Festival Oxfam en Seine-Saint-Denis : « Nous nous retrouvons sur la lutte contre les inégalités »
- Les 7 et 8 octobre, Oxfam organise son tout premier festival à Saint-Ouen, en partenariat avec la ville et le Département.
- En plus de concerts, d’ateliers dédiés à la démocratie locale, d’un magasin solidaire, cette ONG présente en France et dans le monde en profitera pour sensibiliser aux inégalités et à la pauvreté.
- L’occasion pour Stéphane Troussel, président de la Seine-Saint-Denis et Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France, d’échanger sur les priorités actuelles dans le département, ses atouts et ses besoins.
Mme Duflot, pourquoi avoir choisi Saint-Ouen pour ce tout premier festival Oxfam ?
C’est un choix réciproque. On avait choisi la Seine-Saint-Denis parce qu’on voulait un territoire populaire, jeune, riche culturellement et où les passerelles existent avec le Sahel, qui est une des thématiques de ce festival. Et Karim Bouamrane, le maire de Saint-Ouen, ainsi que Stéphane Troussel se sont montrés extrêmement enthousiastes.
Est-ce le premier partenariat entre le Département et Oxfam ?
Stéphane Troussel : D’un point de vue institutionnel, c’est effectivement une première. Après, ce n’est pas le premier contact qu’on a avec Oxfam. Cécile était par exemple déjà venue à l’invitation de l’Observatoire départemental contre les discriminations en janvier dernier, pour parler des discriminations environnementales. Et j’avais répondu à l’appel d’Oxfam pour signer une tribune sur l’égalité femmes-hommes, un autre grand sujet sur lequel le Département s’engage.
Cécile Duflot : Il n’y a certes pas de partenariat institué, mais nous nous retrouvons sur la lutte contre les inégalités. S’il y a un département qui incarne vraiment cette question, c’est bien la Seine-Saint-Denis.
Pour construire ce festival, vous vous êtes appuyés sur un certain nombre d’associations locales…
Cécile Duflot : On ne voulait pas qu’Oxfam fasse un festival hors-sol, on voulait construire ensemble avec les associations, surtout dans un territoire aussi engagé comme l’est la Seine-Saint- Denis. On a donc travaillé avec des artistes qui ont des attaches en Seine-Saint-Denis, des associations qui font de la médiation sur les questions de démocratie locale, on a aussi un partenariat avec le Bondy blog, qui fera deux émissions en direct. Et toute la restauration sera assurée par des partenariats locaux.
Vous l’avez dit, le combat commun entre Oxfam et la Seine-Saint-Denis, c’est notamment celui contre les inégalités. Comment se fait-il que dans la région la plus riche de France, la Seine-Saint-Denis soit un des départements les plus pauvres de France ?
ST: On est effectivement le territoire le plus jeune et le plus pauvre de France métropolitaine. Et on l’est au sein de la région la plus riche du pays, qui représente un tiers du PIB national. Mais j’ai toujours considéré que ce déséquilibre n’était pas une fatalité. Il est le résultat d’un certain nombre de choix, de politiques publiques qui selon moi ne vont pas dans le bon sens. Il y a par exemple un gros problème de niveau des services publics, qui vient du fait que l’État, depuis 30 ans, a accepté d’abdiquer face aux politiques néo-libérales et de se désarmer en moyens logistiques, humains, financiers… Mais ce n’est pas irrévocable.
CD: La question effectivement n’est pas tant : « comment en est-on arrivé là ? », mais « comment fait-on pour que ça s’arrête ? » Comme le dit Stéphane Troussel, il n’y a aucune fatalité à la pauvreté ou aux inégalités, c’est uniquement la résultante de choix ou de non-choix politiques. Et Oxfam a établi qu’un certain nombre de politiques publiques fonctionnent : des politiques d’accès aux services publics fondamentaux que sont l’éducation et la santé, où se nichent le plus d’inégalités. Nous avons par exemple publié un manifeste fiscal, qui comprend 15 mesures pour des ressources de 65 millards d’euros et 15 pistes d’investissement. Ces propositions, on les met dans le débat public.
