Titiou Lecoq : Une plume pour l’égalité
Installée dans le Bas-Montreuil depuis 10 ans, Titiou Lecoq est une autrice de référence sur les questions de l’égalité femmes-hommes. Son dernier livre aborde la question du couple et l’argent et de la différence flagrante de patrimoine entre les hommes et les femmes. Interview.
Quels sont vos liens avec la Seine-Saint-Denis ?
J’ai grandi à Paris et étudiante je suis venue m’installer à Bagnolet. Jeune salariée, je suis retournée vivre à Paris puis quand j’ai eu des enfants, évidemment, je suis revenue en Seine-Saint-Denis. Je suis hyper contente d’ élever mes enfants dans le 93 et j’adore mon quartier de Montreuil.
Au départ pourquoi avoir choisi la banlieue est ?
C’est un hasard territorial mais assez logique. J’allais au lycée Maurice-Ravel dans le 20ième à Paris et déjà des élèves de Montreuil y étaient scolarisé·e·s. Quand mes enfants ont intégré leur école maternelle à Montreuil, j’ai retrouvé parmi les parents d’élèves des copains de lycée. Les populations du 20ième ont eu tendance à se déplacer à l’est… Le coup de cœur pour ma ville est arrivé après, car pour qu’il ait lieu, il fallait la connaître.
Vous avez par le passé collaboré avec l’Observatoire départemental des violences envers les femmes. Comment l’avez vous connu ?
En 2016, j’ai commencé à faire pour le journal Libération le recensement des féminicides avec un travail sur le continuum des violences intrafamiliales et je me suis donc intéressée à ce que faisait l’Observatoire. Un jour Ernestine Ronai m’a contactée pour une de ses Rencontres et on en a fait plusieurs ensemble. Après, quand mon livre sur les femmes effacées de l’Histoire est sorti, on m’a proposée beaucoup d’interventions dans les lycées et comme je ne peux pas toutes les faire et dois refuser beaucoup de propositions, je privilégie celles dans le 93, même si parfois on peut mettre 2 heures pour aller d’un bout du département à l’autre. La dernière fois qu’Ernestine Ronai m’a proposée une intervention c’était dans un lycée professionnel et évidemment j’ai dit oui. Je suis très admirative de son travail car elle est sur le concret, sur les solutions et elle était sur le terrain bien avant #MeToo.
Concrètement de quoi parlez-vous dans vos présentations en lycée ?
Cela dépend de ce que me demandent les enseignant·e·s. Depuis deux ans, un groupement de textes féministes (avec Olympe de Gouges par exemple) est proposé au BAC français. Je suis invitée dans ce cadre là. Les thématiques abordées sont assez variées. Cet hiver je suis intervenue au lycée Paul-Eluard de Saint-Denis. J’ai traité du sujet des féminicides et comment ils ont longtemps été relatés dans les médias. Dire « un drame familial s’est produit cette nuit » n’est pas la même chose que dire « cette nuit un homme a éventré sa compagne avec un couteau ». Parfois j’interviens sur des sujets plus historiques comme la langue française et j’explique que le masculin qui l’emporte sur le féminin n’a pas toujours été la règle. Ce que je préfère dans ces interventions ce sont les questions réponses avec les élèves. Ils et elles peuvent poser des questions sur des sujets qu’ils et elles n’ont pas l’habitude d’aborder. Quand je leur demande « mais entre vous, vous parlez de l’égalité filles-garçons ? », généralement la réponse est « jamais »… C’est un moment où peut exister un échange d’opinions. Et puis c’est une façon de leur montrer qu’on peut être féministe et sympa, qu’on peut même être drôle et qu’on n’est pas là contre les garçons mais pour aider tout le monde.
A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars, quelle est votre vision de l’égalité femmes-hommes aujourd’hui, en 2023 ?
J’ai grandi avec l’idée qu’on y était à l’égalité. Grosso modo je savais qu’il y avait des discriminations économiques notamment mais au fil de mon travail j’ai réalisé combien on en était loin de l’égalité. Dans mon cheminement personnel j’ai même compris que je ne verrai pas l’égalité femmes-hommes en France de mon vivant. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas continuer la lutte. Au contraire. C’est Annie Ernaux qui dit que la lutte est magnifique et que ce n’est pas grave si on ne voit pas immédiatement les résultats.
Votre dernier livre Le Couple et l’argent* est-il une continuité de vos ouvrages Libérée le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale et Les grandes oubliées. Pourquoi l’Histoire a-t-elle effacé les femmes ?
Oui. J’ai l’impression d’avoir fait une trilogie d’essais féministes et de conclure quelque chose. En le rédigeant je me suis dit « Mais comment je ne me suis pas intéressée à cette thématique de l’argent avant alors que c’est fondamental !?! ». D’ailleurs l’argent demeure un sujet tabou en France de manière générale.
Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée pendant vos recherches ?
La surprise n’est pas venue des inégalités mais de l’importance de ces inégalités. En moyenne les femmes gagnent 32 % de moins que leur conjoint au sein du couple et cette différence est énorme.
Comment l’expliquez-vous ?
