Paris sportifs : une étude pour diagnostiquer, une campagne pour alerter
- En plein Euro de foot, les publicités ciblent une nouvelle fois les jeunes pour les amener à parier en ligne.
- Un moment qu’a choisi le Département pour relancer sa campagne de prévention et présenter une étude sur les risques liés aux paris sportifs.
- Selon cette enquête, 1 jeune joueur sur 4 perd par exemple plus de 100 euros par semaine.
« En vrai de vrai, c’est un vice, parce que quand tu perds et que tu as plus d’argent, tu as envie de dire à tes potes : « envoie moi 10 euros, je les regagne et je te les redonne ». Après ça crée des embrouilles. » Ce témoignage, qui esquisse déjà l’engrenage infernal qui se met en place dans une pratique non contrôlée des paris en ligne, provient de l’étude sur les jeunes de Seine-Saint-Denis et les jeux d’argent.
Parijeunes – c’est le nom de l’enquête – a été commandée par le Département au sociologue Thomas Amadieu pour y voir plus clair sur les usages des paris sportifs et autres jeux d’argent chez les 13-25 ans du territoire et les problèmes qui en découlent.
« En 2022, au moment du Mondial au Qatar, on s’est aperçu de l’agressivité de certaines publicités qui ciblaient particulièrement les jeunes. Et comme par ailleurs, on avait des professionnels de terrain qui nous disaient que beaucoup des jeunes qu’ils accompagnaient jouaient en ligne sans savoir forcément bien le gérer, on a souhaité commander une étude pour quantifier le phénomène », explique Manuel Chambrouty, chef de projet à la Mission métropolitaine de Prévention des Conduites à risques (MMPCR). Ce service du Département se veut notamment un centre de ressources pour aider les professionnels travaillant avec la petite enfance ou les adolescents à reconnaître des comportements de mise en danger comme le harcèlement numérique ou la consommation de drogues.
42 % disent avoir connu de l’anxiété liée aux paris sportifs
Et l’étude, présentée lundi 17 juin au stade Bauer, l’enceinte du Red Star, un club lui aussi impliqué dans la sensibilisation de ses jeunes aux risques liés aux paris sportifs, confirmait qu’il y avait lieu de s’inquiéter : l’âge moyen des parieurs se situe à 15 ans mais 40 % ont commencé à jouer à 13 ans ou plus jeune ; 1 joueur sur 4 perd plus de 100 euros par semaine et 42 % disent avoir connu des problèmes de santé, notamment de l’anxiété, lié à leurs pertes d’argent…
« Un des aspects qui ressort de cette étude, c’est l’extrême jeunesse des parieurs : 14 ans, parfois moins. Ce qui, selon la loi française, est tout à fait illégal », rappelle Thomas Amadieu. Et l’auteur de l’étude, réalisée auprès de 1949 jeunes de Seine-Saint-Denis, de poursuivre : « Les opérateurs de jeux se sont parfaitement adaptés à ce public : on peut jouer avec très peu d’argent, ; et souvent ils offrent la première dose, avec des « free bets », des paris gratuits, qui permettent d’entrer sur la plateforme et d’y prendre goût. »
« Au global, on ne gagne pas d’argent avec les paris sportifs ! »
Rémi Lataste, directeur général de l’Autorité nationale des Jeux, un autre invité de cette table ronde, pointait lui un autre phénomène : « souvent, on pense qu’on peut gagner de l’argent avec les paris sportifs. Je vous arrête tout de suite : c’est légalement construit pour que les opérateurs distribuent moins d’argent qu’on en mise. Un petit chiffre, encore: en France, en un an, il y a simplement 1200 joueurs qui ont gagné plus de 10 000 euros, soit 0,03 des comptes. En clair, c’est une industrie de loisir sur laquelle les gens ne gagnent pas d’argent ! », lançait-il aux jeunes du Red Star et du lycée Bartholdi de Saint-Denis (voir encadré) présents dans l’assistance.
Si le Département a lancé cette campagne, c’est parce que ces prises de risques ont des conséquences souvent très néfastes auprès des jeunes concernés : développement de conduites addictives, pertes d’argent importantes et plongée dans des états d’anxiété ou de dépression.
« Face à tout cela, nous réclamons de l’État une véritable politique de prévention : que les paris en ligne rentrent dans la liste des addictions au même titre que l’alcool et les stupéfiants, que les publicités soient beaucoup plus limitées. Enfin, nous souhaiterions que ces opérateurs soient davantage taxés : rien qu’en 2023, leurs bénéfices se montaient à 1,4 milliards d’euros ! », soulignait ainsi Zaïnaba Saïd Anzum, conseillère départementale en charge des sports.
Une bonne partie des présents restait ensuite dans la salle, en bordure de la pelouse du Stade Bauer, pour la diffusion de France-Autriche, qui marquait l’entrée en lice des Bleus à l’Euro de foot 2022. Rappelant par là quelque chose d’essentiel : pas besoin de parier pour prendre du plaisir !
Christophe Lehousse
Des clips de sensibilisation réalisés par des lycéens
Comme en 2022 lors du Mondial au Qatar, le Département a fait le choix de la parodie pour sensibiliser aux risques liés aux paris sportifs. Sur l’affiche de sensibilisation, le slogan « Le plus important, c’est de gagner » est ainsi devenu « Le plus dur, c’est de tout perdre ». Mais la Mission métropolitaine des Conduites à risques s’est aussi appuyée sur les jeunes eux-mêmes pour produire sa nouvelle campagne. A l’orée d’un été très sportif – Euro et JO dans la foulée – la MMPCR est ainsi tombée sur le travail réalisé par les terminales du lycée Bartholdi de Saint-Denis avec l’aide de l’association « Je suis l’Autre », et a choisi de le mettre en valeur.
Et le résultat va au-delà de tous les paris ! Dans trois courts-métrages là encore parodiques, ces élèves ont su dénoncer avec humour et sens de la répartie les pièges tendus aux jeunes par les opérateurs de paris sportifs. La réalisation de « La Daronne » ou du « Nouveau Roi » auront non seulement mobilisé leurs capacités de tournage, mais aussi d’acting et de prises de parole en public. « Des capacités qui leur serviront pour leurs épreuves- imminentes – du bac », rappelait Ambre Le Guilly, directrice de l’association Je suis l’autre.
« On a dû se mettre dans la tête de jeunes qui perdaient régulièrement des sommes d’argent en pariant. Et à force, tu ressens la douleur, même si c’est pas réel ! 5 euros de perdu par ici, 10 euros par là, c’est chiant. Tu te dis que quand ils mettent vraiment de l’argent ça doit être compliqué… », témoignait Mélanie, en terminale au lycée Bartholdi.
Bien encadrés par des professionnels du scénario ou de la vanne comme Yohan Zaoui ou Mathieu Madénian, ces jeunes auront produit des parodies de grande qualité qui seront notamment diffusées le 1er juillet au cinéma L’Ecran de Saint-Denis.