Le pouvoir d’achat est au centre des préoccupations de beaucoup de Français. En janvier, Oxfam pointait le fait que 66 % des ménages modestes n’arrivent plus à assurer 3 repas par jour à leur famille. Quels sont les moyens d’action d’un Département ou d’une ONG face à cela ?
ST : C’est la mission des départements que de mener des politiques de solidarité pour les personnes les plus fragiles, les personnes âgées, les collégiens… En mettant en place le chèque réussite, une aide de 200 euros pour tous les enfants entrant en 6e dans un collège public, ou en assurant désormais des repas bio et végétariens dans nos cantines, je considère que nous agissons. En janvier prochain, nous expérimenterons aussi un chèque alimentation durable, soit 50 euros par personne et par mois à destination d’un millier environ de personnes précaires. Bref, on essaie de faire ce que d’autres ne font pas, avec les moyens qui sont les nôtres.
CD : Depuis notre rapport de janvier, la situation s’est aggravée. On le voit quand de grandes associations en charge du dernier maillon de la solidarité – les Restos du Coeur, le Secours populaire – disent qu’ils ne s’en sortent plus. Nous sommes face à un sujet de redistribution: il y a la question de l’augmentation des salaires et des minimas sociaux, mais aussi celle des marges des industriels de l’agro-alimentaire qui en profitent pour augmenter leurs prix. En fait, c’est notre modèle d’alimentation qui est en débat : est-ce qu’on veut une société où on décide que l’alimentation doit être protégée ou est-ce qu’on veut un monde où l’industrie agroalimentaire profite de la situation pour augmenter encore les dividendes de ses actionnaires ?
Ici aussi, en Seine-Saint-Denis, les habitants aspirent à manger mieux, à polluer moins… Mais la réalité économique fait aussi que beaucoup de foyers doivent choisir entre fin du mois et fin du monde. Comment faire pour que les territoires populaires ne soient plus placés face à ce dilemme ?
CD : Clairement on est en train de rater une marche sur ce sujet. Alors même qu’on a désormais des diagnostics très clairs sur les méthodes à mettre en oeuvre. Le rapport Pisani-Mahfouz par exemple explique bien quel est le coût écologique de la transition et que ça passe par une attention portée aux plus modestes. On doit absolument lier les dimensions écologiques et sociales. Si on ne fait pas maintenant les investissements publics qui s’imposent en matière d’alimentation, mais aussi de transports, de rénovation thermique, l’inaction coûtera beaucoup plus cher, socialement, climatiquement et politiquement parlant…
ST : C’est une évidence, il ne peut y avoir de transition écologique sans justice sociale. Je ne peux pas dire à l’auxiliaire de vie de Clichy-sous-Bois qui va travailler tous les jours dans les Hauts-de-Seine qu’elle ne peut pas prendre sa voiture, quand on voit le peu d’alternatives en transports en commun qu’elle a… Ca veut dire qu’il faut de l’investissement public et des choix économiques et fiscaux qui acceptent de s’attaquer aux inégalités… Et c’est d’autant plus urgent que face au défi du réchauffement climatique, l’aggravation des inégalités n’est plus seulement un problème de justice ou de morale. Cela pose aussi un problème démocratique : on le voit dans l’abstention, dans un désenchantement citoyen à l’égard des institutions politiques.
Sur le festival, vous avez invité 3 femmes originaires du Sahel. Pourquoi ce focus sur cette partie du monde ?
