Lilian Corbeille, un Pantinois qui monte, qui monte

Lilian Corbeille, un Pantinois qui monte, qui monte
Cinéma
  • Chef monteur, Lilian Corbeille a été nommé aux César 2024 pour le film Le Règne Animal, un des cartons de l’année en France, qui est reparti de la cérémonie avec cinq récompenses.
  • Cet habitant de Pantin faisait déjà partie des candidats en lice pour remporter la prestigieuse statuette en 2015 (Les Combattants) et en 2018 (Petit Paysan), confirmant film après film son talent.
  • Dans son métier, si particulier, il a pris l’habitude de travailler avec des réalisateurs qui font partie de son cercle rapproché, rencontrés sur les bancs de la Fémis, la prestigieuse école de cinéma dont il est sorti en 2011.

Difficile de s’imaginer, quand on découvre cet homme de 40 ans, humble et discret, casque de vélo sur la tête, se confondant en excuses de ne pas avoir pu organiser cette entrevue plus tôt, qu’il est en partie l’auteur d’un des plus gros cartons cinématographiques français de l’année. Lilian Corbeille, devenu Pantinois en 2018 après avoir vécu un temps à Montreuil, est le chef monteur du film Le Règne Animal, qui a dépassé en début d’année le million d’entrées en France. Cassant les codes du « film d’auteur », l’œuvre réalisée par Thomas Cailley, que nous avions eu la chance de rencontrer quelques semaines avant la sortie du film, a, en plus de conquérir le public, été aussi vivement plébiscitée par la critique. Après avoir reçu en décembre le prestigieux prix Louis-Delluc, qui récompense chaque année le meilleur film français, ce conte écologique à mi-chemin entre le teen movie et le genre fantastique est reparti des César avec cinq statuettes (photographie, son, effets visuels, musique originale et costume) sur douze nominations (le record cette année !), parmi lesquelles celle du meilleur montage.

« Être nommé aux César procure un sentiment très agréable, avoue Lilian Corbeille. On est plongé dans le glamour le temps d’une soirée et cela fait plaisir à la famille et aux amis. J’étais surtout très fier de représenter ce film en particulier, dans lequel j’ai toujours cru. L’équipe était très bien représentée le soir de la cérémonie, j’étais content d’en être. » Après avoir déjà été dans la dernier carré pour Les Combattants (en 2015), le premier film de Thomas Cailley, puis pour Petit Paysan (en 2018, en compagnie de Julie Léna et de Grégoire Pontécaille), premier film, là encore, de Hubert Charuel, le voilà qui commence à collectionner les nominations… sans jamais gagner à l’arrivée. Frustrant ? « Honnêtement non. Laurent Sénéchal mérite amplement son César, il a réalisé un travail incroyable pour Anatomie d’une Chute (de Justine Triet, ndlr). Les Combattants, c’était ma première expérience sur un long-métrage, ça avait été une vraie surprise, je n’étais qu’un outsider. Petit Paysan, je n’ai fait qu’épauler à la fin du projet les deux autres monteurs. Et pour Le Règne Animal, le plus important, ce n’est pas moi mais le nombre d’entrées réalisés par le film, elle est là la vraie récompense », assure-t-il. Et de préciser, sourire aux lèvres : « De toute façon, monter sur scène pour prononcer un discours, ce n’est pas trop mon truc. Je n’aurais pas été très à l’aise même si je l’aurais fait avec plaisir. Les monteurs sont des travailleurs de l’ombre qui ne sont pas habitués à une telle exposition. »

Le montage, la face cachée du cinéma

S’il ne s’attendait évidemment pas à ce que Le Règne Animal connaisse un aussi grand succès, Lilian savait que ce film allait le propulser dans une autre dimension. À tous les niveaux. « C’est la première fois que je travaillais sur un film avec un aussi gros budget et avec autant d’effets spéciaux. C’était un projet très ambitieux, rare dans le cinéma français. Au moment du tournage et du montage, il restait encore beaucoup de questions ouvertes. Les effets spéciaux ajoutent du temps et de la difficulté, notamment quand il faut faire vivre une scène sur laquelle certains personnages (dans le film, les fameuses créatures hybrides, ndlr) n’apparaissent pas. Il faut savoir se projeter. » Les effets sonores propres au cinéma fantastique lui ont également compliqué la tâche : comment restituer le cri d’une créature qui appartient à l’imagination de son auteur tout en restant crédible et en conservant l’étrangeté de la situation ? Comment faire parler un homme subitement transformé en morse difforme ? À ces écueils se sont ajoutées les conditions dantesques de tournage, entre les incendies de forêt, les tempêtes, les orages, la canicule… « Ce film m’a demandé huit mois de travail, c’est mon record. À la fin j’étais essoré », confie-t-il.

