Fanny Capel et Gaëlle Leroux, les nouvelles princesses du rail

Fanny Capel et Gaëlle Leroux, les nouvelles princesses du rail
Initiative
  • Situé devant le lycée Paul-Eluard, à Saint-Denis, et laissé à l’abandon depuis une quinzaine d’années, un wagon a été transformé en café-restaurant culturel par deux professeures de français, Fanny Capel et Gaëlle Leroux.
  • Dans l’attente de financements, le projet est encore en chantier mais les deux femmes, habitantes de Saint-Denis, ont déjà accueilli plusieurs événements mettant notamment en lumière le travail des élèves du quartier.
  • Objectif : créer un espace de dialogue, de rencontre et de débats pour connecter davantage les gens les uns aux autres.

Les 16 et 17 septembre derniers, à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, un objet insolite a déplacé les foules à Saint-Denis : un wagon abandonné aux allures d’épave rouillée. Plus précisément, une ancienne voiture-restaurant du « Capitole », un train qui a assuré la liaison entre Paris et Toulouse de 1967 à 1991 et qui a été le premier en France à atteindre la vitesse de 200 km/h. Posé devant le lycée Paul-Eluard depuis une trentaine d’années, dont quinze sans qu’il ne s’y passe plus rien, ce fleuron de la technologie des années 1960 a perdu de sa superbe : la peinture est défraîchie, certains carreaux sont fissurés, des sièges ont été arrachés et des trous sont visibles du sol au plafond. Un vestige qui fait aujourd’hui le bonheur des amateurs d’urbex (exploration urbaine) ? Pas du tout. Car ce train, grâce au travail et à la ténacité de deux professeures de français résidant à Saint-Denis, Fanny Capel et Gaëlle Leroux, retrouve peu à peu des couleurs.

Le week-end des 16 et 17 septembre, les visiteurs ont ainsi pu découvrir une expo photos, fruit de la collaboration entre Nathalie Gaudet, conservatrice du cimetière communal de Saint-Denis, la photographe dionysienne Anna Rouker et une classe de BTS du lycée Eluard. Et admirer les toiles de Jean-Masly René, peintre autodidacte et élève en section maroquinerie du lycée professionnel Frédéric-Bartholdi, situé à quelques encablures. En juin 2022, lors de l’inauguration, le public, déjà venu en nombre, avait eu droit à une performance du célèbre graffeur local Marko 93, qui avait rhabillé une partie du wagon avec le soutien des jeunes résidents de l’institut médico-éducatif des Moulins-Gémeaux, et aux mélodies puissantes et entraînantes de la Grande Soufflerie, la fanfare créée avec des amateurs par le jazzman Emmanuel Bex. « Ces animations résument à elles seules notre concept : réunir des personnes baignant dans des milieux et des univers différents, qu’ils soient amateurs ou professionnels, pour partager des moments de rencontres et d’échanges riches et parfois inattendus », affirment d’une même voix Fanny Capel et Gaëlle Leroux, qui enseignent respectivement au lycée Paul-Eluard et à Deuil-la-Barre (Val-d’Oise).

L’assassinat de Samuel Paty les a convaincues du bien-fondé de leur projet

Sous l’impulsion de ces deux quadragénaires, le wagon (« s’il désigne le transport des marchandises et des animaux, ce terme est plus joli et moins généraliste que le mot ‘’voiture’’, prisé par les professionnel du transport ferroviaire », tiennent-elles à préciser) entame de fait sa troisième vie. Après les grandes heures du Capitole, la SNCF le cède en 1991 à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui en fait un restaurant d’insertion jusqu’en 2008 et le départ à la retraite du gérant des lieux. Puis plus rien. « Ce wagon, on passait devant tous les jours, que ce soit pour aller à la piscine de La Baleine pour l’une ou au lycée Paul-Eluard pour l’autre. Cela nous faisait mal de le voir dépérir, raconte Gaëlle Leroux. On rêvait d’en faire un club cinéma ou lecture pour les élèves du lycée car dans ce quartier, hormis le lycée et le commissariat de police, il n’y a rien. » L’élément déclencheur est l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020. Stupeur, effroi. « Ça a été Samuel Paty mais ça aurait pu être nous car nous aussi avons débattu sur les caricatures avec nos élèves, constate amèrement Fanny Capel. On s’est alors dit que le métier d’enseignant était dans une impasse, que l’Éducation nationale avait manqué quelque chose, que le lien entre l’école et les jeunes mais aussi entre l’école et les parents était rompu. Il fallait réagir. Afin que la culture puisse aussi être transmise hors des murs de l’école et dans un rapport non frontal, au contraire d’une salle de classe. » L’idée est donc de rénover le wagon en café-restaurant culturel en associant au projet les habitants, les usagers de la piscine et les jeunes pour qu’ils se l’approprient et s’y sentent comme chez eux.