CD : Elles s’appellent Epiphanie Nodjikoua Dionrang, présidente de la Ligue des droits des femmes au Tchad ; Malika Ouattara, chanteuse de slam burkinabè et Adam Dicko, entrepreneuse au Mali. Nous les appelons les justicières du Sahel. L’idée est notamment de montrer que le dérèglement climatique est un enjeu qui nous touche tous, que ces questions-là se posent de la même manière au Sahel qu’en Seine-Saint-Denis. Et puis, au vu des derniers événements dans ces pays (coups d’État au Burkina, au Niger et au Mali), il est vital de maintenir le dialogue.
Les ponts avec cette partie du monde en Seine-Saint-Denis sont déjà forts, du fait par exemple de la présence d’une diaspora malienne. On voit notamment que certains savoir-faire en matière d’agriculture urbaine nous viennent de personnes qui ont dû fuir leur pays d’origine. L’occasion de rappeler aussi que l’immigration est une chance ?
ST : Nous, on considère évidemment que l’immigration est une richesse, que cette diversité de la Seine-Saint-Denis doit être valorisée. Mais il faut que le pays tout entier en prenne conscience. Face à des défis qui se posent déjà à notre pays comme le vieillissement de la population, l’immigration est une solution. Pour créer de la richesse, pour répondre à certains défis. Il faut arrêter d’écouter ces charlatans qui désignent l’immigration comme un problème : c’est un mensonge, et c’est irresponsable au regard des mouvements de population, des guerres et du réchauffement climatique.
CD : J’ajoute que face au défi du changement climatique, on va tous devoir apprendre les uns des autres et notamment de ceux qui le connaissent déjà depuis longtemps. Comment fait-on dans un pays comme la France, qui est surhabitué à l’irrigation ? Eh bien en s’inspirant par exemple des pays du Sahel qui ont déjà l’habitude d’être bien plus économes sur leurs ressources en eau.
Sur la question de l’éducation, le Département est particulièrement volontariste. Il ne se contente pas de construire des collèges, mais propose aussi quantité de ressources, de parcours pédagogiques. L’idée c’est de dire qu’on doit pouvoir réussir en Seine-Saint-Denis aussi bien qu’ailleurs ?
ST : Evidemment. Le Département consacre des moyens conséquents à cette mission essentielle : 1 milliard pour le plan éco-collèges, 10 millions par an sur l’accompagnement des projets culturels, artistiques, sportifs. Mais je reste très préoccupé sur cette question, car on va tout droit vers un système à deux vitesses. D’un côté, on voit bien que dans certains endroits de Seine-Saint-Denis, la mixité sociale se développe. Mais on ne la retrouve pas au collège. Tout simplement parce que face à un manque de moyens constaté dans le public – les non-remplacements de professeurs qui font perdre jusqu’à un an de scolarité à certains élèves – certains parents font le choix de mettre leurs enfants dans le privé. Là aussi il faut changer de braquet… Je porte auprès du Ministère de l’Education nationale des mesures fortes pour créer un choc d’attractivité pour les collèges publics de Seine-Saint-Denis. Pourquoi ne pas fusionner la Seine-Saint-Denis avec l’académie de Paris pour mutualiser les moyens ? Il faut mettre le paquet pour les collèges de Seine-Saint-Denis : filières d’excellence, moyens renforcés… La mixité dans les collèges est un atout pour faire réussir tous nos élèves.
CD : En France, on a un discours très « l’école, sanctuaire de la République », mais c’est aussi oublier que c’est le berceau des inégalités. Les ados sortent plus inégaux de l’école qu’ils n’y sont entrés, forcément ça doit interroger… On investit plus d’argent public dans des lycées de centre-ville qu’en Seine-Saint-Denis… Mais encore une fois, tout ça n’est pas figé ; il faut se battre pour une inflexion des politiques publiques dans ces domaines. J’ajoute qu’une école forte, où qu’on soit dans le monde, est aussi la meilleure des garanties pour l’égalité femmes-hommes. Plus on donne aux filles la possibilité de s’éduquer, moins elles sont la proie de mariages ou de grossesses forcées…
Enfin, le festival va se dérouler à Saint-Ouen, à deux pas du village des athlètes qui sort de terre. Les Jeux olympiques et paralympiques sont-ils selon vous une chance pour la Seine-Saint-Denis ?
