L’Observatoire des discriminations se place dans les pas des marcheur·euse·s de 1983
- Dans son traditionnel baromètre, l’Observatoire départemental des discriminations et de l’égalité révèle que 69 % des habitant•e•s de Seine-Saint-Denis se sentent discriminés, soit 6 points de plus que l’année dernière.
- Pour sa 3e Rencontre annuelle, tenue le 19 octobre, cette structure avait choisi d’évoquer la mémoire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983.
- Le Département, en compagnie d’autres collectivités territoriales, va aussi porter un plaidoyer pour que l’État se saisisse davantage de ces problématiques.
69 % des habitant·e·s de Seine-Saint-Denis se disent victimes d’une discrimination au cours des 5 dernières années, un pourcentage qui n’a cessé d’augmenter au fil du temps. C’est l’un des enseignements de la 3e Rencontre annuelle de l’Observatoire départemental des discriminations et de l’égalité qui s’est déroulée le 19 octobre au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis.
Créé en 2021 pour lutter contre les discriminations de toute nature dont sont victimes les habitants de Seine-Saint-Denis, cet organisme publiait à cette occasion son traditionnel baromètre annuel. Une étude qui révèle aussi que les discriminations ressenties sur la base de l’origine ou de la couleur de peau ont augmenté de 11 % en 4 ans. « Les principaux enseignements de cette étude sont d’une part que les discriminations ethno-raciales ont augmenté sur le territoire de la Seine-Saint-Denis et que les attentes des habitant·e·s sont gigantesques », analysait Juliette Griffond, responsable de cet Observatoire. Les demandes de solution ou de recours sont ainsi fortes au sein de la population, qui semble par exemple appeler de ses vœux l’ouverture de la fonction publique aux étrangers ne provenant pas de l’Union européenne (62%) ou la mise en place d’un récépissé dans le cas d’un contrôle d’identité (61%).
Un plaidoyer à l’adresse de l’Etat
Dans ce contexte d’augmentation des discriminations et sur fond d’une actualité anxiogène, propre à être instrumentalisée par certains, le président de la Seine-Saint-Denis Stéphane Troussel et la conseillère départementale Oriane Filhol avaient souhaité rassembler à l’occasion de cette journée d’autres collectivités territoriales elles aussi mobilisées sur ces questions : « Ces discriminations sont aujourd’hui pleinement reconnues et pourtant elles progressent. Le Département et d’autres collectivités tentent d’apporter des solutions, mais la réponse doit aujourd’hui se situer à une autre échelle. Il faut aujourd’hui une véritable politique publique de lutte contre le racisme qui doit être portée au plus haut niveau de l’Etat », a ainsi souligné l’élu de Seine-Saint-Denis aux côtés de représentants des villes de Bordeaux, Nantes, Rennes ou encore Grenoble.
Pour autant, ce combat contre la haine et la xénophobie ne date pas d’aujourd’hui et s’inscrit dans une longue histoire. L’Observatoire avait ainsi pris soin de resituer la journée dans l’héritage de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983.
