Mokhtar Amoudi Goncourt des détenus 2023
- L’écrivain Mokhtar Amoudi s’inspire de son enfance en famille d’accueil pour son premier roman Les conditions idéales.
- Il raconte la vie d'ado de Skander, en banlieue parisienne, ses amitiés, ses rencontres, ses dérives, sans clichés.
- Ce livre drôle, intelligent et tendre vient de remporter le Goncourt des détenus
Interview réalisée avant le résultat final du Goncourt des lycéens 2023 et l’attribution à Mokhtar Amoudi du Goncourt des détenus 2023.
Vous avez grandi dans le Val-de-Marne, quel est votre lien à la Seine-Saint-Denis ?
La Seine-Saint-Denis, c’est surtout le lien de mon enfance. Ma mère habitait à La Courneuve, derrière Inter. J’y allais le week-end. Dans le livre je parle du « bâtiment aux milles fenêtres » c’était le bâtiment derrière le Tramway « Hôtel de ville de La Courneuve ». J’ai des souvenirs très précis de mon enfance : du Décathlon de Saint-Denis, du Footlocker près de la basilique, des installations pour le championnat du monde d’athlétisme… le meeting Gaz de France. A Saint-Denis, j’allais à la piscine, toujours tout seul, je n’avais pas d’ami·e·s à La Courneuve. J’étais un enfant du dehors très jeune. Je prenais le T1, le RER B, le bus 249 pour aller à Aubervilliers me faire couper les cheveux. Il y avait de bons coiffeurs là-bas qui me rasaient les cheveux. Une des plus belles années de ma vie ce sont mes 11 ans, j’étais en cinquième. Je commençais à découvrir l’extérieur -j’adore marcher- je me baladais jusqu’au carrefour de Drancy, Aubervilliers Pantin-4 chemins. J’aimais bien. Ce livre m’a rappelé ces années. Si vous me demandez de retourner à mon adolescence, j’irai.
Votre meilleure année est celle de vos 11 ans. Et votre pire année ?
A 21 ans. A la fin du contrat jeune majeur. J’étais en plein effondrement de ma vie. J’ai perdu ma mère à la même époque qui est morte dans des conditions sordides. Il fallait l’enterrer je n’avais pas d’argent.Cétait aussi le début de l’effondrement au niveau des études. C’était tout un truc. Je lisais Crimes et Châtiments. Et j’étais devenu Raskholnikov. Comme lui, j’étais en droit, j’étais seul, je n’avais pas d’argent. Je m’étais identifié. La littérature était rentrée en moi. J’ai découvert quelque chose. C’était de l’ordre de la rencontre -j’avais lu Guerre et paix un an auparavant- j’ai poursuivi. Je me suis mis à lire de manière violente : Balzac, Voyage au bout de la nuit, Dostoïevski, Stendhal, et puis plein d’autres choses. J’avais un ami à la fac de droit qui vivait à Odéon. Et on lisait ensemble. C’était bien d’avoir un partenaire de lecture. Tout seul, ça aurait été un peu plus triste.
Quand avez-vous commencé à écrire ?
A cette époque-là, justement. Je me suis dit : « ma vie s’effondre, je vais commencer à la raconter ». La volonté d’écrire est intervenue. Pendant cinq ans, je me suis mis à écrire tout sauf Les Conditions idéales qui était pourtant le roman que je voulais écrire. Cela m’a permis de m’entrainer au style. Je me suis dit « dépasse ta peur, tu l’écris ». Cela m’a pris 4-5 ans. Je me suis en quelque sorte sacrifié pour le faire. Je ne travaillais pas. Je n’avais pas d’argent. Je laissais mon passif augmenter et puis surtout me tourmenter. Je n’étais jamais triste d’écrire. Juste j’écrivais et je me disais « merde c’est chaud, c’est chaud ». Il fallait manger. J’allais des fois taper mes potes. Je me suis un peu clochardisé à un moment. La fonction d’écrivain me donnait une sorte de statut. Et j’ai décidé de ne pas m’effondrer du point de vue de mon apparence. Le livre, je l’ai littéralement fini lorsque j’ai rendu les épreuves en mai dernier.
