ère d’un lycée de Ris-Orangis n’est pas vraiment du genre à sanctuariser la langue française, n’en déplaise à ces messieurs de l’Académie.

Cet amateur de slam, par ailleurs pratiquant, serait plutôt du genre à faire siens les vers de Grand Corps Malade : « Je viens de là où le langage est en permanente évolution/ Verlan, rebeu, argot, gros processus de création/ Chez nous, les chercheurs, les linguistes viennent prendre des rendez-vous/ On n’a pas tout le temps le même dictionnaire mais on a plus de mots que vous. »

La dinguerie du nouchi

« C’est un fait: la langue parlée par les jeunes en Ile-de-France est celle qui fait actuellement le plus bouger le français. Moi, ça ne m’intéresse pas de faire des jugements de valeur, je veux juste analyser comment le langage évolue au contact d’autres langues ou de la création artistique », nous explique celui qui travaille aussi avec le Campus francophone en Seine-Saint-Denis.

Julien Barret, auteur du texte de la dictée olympique, organisée par le Campus francophone en avril à Pantin

Lancé en décembre, ce dispositif poursuit deux objectifs : enseigner le français à destination de personnes qui en ont notamment besoin pour rentrer sur le marché du travail, mais aussi défendre une conception ouverte de la langue, reflet de l’histoire des migrations successives qui ont notamment façonné un territoire comme le 93.

« Aujourd’hui, dans les nouveaux mots qui rentrent dans le dictionnaire, il y a des mots qui disent la France d’aujourd’hui : des néologismes français comme « dinguerie », de l’anglais comme « tu dead ça » (t’as tout déchiré), des mots arabes (« kiffer, le seum ») ou encore du nouchi, un argot urbain de la Côte Ivoire comme « deh » qui marque l’étonnement », énumère cet amoureux des mots et de l’histoire qu’ils portent.

Autant dire que dans les récentes attaques racistes dont Aya Nakamura, pressentie pour chanter Edith Piaf à la cérémonie d’ouverture des JO, Julien Barret n’a pas franchement hésité à prendre position : « Ceux qui identifient Nakamura à une langue étrangère ont tout faux car sa langue est tout aussi française que celle du rappeur Vald ou d’un autre créateur. Quand elle parle d’un « djadja » par exemple – un menteur – ce n’est pas une langue étrangère, c’est une création qu’elle fait, elle, Aya Nakamura », souligne l’auteur du « Grand Livre des punchlines. De Sénèque à Nekfeu ».

Slam et liberté

Bref, y a pas moyen pour Julien Barret de sombrer dans une vision puriste de la langue française. Il faut l’entendre parler des ateliers slam qu’il organise un jeudi par mois à La Belle Maison, café culturel de Bagnolet, ville qu’il habite par ailleurs, pour comprendre qu’à ses yeux, la langue est essentiellement synonyme de liberté. « J’adore ce moment où on accueille des nouveaux venus, où les gens osent se lancer. Parfois, on arrive à régler des tensions sociales juste avec la scène ouverte. Tout le monde écoute tout le monde, on est libres, c’est ça l’idée du slam. », explique, des étoiles dans les yeux, celui qui a découvert la magie du mot scandé avec le collectif 129h, groupe avec lequel il a écrit « L’Atelier Slam », un recueil d’exercices pour mettre le slam à la portée de tous. A ses côtés, son complice Yesser, musicien brésilien qui assure l’habillage musical lors de ces mêmes jeudis slam, approuve.

Et quand ce slameur-linguiste de 45 ans a-t-il été touché par la magie du mot qui réveille, du mot qui guérit, du mot qui ensorcelle ? « C’est venu à l’adolescence, au lycée. Tout à coup, j’ai réalisé que les rappeurs que j’écoutais, Lunatik, Arsenik et X Men, et la poésie médiévale qu’on étudiait au même moment avaient en fait beaucoup plus de choses en commun qu’on ne le pense » Et de s’embarquer aussitôt dans un flow du poète Jean Molinet, poète du 16e siècle, mais qu’on croirait sorti tout droit de la dernière compil « 93 Empire ».

Sa science du langage, Julien Barret a choisi depuis quelques années de surtout la professer en Seine-Saint-Denis. « Parce que je viens de là, que je m’y sens bien et que c’est bien de rendre à un territoire ce qu’il nous a donné », estime celui qui organise par ailleurs des balades littéraires à la mémoire d’André Breton à Pantin ou de Paul Eluard à Saint-Denis. Comme toujours, dans ses activités avec des jeunes lycéens de Seine-Saint-Denis ou des habitants qui jouent le jeu d’une dictée, c’est davantage ce qu’il y a dernière les mots que dedans qui intéresse ce passionné du verbe. « Un atelier d’éloquence juste pour l’éloquence, c’est un peu stérile. Moi, ce que j’aime, c’est quand ça devient un prétexte pour explorer d’autres champs du langage ou acquérir de la confiance en soi », détaille celui qui anime cette année un atelier d’écriture avec des élèves du lycée Voillaume à Aulnay et de Louise-Michel à Bobigny. Le mot comme passerelle, avec un R mais deux ailes.

Retrouvez Julien Barret pour un parcours littéraire au Musée d’art d’histoire de Saint-Denis

– Derniers ateliers slam de la saison : les samedi 11 mai et jeudi 20 juin à La Belle Maison, à Bagnolet

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