Sans plaquage et mixte, le rugby à 5 séduit de plus en plus de clubs du département
- Variante du "XV" et lancé dans les années 2010 par la Fédération française de rugby (FFR), le rugby à 5 attire un nombre croissant d’adhérents dans les clubs de Seine-Saint-Denis, qui sont une petite dizaine à en proposer aujourd’hui.
- Se disputant à 5 contre 5 sur des demi-terrains et sans plaquage, cette activité attire aussi bien des hommes que des femmes, des nouveaux pratiquants ou des joueurs confirmés qui apprécient son accessibilité.
« Placez-vous en escalier, prenez de la profondeur, faites vivre le ballon sur toute la largeur ! », « Défendez ensemble en ligne et en avançant (…). Voilà, c’est bien comme ça ! ». Placé au bord du terrain, Arnaud Guenin distille ses conseils et encouragements. Comme tous les mardis soir, cet ancien joueur de rugby à XV anime la séance d’entraînement de rugby à 5 au stade Guy-Boniface, l’antre du Rugby Club de Neuilly-sur-Marne (RCNM). Sur la pelouse grasse et boueuse, qui porte encore les stigmates des fortes précipitations des jours passés, deux équipes, composées d’hommes et de femmes, âgés de 25 à 60 ans au niveau et à la condition physique variables, s’affrontent dans une ambiance bon enfant. Ce petit match, tout le monde l’attendait après un travail soutenu sur le « cardio » suivi d’exercices axés sur les appuis et le placement. « Cette section a vu le jour en 2021 afin de développer le club et d’attirer un public plus large, raconte Arnaud. Dans notre équipe de ‘’R5’’, on compte beaucoup de joueurs qui n’avaient jamais touché un ballon de rugby de leur vie, comme par exemple des parents d’enfants qui jouent chez nous ou d’autres qui ont toujours rêvé de pratiquer sans jamais franchir le pas. »
Au RCNM, la section rugby à 5 a fortement grossi cette année, entre l’effet Coupe du monde – un événement qui a permis à tout un public de néophytes de découvrir le rugby -, le bouche à oreille et une présence accrue du club à divers forums des associations, raouts organisés chaque année en septembre par les villes à destination des habitants. « Nous avons commencé à cinq et nous sommes aujourd’hui une bonne vingtaine », constate le coach. Une progression fulgurante mais guère surprenante au regard de l’accessibilité de cette discipline. Lancé au mitan des années 2010 par la Fédération française de rugby (FFR), le rugby à 5 est une pratique loisir qui met aux prises deux équipes de 5 joueurs sur un terrain de 50 mètres sur 35 et qui se caractérise par l’absence de mêlée et de plaquage, ce dernier étant remplacé par le « toucher à deux mains » pour stopper la progression de l’adversaire (au 6e « toucher », ou quand le ballon tombe, la balle passe à l’autre équipe) ; par sa mixité, les hommes et les femmes (qui représentent 34 % des licenciés en Ile-de-France) peuvent jouer ensemble, ce dont peu de sports collectifs dans le monde peuvent se prévaloir ; et par son ouverture au plus grand nombre, quel que soit l’âge ou la condition physique. Cerise sur le ballon, cette activité conserve les fondamentaux du rugby, à savoir avancer en continuité, soutenir, conserver, presser. Et s’inscrit également dans le cadre du sport-santé après l’obtention d’une prescription médicale.
« Pour moi, à 45 ans, fan de rugby et n’ayant pratiqué qu’à de brefs moments dans ma vie, je réalise un rêve de gosse, s’enthousiasme Antoine, qui a adhéré cette année au Rugby Club de Neuilly-sur-Marne. C’est une très bonne approche du XV car on peut tâter du ballon ovale sans se faire mal. Depuis que je joue, je porte un regard nouveau sur cette discipline, j’ai le sentiment de faire enfin partie de la grande famille du rugby. » Aujourd’hui, il a même été rejoint par sa fille aînée, Emma. « C’est génial de pouvoir faire un sport en club aux côtés de ses enfants, poursuit l’habitant de Neuilly-Plaisance. Dans ces conditions, tant que le corps tient, je ne me vois vraiment pas faire autre chose. » Autre membre de l’équipe, Sandrine a connu un parcours sportif différent. Après avoir longtemps joué au haut niveau, à Bobigny notamment, elle a dû mettre un terme à sa carrière, la mort dans l’âme, à la suite d’une grave blessure. « Quand la section a vu le jour, j’ai décidé, après huit ans d’interruption, qu’il était temps pour moi de renouer avec le rugby, détaille Sandrine. Le R5 ne pouvait pas tomber mieux car je voulais absolument éviter les contacts. Résultat, je prends beaucoup de plaisir, l’ambiance est conviviale, sans prise de tête et on rencontre plein de nouvelles têtes que je n’aurais pas forcément eu la chance de connaître dans un contexte différent. Si les règles diffèrent quelque peu du XV et que l’intensité n’est pas la même, je retrouve quelques sensations et j’entretiens ma condition physique car, mine de rien, on cavale pas mal. »
« Arrêté une semaine après avoir repris le XV »
Arcade ouverte, œil au beurre noir, oreilles en chou-fleur, maillot ensanglanté… Sport de contact, voire de combat, le rugby traîne une réputation de sport violent, à même d’en décourager plus d’un. Avec le rugby à 5, activité familiale s’il en est, la FFR a cherché à attirer de nouveaux pratiquants et à prouver que le maniement du ballon ovale pouvait aussi rimer avec douceur. « Bien qu’en constante évolution, les règles du jeu sont plus simples que celle du ‘’XV’’, souligne Arnaud. Dans cette discipline qui accueille un public hétérogène, un débutant, qui jouera aux côtés de joueurs chevronnés, peut très vite progresser. » Depuis quelques années, l’Ile-de-France, dont le nombre de licenciés a plus que doublé en l’espace de six ans (passant d’environ à 1000 en 2017 à 2300 en 2023), est devenue une terre d’excellence pour le rugby à 5, et la Seine-Saint-Denis n’est pas en reste. A ce jour, sur les dix-sept clubs que compte le territoire, plus de la moitié propose du R5.