Et à quel âge avez-vous réellement décidé d’être écrivain ?
A 24-25 ans, j’ai commencé à comprendre qu’il fallait que je me dégage du temps pour l’écriture. Que j’allais commencer le sacrifice : faire primer l’écriture au détriment de la révision de certains examens importants, du travail, de mes charges diverses et quelconque. Il fallait que j’essaie de faire comme Balzac, mon maître. Je m’étais placé la barre un peu haute, vous voyez ? J’ai beaucoup perdu de temps comme ça.
A quel moment de l’écriture, ce titre Les Conditions idéales est-il venu ?
Au premier tiers du livre. Ce titre est aussi un anti titre. C’est ironique, puisque les conditions idéales de Skander ne le sont pas. Mais finalement, c’est un titre aussi paradoxal car par rapport à d’autres enfants, elles le sont. Elles le sont, puisqu’il aime l’école et puis plein d’adultes s’occupent de lui. J’avais un autre titre, mais je le garderai peut-être pour un autre livre.
Ces conditions idéales, en fait, ce sont les vôtres, c’est votre terreau.
Je me suis dit que je n’allais pas inventer une histoire. Il y a du picaresque et ce héros qui est seul face à la ville, désemparé… je pense que cela suffisait. Cela fonctionnait.
Skander votre héros, c’est un peu le Tom Sawyer de la banlieue. Il y a cette liberté, il a des amis… Votre roman aborde aussi la question de la violence.
Oui, c’est un livre sur l’amitié aussi. Comment on fait pour être accepté par un groupe ? Pour Skander, cela passe par la violence. Il va devoir la reproduire pour que celle-ci arrête de s’exercer sur lui. La violence du quartier, de Samir qui est un peu son bourreau, ce qui va être son traumatisme. J’ai beaucoup aimé écrire cette partie délinquante. C’est vraiment un apprentissage progressif. D’abord, il y a la violence, la chute au niveau scolaire, la violence, puis la délinquance. Skander va devenir un apprenti délinquant, un mauvais garçon. Personne ne sait quoi faire de ce garçon. Tout le monde se demande ce qu’il fait là.
Pour moi, le fil rouge de ce roman, c’est le perpétuel décalage. Entre ses rêves et la réalité, entre la France et le Maroc, entre ce qu’il devient et ce qu’on espère de lui, entre un cadre qui devrait le protéger et qui le met en danger, entre gagner de l’argent et gagner de l’amour.
Oui, le héros n’est nulle part à sa place. Le livre commence lorsqu’il a 8 ans. La seule chose qu’il aime, c’est l’école. Et à 8 ans, il arrive dans un monde où finalement l’école, les notes ne sont pas si importantes que ça pour les gens qui l’entourent. L’école n’existe pas vraiment pour eux. Que ce soit pour les jeunes de son âge, pour qui l’école est un échec ou une difficulté. Ou pour Madame Khadija, pour qui l’école n’est pas son champ de référence. Or dans son ancienne famille, qu’il va quitter, l’école était importante.
Le héros Skander change de famille et change de vie…
C’est aussi l’histoire d’un enfant qui va connaître un changement radical. Skander est un petit d’origine algérienne, mais élevé comme un petit blanc et donc il va devenir arabo-musulman. Les conditions idéales raconte cet apprentissage culturel.
Dans cette deuxième famille d’accueil, les règles changent…
Quand on lui refuse de lui donner du jus d’orange le matin, c’est insupportable pour lui. Mais en même temps, il n’a aucune notion de ce qu’est élever un enfant, tenir un foyer, une comptabilité. Avec Madame Khadija, en fait, il sait trop tôt qu’elle est payée pour le garder. C’est ce qui va commencer à le tourmenter et à se demander : « peut-on l’aimer sans être payé ? » Sachant que la personne qui devrait l’aimer gratuitement, sa mère, est dans un tel état que c’est une catastrophe.