Lilian, qui a passé sa prime jeunesse en Seine-et-Marne, dans les environs de Fontainebleau, est arrivé au montage assez naturellement. Passionné de cinéma, il se met à filmer tout et n’importe quoi avec un ami qui possède un caméscope. Il caresse alors le doux rêve de devenir réalisateur. Arrivent les années 2000 et l’émergence du numérique qui traîne dans son sillage des logiciels de montage sur ordinateur accessibles au commun des mortels : Final Cut, Avid Technology, etc. Un nouvel horizon s’ouvre pour le jeune homme qui prend davantage son pied à retravailler des images plutôt qu’à les créer. « Je voulais faire un métier créatif dans le milieu du cinéma. Le montage demande à la fois des compétences techniques et d’écriture, c’est ce qui me correspondait le mieux », justifie-t-il.

Aux yeux du profane, le montage cinématographique reste un exercice mystérieux, un métier de l’obscur, une face cachée. L’occasion, donc, de demander à Lilian de se lancer dans une tentative de décryptage. De mise au point bienvenue. Pour lui, le montage est d’abord un retour à la réalité : pendant et après le tournage, les intentions et autres rêveries initiales du réalisateur sont suppléées par des images et des sons qu’il va falloir confronter à l’ambition créatrice de l’auteur. « Si je devais résumer ma mission, je dirais qu’elle consiste à aider une personne à aller au bout de son film à partir de centaines d’heures de rush, explique l’intéressé. Plus largement, le travail de montage est de se poser des questions de rythme, de structure et de narration, de cheminer ainsi vers l’écart, la transformation, voire le hors-sujet afin de trouver le véritable cœur du film. Il faut trouver le fil pour rendre les personnages cohérents, arriver à les suivre, ressentir ce qu’ils ont à vivre. Il n’y a pas de règle absolue, il faut s’adapter au cinéaste et à ses intentions. Je suis le premier spectateur des images vierges que le réalisateur a filmées et travaillées. Mon rôle consiste ensuite à les traduire et à leur donner du sens. » C’est là toute la difficulté, le paradoxe de cette profession : le monteur se doit d’être créatif pour un projet dont il n’est pas la première tête pensante. Savoir être force de conviction sans imposer, jamais, c’est tout un art.

Réseau professionnel et amical

En plus d’être un ami et un fidèle collaborateur de Thomas Cailley, il est aussi son porte-bonheur. Ensemble, ils n’ont connu que le succès. Paris-Shanghai, le court-métrage de fin d’études du réalisateur a été primé au festival de Clermont-Ferrand, deuxième festival de cinéma en France après le festival de Cannes en matière d’audience. Les Combattants a reçu une pluie de récompenses, et Le Règne Animal est un hit au box office. « Thomas et moi, on s’est rencontré à la Fémis (la meilleure école de cinéma française, ndlr) d’où on est sortis en 2011, raconte Lilian Corbeille. Avec d’autres étudiants de cette promo, on s’est très vite liés d’amitié et promis de travailler ensemble plus tard. Thomas me connaît par cœur, il m’a toujours accordé sa confiance et a su convaincre les producteurs qu’il avait raison de s’appuyer sur des personnes comme moi. Pour Les Combattants, il était parvenu à ne s’entourer que de débutants. Je lui en serai éternellement reconnaissant. »

À la Fémis, le chef monteur s’est constitué un réseau à la fois professionnel et amical, qui porte aujourd’hui ses fruits. Hubert Charuel (Petit Paysan) a fait partie de la promotion 2011. De même que Leyla Bouzid, avec laquelle il a déjà fait deux films (À peine j’ouvre les yeux et Une histoire d’amour et de désir) et s’apprête à tourner le troisième. Ou encore Saïd Hamich, producteur et réalisateur, qui a lui aussi fait appel à Lilian pour le montage – en cours – de son troisième long-métrage. « Travailler avec des gens avec lesquels tu peux à la fois confronter tes idées et rigoler ensuite autour d’une bière, c’est comme ça que je conçois mon métier, plaisante-t-il. Plus sérieusement, au regard des enjeux économiques d’un film et de la pression d’un tournage, on peut comprendre que des réalisateurs aient envie de s’entourer de collaborateurs de confiance et fassent souvent appel aux mêmes. »

À Pantin, où il s’est installé avec femme et enfant depuis six ans, il dit avoir trouvé son havre de paix. « J’aime cette ville, sa connexion facile avec le parc de La Villette, que ce soit à pied ou à vélo. J’apprécie aussi qu’il n’y ait pas un commerce à chaque coin de rue, que ce ne soit pas un temple de la consommation comme Paris. Après un montage, qui s’apparente à une grosse randonnée que tu es ravi d’avoir faite mais que tu ne veux pas refaire tout de suite, c’est ici que j’aime me ressourcer, auprès des miens à la maison. » On l’imagine lové sur son canapé devant un bon film.

Grégoire Remund

Photo: ©Bruno Lévy

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