Concrètement la structure couple enrichit les hommes et appauvrit les femmes car très vite va se mettre en place une spécialisation. L’un (l’une en majorité) va surtout gérer la maison et la famille et on sait que c’est une charge énorme. L’autre va prioriser son emploi. On a vu par exemple qui pendant le confinement avait le travail le plus important et qui a eu le droit de faire ses réunions Zoom et n’avait pas à faire l’école à la maison… Cette spécialisation entraîne un écart de revenu très important. De plus, quand une femme a un enfant, elle va accuser un retard de carrière avec une perte de salaire alors qu’un homme qui devient père, statistiquement, c’est un bonus pour son évolution professionnelle. Il sera vu comme digne de confiance, fiable, un chef de famille, soit quelqu’un à qui on va pouvoir confier des responsabilités…
Pourquoi un tel schéma ?
C’est l’historienne Michelle Perrot qui m’a donné une explication. Historiquement et socialement la féminité est associée au don. Être une femme, c’est donner. On donne la vie, on donne notre lait, on donne notre temps, on prend soin etc. Il y a donc une idée de sacrifice de soi qui est l’antithèse de gagner de l’argent et de gagner en puissance.
Cela explique aussi pourquoi les femmes ont plus de mal que les hommes à revendiquer ou négocier une augmentation de salaire par exemple. Car ce serait être une « mauvaise femme » de le faire et il y a presque quelque chose de contre nature, de biologisant.
En 2023, plus de femmes vivent en union libre ou pacsées qu’autrefois où la règle était le mariage traditionnel sous le régime de communauté des biens. Qu’avez-vous observé ?
Quand on se penche sur le sujet, il est intéressant de remarquer que des décisions d’indépendance comme ne pas se marier sont des décisions qui appauvrissent les femmes mais elles n’en ont pas conscience. Moi je n’avais pas pensé à cet aspect avant de plancher sur mon livre. Faire la communauté des biens permettaient de partager entre celui qui avait et celle qui avait moins, car c’était la femme qui avait moins, et de repartir la richesse au sein des couples. En union libre, on ne répartit pas les revenus, on répartit les dépenses. Pour ma génération qui se marie peu, il n’y aura pas de pension de réversion par exemple. Or à l’heure actuelle, beaucoup de femmes ont des retraites miséreuses et n’arrivent à s’en sortir qu’avec la pension de réversion de leur mari. Ainsi des aspects du système patriarcal qui pouvaient paraître arriérés étaient au final des filets de sécurité financière pour les femmes. Beaucoup perdent ces sécurité financières tout en continuant de prendre en charge la maison, sans avoir les mêmes carrières professionnelles que les hommes.
Comment anticiper ou remédier à cela ?
La clé est l’éducation économique et financière. Il faut se rendre compte que toutes les dépenses ne sont pas les mêmes. Il y a des dépenses qui font des revenus, d’autres non. Hélas on sort de l’école sans avoir aucune formation à ce sujet (sans savoir analyser une fiche de salaire, comment fonctionne la TVA etc) en particulier si on est dans un cursus littéraire. Heureusement, on est à une époque où le sujet émerge et où il est plus facile d’accéder à des connaissances via des comptes Instagram, des newsletters, des podcasts, des formations en ligne pour comprendre comment mieux gérer son argent, analyser sa situation financière en couple…
Que conseillez-vous à des jeunes qui songent à se mettre en ménage ?
Le premier point est de se poser face à face et parler d’argent rapidement. En fait ce sont de vraies décisions politiques au sein du couple. Est-ce que celui ou celle qui gagne le plus, paie le plus ? L’important est de savoir qui paie les grosses dépenses car ce sont généralement elles qui créent du patrimoine ou du revenu. En clair, si vous êtes la personne qui gagne le moins dans le foyer, vous avez intérêt à rembourser les grosses dépenses, comme le crédit immobilier, le crédit de la voiture et moins payer les courses alimentaires car ce sont des dépenses « qui ne valent rien ». C’est la théorie du pot de yaourt dont je parle dans mon livre ; une fois le yaourt mangé et jeté, il n’a plus de valeur. Une fois l’appartement ou la voiture payés, ils créent du patrimoine et peuvent être loués ou revendus.
Comment faire pour qu’il y ait plus d’égalité au sein du couple ?
Ce sont des choix personnels. Mon but est simplement que chacun·e soit informé·e des implications de ses décisions et que les personnes aient toutes les cartes en mains. Le problème de fond est de ne pas savoir. Pour moi l’enjeu majeur est l’accès aux connaissances.
Depuis la parution de votre premier livre, quelles évolutions pouvez-vous observer de manière générale ?
Pendant la promotion des Morues en 2011, je voyais comment les journalistes étaient gênés de qualifier mon livre de féministe. Je devais les rassurer en leur disant qu’il n’y avait aucun problème d’employer ce mot pour moi ou mon travail. Le plus gros changement auquel j’ai assisté est voir le féminisme de nouveau sur le devant de la scène. On nous écoute désormais et cela a permis d’aborder plein de sujets. Une ébullition intellectuelle a pu émerger avec le mouvement #MeToo. On a pu libérer la parole sur les violences sexuelles. Je ne sais pas si en termes de solutions on y est, mais, en termes de prise de conscience, il s’est vraiment passé quelque chose ces dix dernières années.
*paru aux éditions L’Iconoclaste
Photographie Céline Nieszawer/Leextra/L’Iconoclaste
Propos recueillis par Sandrine Bordet, avec la participation de Carine Arassus.
Retour en VIDÉO sur la 16e Rencontre départementale de l’Observatoire des violences envers les femmes du 6 mars 2018 (avec la participation de Titiou Lecoq) à la Bourse du travail à Bobigny, dans le cadre de la Journée internationale pour les droits des femmes et dont le thème était la prise en compte de la parole des femmes.