A l’hôpital Delafontaine, une œuvre d’art pour se souvenir de la période Covid

A l’hôpital Delafontaine, une œuvre d’art pour se souvenir de la période Covid
Saint-Denis
  • Une œuvre d’art, réalisée par l’artiste plasticien Mehdi Meddaci, a été inaugurée vendredi 8 décembre devant l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, à la mémoire des morts du Covid, mais aussi de la solidarité entre la ville et son hôpital qui a eu lieu à ce moment-là.
  • A Delafontaine, 500 patients sont décédés du Covid pendant les vagues successives de la pandémie, et 3500 autres ont été soignés.
  • Mais la sculpture, financée en partie par le Département, se veut aussi une « oeuvre dédiée à la vie, au lien et à la bienveillance. »

Sur l’écran, les mains se tendent, s’animent, s’enlacent parfois. Elles font écho à d’autres moulages de mains qui, elles, sont perchées dans un arbre planté sur le parvis de l’hôpital Delafontaine.

Trois ans après la vague meurtrière du Covid, qui aura eu un impact particulièrement lourd en Seine-Saint-Denis, le plus grand hôpital de Saint-Denis souhaitait commémorer cette période, si possible par une œuvre d’art.

« Pendant le Covid, il y a eu tout ce discours sur les métiers essentiels et secondaires, parmi lesquels on rangeait tout à coup la culture. Alors que nous, on pense au contraire que la culture est essentielle », resitue d’emblée Isabelle Marin, médecin à l’origine du projet artistique avec d’autres membres du personnel hospitalier. Faire une œuvre d’art devant Delafontaine, c’était donc une manière de revenir sur cette période tourmentée, mais aussi ne pas oublier les artistes », poursuit cette professionnelle retraitée, mais qui avait dû reprendre du service au moment du Covid.

L’œuvre d’art en mémoire de la bataille contre le Covid a été inaugurée en présence de l’adjointe au maire de Saint-Denis à la santé Katy Bontynck, de l’artiste Mehdi Meddaci, du président de la Seine-Saint-Denis Stéphane Troussel, du maire de Saint-Denis Mathieu Hanotin, du directeur du centre hospitalier de Saint-Denis Jean Pinson (de d.à g.)

Installée sur le parvis de l’hôpital Delafontaine, « Se souvenir de quelques choses », réalisée par l’artiste plasticien Mehdi Meddaci, entend notamment célébrer la solidarité ville-hôpital qui s’est manifestée à ce moment-là.

« J’ai souhaité m’attarder sur la symbolique de la main, et de la main en vidéo, parce qu’une main en mouvement crée immédiatement un sentiment d’empathie », expliquait l’artiste, habitué à travailler sur des œuvres dans l’espace public.

Et ces mains qu’on voit défiler sur l’écran, ce sont ou pourraient être celles d’Elisa, en médecine interne à Delafontaine, Sarah, psychologue, mais aussi celles de Josiane ou Marie-Hélène, bénévoles qui auront fourni le personnel en repas et gâteaux faits maison pendant le Covid ou encore Béatrice ou Charlotte, dans l’équipe des « factrices » pendant la crise sanitaire.

Des bénévoles qui faisaient le lien

« Pendant les confinements, on faisait le lien entre l’hôpital et les familles, se rappelle notamment Béatrice Gaussorgues. On a beaucoup ramené les sacs de linge sale et propre, les chargeurs de téléphone portable aussi qui étaient essentiels pour que les malades, coupés de leurs familles, puissent communiquer avec elles. »

Cette habitante de Saint-Denis se remémore notamment une image qui lui glace encore le sang : « Une des psychologues m’avait demandé d’accompagner un jeune mineur isolé à l’enterrement de sa tante, pour ne pas qu’il ait à l’enterrer seul. Je me souviens encore des convois qui faisaient la queue à l’entrée du cimetière de La Courneuve. Les pelleteuses qui creusaient de nouveaux trous ne s’interrompaient que le temps des prières pour chaque mort, puis elles reprenaient », raconte cette bénévole en soins palliatifs depuis 2004.

A côté de la vague de mort ressentie à ce moment-là, Isabelle Marin veut elle se souvenir de toute la « créativité » qui s’est fait jour : « Evidemment, c’était dur, mais aussi parce qu’on cache un peu trop la mort d’habitude à l’hôpital. Là, il y en avait tellement qu’on ne pouvait plus y échapper. Face à ça, il fallait être dans la vie. Par exemple, on avait des soignants, eux-mêmes en convalescence de Covid, qui devaient travailler leur souffle. Plutôt que de le faire de manière rébarbative, on a fondé une chorale, parce que chanter, ça implique d’avoir du souffle. Eh bien, cette chorale existe encore aujourd’hui », remarque cette cheville ouvrière de Delafontaine.

Surmortalité de 130%

Durant cette période extrêmement dure, 500 patient·e·s seront décédé·e·s du Covid à l’hôpital Delafontaine pendant les vagues successives de la pandémie, et 3 500 autres ont été soignés. Avec une surmortalité de près de 130 % (contre 74 % pour Paris), la Seine-Saint-Denis aura été l’un des départements de France métropolitaine les plus durement touchés. « Non pas parce que les habitant·e·s du département n’auraient pas respecté les confinements, comme on a pu l’entendre à l’époque, mais parce que beaucoup d’entre eux•elles n’ont jamais arrêté d’être en première ligne – personnel paramédical, auxiliaires de vie, chauffeurs, caissier·ère·s, éboueur·se·s – et étaient donc plus exposé·e·s », comme le rappelait Stéphane Troussel. Le président du Département de la Seine-Saint-Denis rappelait ainsi qu’il n’avait pas hésité au moment de co-financer l’œuvre mémorielle sur le parvis de Delafontaine : « En Seine-Saint-Denis, nous croyons à la puissance de l’art pour se souvenir, créer du commun. C’était donc très logique de compter parmi les soutiens financiers ».

En juillet 2020, une chorale s’est formée à l’hôpital Delafontaine, qui a perduré jusqu’à aujourd’hui.

Trois ans plus tard, et alors que la crise de Covid avait révélé à quel point l’hôpital public manque de moyens, où en est la situation d’un hôpital comme celui de Delafontaine ?

« Il y a un manque d’effectif paramédical, notamment parce que beaucoup d’infirmières sont parties. Il y a aussi des métiers en tension sur le médical, explique Elisa Pasqualoni, en médecine interne. Ces départs sont liés en partie à l’épuisement post-Covid, mais tout ça rejoint aussi une logique de l’hôpital-entreprise qui ne doit pas cesser de produire. Alors que le souhait des personnels est d’avoir des projets communs sur lesquels ils puissent travailler, qui redonnent du sens ». Le comité de suivi de l’œuvre mémorielle ou le groupe de travail « multiculturalité » animé par un sociologue et plusieurs médecins de l’hôpital peuvent être vus comme tel.

Christophe Lehousse

Photos: ©Nicolas Moulard

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