« Radio 93 Bibis » : quand des habitants de Sevran donnent leur vision de la famille

« Radio 93 Bibis » : quand des habitants de Sevran donnent leur vision de la famille
Campus francophone
  • Irina, Iliana et Raffaelli Teodorescu ont mené pendant 6 mois une résidence d’écriture à Sevran, dans le cadre du Campus francophone en Seine-Saint-Denis.
  • Leur idée : amener les habitants de la ville à raconter leur conception même de la famille dans des podcasts en accès libre.
  • Fin avril s’est tenue la restitution de ce projet qui a vu se mêler les générations et permis à différents usagers de prendre la parole.

« Je me souviens : quand j’étais petite fille en Guadeloupe, à la maison, c’était interdit de parler le créole. Mes parents nous disaient : le créole, ça va déformer votre français. Alors, même aujourd’hui, je ne parle pas tellement le créole, ou alors que quand je suis énervée. Là, ça sort tout seul ! » Dans la foulée de son témoignage fait dans le cadre de « Radio 93 Bibis », Josephe continue de se livrer. Avec ses amies Marie et Rozida, originaires elles de l’île Maurice, cette habitante de Sevran a beaucoup apprécié ces ateliers d’écriture menés par Irina Teodorescu et ses enfants Iliana et Raffaelli.

Pendant 6 mois, cette écrivaine francophone d’origine roumaine et ses « Bibis » Iliana et Raffaelli, comme elle les surnomme affectueusement, ont invité les habitants de Sevran à donner leur vision de la famille dans de brefs textes, enregistrés ensuite à haute voix. Une résidence portée par le Campus francophone en Seine-Saint-Denis, lancé en décembre dernier avec pour ambition de mettre en valeur l’extraordinaire diversité de cultures et de langues de ce département.

Interroger le concept de langue maternelle

Iliana, Irina et Raffaelli Teodorescu, écrivains à l’origine du projet Radio 93 Bibis.

« Nous-mêmes, on n’a pas une approche très conventionnelle de la famille et on a l’habitude d’échanger dans différentes langues, donc on voulait que dans ces podcasts transparaissent un maximum de voix et d’accents différents. Et puis, je voulais aussi interroger le concept de langue maternelle car dans mon cas, la langue maternelle de mes enfants n’est pas la langue de leur mère », explique Irina Teodorescu, qui a pris l’habitude de correspondre par podcasts interposés avec ses enfants.

Cet exercice de relations épistolaires – la « Radio Bibis » – cette famille très créative l’a donc aussi proposé aux habitants de Sevran, approchés dans les 4 bibliothèques de la ville, dans les maisons de quartier Michelet et Marcel-Paul ou encore au collège La Pléiade.

En cet après-midi pluvieux de la fin avril, c’est justement la diversité des voix qui ressort des enregistrements qui s’égrènent sous le toit coloré de la Micro-Folie de Sevran, un lieu culturel implanté dans le quartier des Beaudottes depuis 7 ans maintenant.

Lucile raconte comment depuis la naissance de ses neveux, elle dit plus souvent aux membres de sa famille qu’elle les aime. Hawa, qui habite Tremblay, souhaite l’égalité entre tous. Elle qui rêve de gagner au loto veut bien partager son Euromillions si le monde devient plus juste. Adisha, 12 ans, dit avoir « peur de la mort parce que voir les gens tristes, ça la rend triste ». La guerre est assez présente, qu’elle soit actuelle, en Ukraine, à Gaza, mais aussi un peu plus ancienne, au Sri-Lanka par exemple.

Faire entendre la diversité de la Seine-Saint-Denis

Le témoignage d’Hajar fait luire des sourires dans la pénombre où les auditeurs présents ce jour-là à la Micro-Folie reçoivent les témoignages. « Vous pouvez interroger des gens sur leur famille mais vous ne recevrez pas de témoignages très intéressants. En tout cas auprès des familles arabes. Aucune femme par exemple ne va vous parler de son premier amour. Ce n’est pas dans notre culture. Vous allez seulement entendre qu’on est des femmes de foyer, qu’on a une vie simple. Même une femme célibataire va vous dire : « oh moi je n’aime personne, je n’ai pas de relations ». Et cette habitante, arrivée à Sevran l’année dernière en provenance du Maroc d’ajouter, malicieuse : « mais comme par hasard, elle ne va pas lâcher son téléphone… »

Marie, Josephe et Rozida, participantes au projet Radio 93 Bibis.

« Ces podcasts, c’était une occasion de mettre sur la table des sujets qui nous concernent tous, pas forcément évoqués très souvent. Et aussi de faire entendre la diversité des populations qu’il peut y avoir à Sevran, d’amener des gens qui s’interdisent parfois de prendre la parole à le faire», souligne Florent Gonsales, bibliothécaire à la médiathèque Marguerite-Yourcenar, qui a largement porté le projet avec sa collègue Lucile Bertrand.

Fin mai, ce sera au tour de Jude Joseph de présenter les fruits de sa résidence menée elle à Aubervilliers : des histoires écrites par les soins de ce conteur haïtien mettant en valeur les différentes cultures rencontrées dans ses ateliers aux Laboratoires d’Aubervilliers et à la Maison des Langues et des Cultures.

Là encore, l’objectif aura été de rendre fier les habitants de leur double ou triple culture et de ne pas laisser la parole être sans cesse accaparée par les mêmes. En Seine-Saint-Denis, on a la tour Pleyel et la tour de Babel…

Christophe Lehousse

Photos: ©Eric Garault

– Pour retrouver tous les podcasts des participants à « Radio 93 Bibis »: https://open.spotify.com/show/6doAX7iGHnr16uWaDWztl2

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