Martine Nouaille nous entraîne dans sa belle « Odyssée en 9-3 »

« J’ai pu voir combien, envers et contre tous les obstacles, malgré la différence de traitement qu’elles subissent de la part des pouvoirs publics, les banlieues restent le grand chaudron d’intégration qu’elles ont toujours été, et combien leur vitalité irrigue les imaginaires de toute la société ».

On rencontre Martine Nouaille à la Mascotte de l’Europe, à Bobigny. Ce restaurant ouvrier, qui accueille une clientèle du quartier, fait partie des lieux sur lesquels cette ancienne journaliste est tombée au hasard de ses promenades dans le département. Kassem, son patron depuis 12 ans, nous y accueille avec chaleur et simplicité, malgré des affaires qui tournent au ralenti depuis le passage du Covid et l’instauration du télé-travail.

Chroniques de la banlieue

Voilà l’une des qualités premières de l’« Odyssée en 9-3 » que nous propose Martine Nouaille : aller à la rencontre des vrais gens de Seine-Saint-Denis, pas de fantasmes véhiculés par les chaînes d’information en continu ou le besoin de se trouver des boucs émissaires.

Dans un récit agréable et personnel, cette grande curieuse nous livre ses impressions glanées au fil de ses excursions, un peu dans la lignée d’un François Maspero qui en 1990, s’était arrêté à chaque station du RER B pour y faire la chronique de la banlieue. Il en résulte un tableau certes subjectif, mais très fidèle de la Seine-Saint-Denis : celui d’un territoire aux prises avec des difficultés sociales – aggravées de l’avis de beaucoup par l’abandon de l’État – mais traversé par une énergie et une solidarité assez uniques.

Pourquoi la Seine-Saint-Denis et pas un autre département ? Tout simplement parce que Martine Nouaille, ancienne journaliste pour L’Humanité puis l’AFP – s’y est installée récemment. « Comme pas mal de Parisiens, j’ai traversé le périphérique avec mon compagnon pour des raisons de loyer. J’y ai trouvé un territoire que je connaissais déjà pour avoir habité à Drancy dans les années 70 mais que j’ai eu le besoin de redécouvrir », explique cette grande marcheuse qui avait déjà appliqué la même méthode journalistique lorsqu’elle était en poste à Moscou puis Rome pour l’Agence France Presse.

Au rythme de ses pérégrinations, on croise certaines des grandes préoccupations du moment : un sentiment de lassitude ou de colère chez les habitant·e·s à l’idée d’être toujours dépeints de manière négative, les violences policières, les avis différents au sujet de la politique de grands équipements à l’œuvre dans certains quartiers : mixité sociale ou cheval de Troie de la gentrification ?

Ecrit de 2019 à la réélection de Macron en 2022, la thématique du Covid, qui a notamment eu un fort impact en Seine-Saint-Denis, est aussi très présente. « Je pense que ça a laissé des traces profondes dans l’univers intime des gens, encore plus ici en Seine-Saint-Denis où c’était poignant de voir qu’alors que tout le monde se protégeait, beaucoup d’habitants ici continuaient de sortir en raison de leurs professions », souligne Martine Nouaille.

« Venez et voyez »

Mais ce qui reste au final de cette lecture, ce sont les gens, et l’impression qu’ils constituent la première richesse de ce département. Les combats de Mohamed Mechmache pour parler des vraies attentes des habitant·e·s à Clichy-sous-Bois, le vendeur de livres ambulant Luc Pinto Barreto, qui s’était établi sur l’esplanade de la gare du RER à Saint-Denis, l’équipe du Studio Théâtre de Stains autour de Marjorie Nakache qui défend une culture de qualité pour tous… Il ressort de toutes ces rencontres une énergie et une envie de faire assez conformes à la réalité.

« A ceux qui, retranchés derrière la barrière du périphérique, parlent de la banlieue sans y passer du temps, j’ai envie de dire venez et voyez », conclut simplement Martine Nouaille, dans son récit comme dans la conversation que nous tenons ce jour-là. Le temps d’un dernier café – le péché de cette petite-fille de bistrotiers auvergnats – et cette piétonne du 9-3 s’en repart par le canal, les yeux grands ouverts.

Christophe Lehousse

Photos: ©Nicolas Moulard

– Odyssée en Neuf-Trois. Mémoires croisées d’un territoire, L’Harmattan, 21 euros