Au début de 2021, les deux amies créent l’association Les Dionysiaques. L’été suivant, après avoir remporté un appel d’offres lancé par l’État, elles obtiennent le wagon pour un euro symbolique. « Une des deux autres associations candidates était constituée d’anciens cheminots qui voulaient l’emmener en Bourgogne pour le transformer en restaurant gastronomique, se souvient Gaëlle Leroux. Ç’aurait été regrettable car la véritable vocation de ce wagon est sociale et son territoire d’aujourd’hui, c’est la Seine-Saint-Denis. » Au moment d’investir les lieux, elles découvrent à l’intérieur un véritable capharnaüm où même la nature avait repris ses droits. Après avoir tout nettoyé, elles remettent l’eau et l’électricité, installent des WC et une alarme. « La partie la moins marrante a été celle où on a dû demander à des personnes qui squattaient là de quitter les lieux, en échange de quoi on s’est engagé à leur trouver un hébergement d’urgence. Heureusement, une solution qui arrangeait tout le monde a rapidement été trouvée », relate Fanny Capel. Pour se faire connaître et attirer le public le plus large possible (habitants, entreprises, associations, étudiants, lycéens, etc.), les enseignantes sollicitent l’aide de la SNCF dont l’une des plateformes fait dans l’événementiel. « Nous avons tout de suite reçu une réponse positive, rapportent-elles. Grâce à elle, on peut facilement communiquer sur nos initiatives. »

Une soirée Capitole avec les élèves du lycée hôtelier François-Rabelais de Dugny

Actuellement, l’état de délabrement est tel que le wagon ne peut recevoir que des événements ponctuels. « Cinq à six par an, ce qui est déjà très bien vu l’ampleur des travaux qui nous attendent », détaillent-elles. Des travaux qui se font attendre depuis de longs mois. Et qui sont dans l’impasse. « Le problème vient du terrain, expliquent-elles. La région Ile-de-France, qui en est propriétaire, nous a annoncé que celui-ci s’affaissait en raison de l’absence de fondations et du poids du wagon qui pèse 50 tonnes. La balle est dans le camp de la région. Tant que ce sac de nœud technico-juridique ne sera pas débloqué, on ne pourra rien envisager. » L’affaire est d’autant plus complexe que le coût évalué de la rénovation fait frémir : 800 000 euros. En attendant cette manne financière, elles ont pris leur bâton de pèlerin pour se constituer une cagnotte et tenter de se tailler une réputation. Ainsi la SNCF leur a-t-elle versé 30 000 euros comme « cadeau de bienvenue ». Le concours régional « Sauvons nos monuments », dont elles sont sorties vainqueurs en 2021, leur a permis de lancer une campagne de financement participatif qui leur a rapporté 6 000 euros et d’obtenir le précieux label « Patrimoine d’intérêt régional ». Lauréates de l’appel à Agir In Seine-Saint-Denis deux année consécutives (2021 et 2022), elles ont empoché au total 18 000 euros et étoffé leur carnet d’adresses « grâce à la soirée annuelle des lauréats qui permet de multiplier les rencontres ». Enfin, la Ville de Saint-Denis aussi y est allée de sa subvention. Accompagnées dans leur démarche par un architecte, Fanny et Gaëlle se projettent déjà. Et comptent s’appuyer sur le savoir et les compétences des lycéens des établissements scolaires alentours : la réfection des banquettes et du plancher sera confiée aux élèves des sections maroquinerie et menuiserie du lycée professionnel Bartholdi, tandis que la reprise des pieds métalliques des tables sera l’affaire des étudiants du lycée polyvalent Application de l’Enna, spécialisé dans les métiers des structures métalliques.

En mai dernier, les deux collègues se sont replongées dans les grandes heures du Capitole en organisant un déjeuner et un dîner sur le thème du Sud-Ouest assurés par les élèves du lycée hôtelier François-Rabelais de Dugny. « Quarante couverts et des clients qui sont repartis enchantés, se rappelle Fanny. On leur avait demandé de s’habiller comme dans les années 1960, tous ont joué le jeu. » Prochaine étape : participer en octobre au festival hip-hop organisé à la Ligne 13, à Saint-Denis. « On souhaite s’inscrire dans cet événement en proposant une soirée scène ouverte dans le wagon et en faisant intervenir les lycéens de la section danse de Paul-Eluard. » Ensuite sera venu le temps de souffler un peu car l’aventure se révèle chronophage. « On y consacre tout notre temps libre, assurent-elles. Et pour être plus efficaces, on s’est mise l’une et l’autre à 80 % cette année. » Pour l’ouverture officielle, elles ont dû revoir leurs plans : 2024 sera l’année des gros travaux et 2025 celle de l’inauguration, prophétisent-elles. D’ici deux ans, elles pourront alors enfin affirmer haut et fort que leur projet est sur les rails.

Grégoire Remund

Photos: ©Franck Rondot

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