Parmi les 75 % de pratiquants franciliens ayant plus de 35 ans, on dénombre beaucoup d’anciens quinzistes, dont le corps se fait moins apte à encaisser les coups et exposés à de nouvelles « contraintes » familiales et professionnelles. Telle est la situation de Jean-Baptiste, 50 ans, qui évolue depuis sept ans au Rugby Club Montreuillois à 5. « Quand, la quarantaine passée, j’ai voulu me remettre au rugby, j’ai compris dès le premier match que ce serait impossible. J’étais tellement broyé après la rencontre que j’ai dû rester alité une semaine et prendre un arrêt de travail, se souvient-il. Puis j’ai découvert qu’on pouvait jouer à 5 différemment et j’ai tout de suite adhéré à cette nouvelle philosophie : on garde l’esprit rugby – la franche camaraderie, les troisièmes mi-temps -, les chocs en moins. En tant qu’ancien première ligne, j’étais rompu aux contacts, mais ici j’ai découvert un jeu d’évitement, de gagne-terrain, avec de longues séquences sans temps mort. C’est très plaisant. » Mathilde, sa compagne, qui n’avait jamais fait de rugby de sa vie et qui n’y avait pas songé un seul instant, l’a imité un an après. « Mon seul regret est de ne pas m’y être mise plus tôt pour oser faire ensuite la bascule vers le rugby à XV, aujourd’hui c’est trop tard », confie la Montreuilloise.
Avec soixante licenciés, le club montreuillois est une des plus grosses structures de R5 du département. « Depuis 2017 et la création de cette section, les effectifs n’ont fait que croître, se félicite David Primaux, le président du club. Les profils de nos licenciés se rangent dans plusieurs catégories : nous avons des anciens joueurs qui se considèrent comme trop vieux ou trop usés pour jouer au ‘’XV’’, des gars de l’équipe première qui, après avoir été blessés, optent pour une reprise en douceur, des parents d’enfants de l’école de rugby qui, à force de suivre les exploits de leur progéniture en tribunes, décident de fouler à leur tour le terrain, et des personnes souhaitant se remettre au sport tout simplement après une longue interruption pour diverses raisons. L’avantage de cette section est qu’en ratissant aussi large, elle prend beaucoup de place et crée énormément de liant entre les différentes catégories, les joueurs, les éducateurs, les bénévoles… Elle est au carrefour de toutes nos activités. »
« Une bouffée d’oxygène dans mon emploi du temps chargé »
Au Rugby Olympique de Pantin (ROP), le R5 a été mis en place en 2018 mais a réellement pris son envol il y a trois ans, au lendemain de la crise du Covid. Le club compte à ce jour 25 licenciés de 25 à 53 ans, dont 40 % de femmes. « On a profité de la Coupe du monde de rugby et du tournoi des VI Nations pour faire la promotion de ce sport. On a tracté sur les marchés avec la même énergie qu’un homme politique en campagne, se marre Thomas Perez-Vitoria, joueur et référent R5 au ROP. Cette pratique représente un levier de développement important pour notre club et un grand pourvoyeur de bénévoles », des nouveaux visages qui ne font pas partie de l’écosystème traditionnel mais qui décident de s’impliquer à leur tour dans la vie du club.
Au Stade Olympique Rosnéen (SOR), les – joliment nommés – Pépés’Rosny se font fort de pratiquer un rugby festif, de participer à des ferias et à des tournois amicaux accessibles à tous plutôt qu’à des compétitions officielles. « L’ambiance est vraiment bonne car personne ne se prend au sérieux », note Céline, qui a été « recrutée » en 2022 après avoir inscrit ses trois enfants. « Je n’étais pas du tout sportive et pourtant, j’ai tout de suite accroché. » À tel point qu’elle est devenue quelques mois plus tard membre du bureau et référente de la catégorie loisirs (qui comprend le R5). « C’est un sport cardio, les débuts ont été compliqués, mais on n’a pas besoin d’avoir un super niveau pour apprécier quand on est entouré de personnes bienveillantes. J’ai trois enfants, le rugby à 5, c’est du temps pour moi, une vraie bouffée d’oxygène dans mon emploi du temps chargé. » Après quatre décennies de pratique, après avoir porté pendant plusieurs années le brassard de capitaine de l’équipe première et présidé un temps à la destinée du SOR, Philippe a longtemps été éloigné des terrains en raison d’une maladie grave. Désormais apte à rejouer, il prend à 62 ans, toujours autant de plaisir. « Se défouler physiquement, établir du lien social avec mes coéquipiers sur et en dehors de la pelouse, s’ouvrir à des nouveaux publics, il n’y a rien de plus important pour moi, assure celui qui fait office de doyen. Le R5 mérite d’être davantage connu. » Thomas, du Rugby Olympique de Pantin, n’en pense pas moins. Et de lancer, sur le ton de ce qui s’apparente aujourd’hui à une plaisanterie mais qui demain n’en sera peut-être plus une : « Le rugby à 7 est olympique, pourquoi le R5 ne le serait-il pas à son tour ? »
Grégoire Remund
Photos: ©Sylvain Hitau