Vous-même avez été confié à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) à un an par votre mère…
J’ai toujours été en famille d’accueil effectivement. J’en ai fait deux. Quand vous êtes enfant de l’Aide sociale à l’enfance, c’est marrant parce que vous êtes choyé quand même. Vous avez un chauffeur, on s’occupe de vous. J’avais conscience de cela. Même si j’en avais marre parfois – on a toutes les raisons d’en avoir marre- j’avais aussi conscience que je pouvais me stabiliser quelque part. Moi je suis comme Skander. C’est mon ambition, ma volonté de devenir quelqu’un qui me guide et qui est plus fort que tout, qui me permet de tout oublier. Mon ambition c’est ce livre-là, les études, le fait d’avoir un bon métier…
Est-ce que c’est un sujet que vous avez encore envie de creuser ?
Être enfant de l’ASE est un statut qui allait me suivre toute la vie, notamment quand on est en situation d’échec. Au moment où je me suis effondré, à 21 ans, j’ai compris, comme dans Le voyage au bout de la nuit, que j’étais fait comme un rat, que jamais je ne m’en sortirais. Ça marque à vie. 25% des SDF sont issus de l’ASE quand même. C’est comme ça. A la fin du contrat jeune majeur, il y a peut-être une bourse à gratter ou 2 mais bon ce n’est plus pareil, il n’y a plus l’obligation dont vous bénéficiez. Donc peut-être, effectivement, ce serait intéressant de raconter ce qu’on devient après lorsqu’on n’est plus jeune de l’ASE.
Que vous apporte cette aventure de l’écriture ? alléger ce poids ?
Cela me permet d’avancer. C’est ce qu’il fallait que je fasse. Je n’en tire même pas de fierté. Il fallait que je raconte cela pour me permettre de me sentir un petit peu accompli. Dix ans de ma vie était structurée par cette envie de publier… J’aurai renversé ce poids pour le transformer en catapulte.
C’est votre premier roman. Il est édité dans la mythique collection blanche de Gallimard et a été sélectionné au Goncourt et au Renaudot…
Oui, c’est incroyable. Je suis content pour le texte. Cela lui permet d’exister dans la rentrée littéraire où il y a beaucoup de monde cette année, près de 80 premiers romans. Cela a permis d’attirer l’intérêt de lectrices et de lecteurs potentiel·le·s. Comme le jour où j’ai signé chez Gallimard… ce sont des énergies très puissantes, mais ce sont des chocs, malgré tout. Mes personnages dans mon livre ont besoin d’amour et d’argent. Moi quand j’ai terminé mon livre, j’avais besoin d’espoir.
Vous êtes désormais en lice pour le Goncourt des lycéens. Racontez-nous.
Les échanges avec les lycéennes et les lycéens sont précieux. C’est formidable. Paris, Toulouse, Lyon, Aix et Rennes et deux visions. C’est un marathon et aussi un sprint car le temps de parole est de 15 min. On parle devant 150-250 lycéen·nes, certains l’ont lu, ils vous posent des questions. Il y a une lycéenne qui m’a demandé « pourquoi c’est vulgaire ce que j’ai écrit, est-ce que j’ai voulu choquer ? » C’est marrant, je lui ai dit « écoute, tu sais pour certains la vie c’est ainsi. » Mais ça n’empêche pas qu’on doit essayer de faire quelque chose et surtout essayer de faire des belles phrases, de bien l’écrire, de bien le relater. Je n’ai pas le complexe de l’imposteur. Je ne rougis pas de ce que j’ai écrit. Je me suis dit, « la littérature ça va être jusqu’au bout, jusqu’à la mort ». J’étais très enthousiaste de le faire. Et quelque part, c’est bien parce que ce chemin de la lecture, de l’écriture, je l’ai trouvé tout seul. Je vais m’y remettre là. Voilà, c’est formidable et ça fait partie maintenant de moi.
Photo : Bruno Levy
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Ce texte devrait faire partie des textes que devraient lire tous les jeunes de banlieue en rentrant en quatrième
Bravo