CD : Oxfam n’a pas d’avis général sur les Jeux. Mais quand on regarde ce qui s’est passé dans d’autres pays, ça peut être le pire comme le meilleur. Les Jeux d’Athènes 2000 ont par exemple complètement déséquilibré l’économie de la Grèce, ils ont été un facteur de destruction de l’environnement à Sotchi en Russie. Force est de constater que dans la plupart des cas, ça a été un facteur d’aggravation des inégalités. Alors c’est vrai, pour Paris 2024, la vigilance n’est pas du tout la même. Insérer les équipements dans des quartiers existants et avoir des installations qui durent a été une préoccupation dès le départ. Pour résumer, je dirais que les Jeux n’ont pas plus de vertus qu’ils n’ont de défauts.
ST : Je ne considère pas qu’on va régler tous les problèmes de la Seine-Saint-Denis avec les Jeux. Et en même temps, on a décidé d’en tirer tout ce qu’on pouvait. Quand on voit que 80 % des investissements pérennes à l’occasion de ces Jeux se font en Seine-Saint-Denis, c’est une très bonne chose. Cela permet aussi d’accélérer la bifurcation écologique du territoire, en dépolluant le Terrain des Essences à Dugny, en enfouissant les lignes haute tension à l’Ile Saint-Denis, en développant les mobilités douces. Et puis il y a aussi la question de l’héritage immatériel : je suis par exemple fier de dire que la Seine-Saint-Denis va sans doute permettre un changement dans le regard sur le handicap en ayant choisi de porter le Prisme, le plus grand équipement sportif d’Europe ouvert à la pratique du para-sport. Après, tout reste perfectible. Je suis d’ores et déjà assez déçu sur le chapitre de l’Olympiade culturelle : je pense qu’un pays comme la France, aussi riche culturellement, aurait pu davantage se saisir de ces questions-là. Nous allons jusqu’au bout nous mobiliser pour des Jeux durables qui profitent aux habitants, nous jugerons le bilan après les Jeux.
Propos recueillis par Christophe Lehousse
Photos: ©Nicolas Moulard
Festival Oxfam en Seine-Saint-Denis : par ici le programme !
Ce premier festival Oxfam se veut populaire, enthousiaste et bien sûr festif ! Voilà pourquoi il fait aussi la part belle aux énergies créatrices du territoire. Les 7 et 8 octobre prochains, sur la place Jean-Jaurès de Saint-Ouen, les activités seront en bonne partie proposées par des associations locales. Cité des Chances, association incitant à l’expression populaire, invitera ainsi au débat et aux échanges autour des notions, fondamentales pour Oxfam, d’égalité et de juste répartition des richesses. Des débats largement relayés par le Bondy Blog, media citoyen, qui animera pendant ces 2 jours une émission de radio à laquelle participeront également des jeunes du Red Star, club de foot emblématique de Saint-Ouen.
Côté concerts, tous gratuits, là encore des institutions locales sont à l’oeuvre, avec les scènes du département Mains d’Oeuvres (Saint-Ouen) et Canal 93 (Bobigny). Les têtes d’affiche se nomment Tracy de Sâ, Lass, ou encore Tiken Jah Fakoly. Ce focus sur l’Afrique se retrouvera dans les 3 invitées d’honneur du festival, Epiphanie Nodjikoua Dionrang, présidente de la Ligue des droits des femmes au Tchad, Malika Ouattara, chanteuse de slam burkinabè et Adam Dicko, entrepreneuse au Mali, venues pour parler de la situation des femmes au Sahel. Ajoutez à tout cela des offres de restauration aussi cosmopolites que l’est la Seine-Saint-Denis, et tout est réuni pour un festival chaleureux et porteur d’espoirs.