Il y a 40 ans, presque jour pour jour, des enfants d’immigrés décidaient en effet de relier Marseille à Paris au cours d’une longue marche, pour dénoncer d’une part les nombreuses violences policières et crimes racistes advenus au début des années 80 et revendiquer par ailleurs pleinement leur place dans la société française. « Cette marche a été un succès, rappelait à cette occasion le sociologue Foued Nasri : avec 100 000 personnes lors de l’étape parisienne du 3 décembre 1983, elle marque véritablement l’apparition des enfants d’immigrés dans le débat public. En revanche, on peut aussi considérer que ce mouvement n’a pas su capitaliser sur le succès de cette marche, les organisateurs ayant ensuite choisi de retourner à leur vie d’avant. »
La longue marche pour les droits humains
Vibrante et libre, la Rencontre s’efforçait aussi de donner la parole à deux acteur·rice·s de l’époque, aux lectures pas forcément similaires. « En tant que militant des droits humains, j’ai naturellement accueilli les Marcheurs dans le collectif Ménilmontant le 2 décembre 1983. Aujourd’hui, je dois constater que sur le plan de l’égalité, c’est retour à zéro », estimait Rahim Rezigat, ancien militant du FLN pendant la Guerre d’Algérie. Alors que de son côté, Mimouna Hadjam, militante antiraciste de la Courneuve et marcheuse le 3 décembre, s’efforçait de voir le verre à moitié plein : « Evidemment, le bilan est contrasté, mais il est quand même positif. Politiquement, la carte de séjour de 10 ans, les condamnations de crimes racistes qui ont enfin commencé à être prononcées comme dans le cas du meurtre de Habib Grimzi sont des acquis importants. Surtout, cette marche a installé cette idée définitive que le retour des immigrés était un mythe et qu’on ne rentrerait pas dans le pays de nos parents. »
D’autres militantes, présentes dans la salle, tenaient alors à rappeler également la mémoire de la Marche du 23 mai 1998, qui avait elle rassemblé 40 000 personnes, 150 ans après l’abolition de l’esclavage et de la traite des Noirs.
On l’aura compris : jeudi, la mémoire était partout au Théâtre Gérard-Philipe. La mémoire, mais aussi ses filiations. 40 ans après, le Collectif AClefeu, fondé dans la foulée des révoltes urbaines de 2005, ou l’humoriste Tahnee, aux punchlines subtiles, également invités aux Rencontres, peuvent ainsi se considérer comme les héritières des marcheurs et marcheuses de 1983.
Christophe Lehousse
Photos: ©Patricia Lecomte
Un focus sur l’anti-tsiganisme
« Si tu ne trouves pas l’aire d’accueil, cherche la déchetterie. » C’est William Acker, délégué général de l’Association Nationale des Gens du Voyage Citoyens qui rappelait ce dicton répandu parmi les voyageurs. Ce juriste, issu lui-même d’une famille de « voyageurs » originaire de la Sarthe, était invité à faire un point sur les expressions d’anti-tsiganisme, souvent ancrées jusque dans le droit et l’organisation de l’espace français. Dans un exposé passionnant, William Acker s’est attaché à démontrer que « le racisme anti-tsigane, mais pas que, se voit du ciel ». Sur les 1358 aires d’accueil qu’il a répertoriées (toutes les communes de plus de 5000 habitants en France ont l’obligation d’en proposer une), il s’avère ainsi que 7 sur 10 sont situées hors des espaces urbains et que plus de la moitié est à proximité directe d’installations polluantes. La Seine-Saint-Denis, au passage, ne déroge pas à la règle avec par exemple l’aire d’Aulnay-sous-Bois située à proximité de l’échangeur autoroutier et de 2 sites classés Seveso (comportant des risques pour l’environnement et la santé). « La vie de beaucoup de gens du voyage est une succession de discriminations quotidiennes, concernant le logement, mais aussi l’accès à l’école, à la culture ou à l’emploi », a-t-il souligné, en présence aussi de l’association La Voix des Rroms. Et de rappeler que ces relégations avaient des conséquences directes sur la santé et le bien-être des personnes : les gens du voyage ont ainsi une espérance de vie inférieure de 15 ans à la moyenne nationale.
Tous les commentaires1
Oui cette journée dense est satisfaisante du fait des interventions de plusieurs collectivités sur leurs démarches respectives pour aborder les diverses approches et les outils pédagogiques pour mieux lutter contre toutes les formes de discriminations
Oui une journée qui a permis de se pencher sur les mémoires de l’immigration via la Marche pour l’Egalité contre le Racisme et non des celle des Beurs et la colonisation
Important ces échanges sur les pratiques des collectivités présentes à cette journée.
Un premier bilan positif à poursuivre
Mahfoud Rezigat (Rahim)
Porteur et Passeur de Mémoires contre l’Oubli
France-Algérie : Colonisation – Immigration