Quand la Seine-Saint-Denis met la main au PAT…

Quand la Seine-Saint-Denis met la main au PAT…
Bien (se) nourrir
  • Lancé en 2022, le PAT ou Plan Alimentaire Territorial de la Seine-Saint-Denis a pour objectif de faciliter « l’accès à une alimentation saine pour toutes et tous. »
  • Un plan qui associe aux côtés du Département, acteur•rice•s de l’économie sociale et solidaire, associations et chercheur·se·s réuni·e·s, vendredi 9 juin à Saint-Denis, à l’occasion de sa seconde Rencontre annuelle.
  • Au cœur des discussions, l’ambition de « créer une dynamique commune » pour faire vivre un modèle alimentaire durable en Seine-Saint-Denis.

Dans l’ombre de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) Paris Nord à la Plaine-Saint-Denis, Louis est un jardinier matinal dans les allées du potager du Campus Condorcet : « Je m’y mets depuis peu», raconte cet étudiant en sociologie. Pour l’instant, je regarde surtout pousser ! Mais, je compte bien faire une première de récolte de légumes cet été… »

Dans les entrailles de la MSH, quelques minutes plus tard, ce vendredi 9 juin, il était temps, cette fois, de se pencher sur la croissance du Plan Alimentaire Territorial (PAT) de la Seine-Saint-Denis lancé en février 2022, au cours de la «Rencontre annuelle du PAT. » Une matinée qui réunissait chercheur.e.s, porteur·se·s de projets ou élu·e·s de collectivités engagées dans des dynamiques alimentaires à travers l’Hexagone.

Avec pour toutes et tous, le même objectif en commun résumé par Stéphane Troussel, le président du Conseil départemental, en ouverture des débats : « Rendre l’alimentation durable et de qualité accessible à toutes et à tous. »

Ce que fait déjà le Département en travaillant à amener la restauration dans les cantines des collèges vers le 100% bio et local d’ici 2027. Ou en expérimentant à partir de 2024, le « chèque alimentation durable » avec l’association Action contre la Faim« Une aide financière de 50 euros par personne et par mois pendant 6 mois avec une bonification financière lorsque les achats sont « durables », a détaillé Stéphane Troussel.  Et de poursuivre : « Ce chèque sera une première esquisse d’une sécurité sociale de l’alimentation, une première pierre dans l’espace public pour démontrer qu’on peut agir sur ce sujet. Nous défrichons, nous creusons un sillon, c’est tout l’objet du PAT. » Au cours de ces 2e Rencontres du PAT, réflexions, propositions, pistes d’actions ont donc nourri un plan dont l’objectif est de « Produire des possibles, Agir et expérimenter et Tisser des liens. » En voici déjà quelques-unes…

 

Un terreau à entretenir

S’il existe aujourd’hui près de 400 lieux d’agriculture urbaine et d’alimentation durable en Seine-Saint-Denis, on peut parfois se sentir seule comme Marie-Thérèse, en charge de l’Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) des Castors bios à Montreuil : « Je me sens infiniment petite par rapport à la mise en place d’un PAT, je vois mal comment mon AMAP peut rentrer dans le champ de ce plan », s’interroge-t-elle.

Mais, les petites actions comme celle des Castors peuvent créer de grands barrages face à la malbouffe, la rassure en substance, Catherine Darrot, maitre de conférences en sociologie à l’Institut Agro Rennes-Angers : « Dans les moments de crise, il y a des pionniers qui essaient des choses dans tous les sens, et certains de ces pionniers s’ils sont capables de se rencontrer, vont s’aligner et percer, arriver à induire des nouvelles pratiques. C’est comme ça qu’on arrive à voir dans les supermarchés des têtes de gondole très locales ou bio. »

 Des brèches à ouvrir

 Désignée capitale verte de l’Europe en 2013, Nantes partage régulièrement ses expériences en matière de développement durable. En septembre prochain, l’agglomération nantaise adoptera ainsi « un espace de protection agricole et naturel sanctuarisé. » De quoi appuyer une politique qui a permis à l’agglomération de « préserver 15 000 hectares d’espaces agricoles entre 2008 et 2020 », expose Laurent Comeliau, directeur général santé et transition écologique pour l’agglomération Nantes Métropole. A côté de cela, toutes les stratégies possibles sont creusées pour donner un peu plus de place à une production agricole. Laurent Comeliau encore : « La crise sanitaire nous a incité à revisiter les pratiques, des jardiniers de Nantes qui sont passés d’une démarche paysagère à une démarche nourricière dans nos espaces publics. »

Une veine à explorer en Seine-Saint-Denis, département urbain qui ne compte plus aujourd’hui que 2,4% de surface agricole utile, soit 527 hectares. « Mais, il y a une forte effervescence autour des initiatives d’agriculture urbaine en Seine-Saint-Denis », remarque Frédérique Denis, conseillère départementale déléguée au Plan Alimentaire Territorial. Concrètement, la Seine-Saint-Denis compte en effet aujourd’hui plus de 150 jardins collectifs et près de 80 fermes urbaines et sites de production, développés par des acteurs et actrices de l’économie sociale et solidaire.

Des couvercles à faire sauter

Questionner le modèle actuel de l’aide alimentaire, c’était aussi une des thématiques des 2Rencontres du PAT. A la tête de « La Marmite Rouge », association d’éducation populaire et de solidarité, Marion Barlogis plaide, par exemple, pour ne pas «réduire l’alimentation à une histoire de calories. Il faut relier l’aide alimentaire aux questions de santé mais aussi de sociabilité. Manger, c’est aussi le partage, pouvoir inviter ses voisins… »

Une dimension qui sera prise en compte par le futur chèque alimentation durable de la Seine-Saint-Denis mis en place en 2024. « Nous y associerons un accompagnement social et nutritionnel pour les bénéficiaires, qui proposera des parcours de sensibilisation sur la nutrition, la qualité alimentaire, ainsi que de l’accompagnement culinaire », détaille Stéphane Troussel, le président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis.

Faire bouillonner des idées

Mis en place à l’occasion de cette Rencontre 2023 du PAT, un comité scientifique de huit chercheurs et chercheuses venus d’horizons différents a pour mission de produire des données sur le système alimentaire séquano-dyonisien mais aussi de nourrir des expérimentations autour de la valorisation des métiers de l’alimentation ou du développement de l’agriculture urbaine. Ingénieure nutritionniste et sociologue de l’alimentation au sein du Laboratoire Educations et Promotion de la Santé de l’Université Sorbonne-Paris-Nord, Aurélie Maurice, a ainsi soumis à l’Agence Nationale de la Recherche une étude sur la manière dont « les enfants peuvent s’influencer entre eux sur leurs comportements alimentaires. » Pour cela, elle mènera ses recherches dans des cantines de Noisy-le-Sec et Romainville : « On observera ce que les enfants mangent à la cantine, mais aussi ce qu’ils disent de ce qu’ils mangent… » Une manière d’étudier comment se forment certaines habitudes alimentaires, de mieux les comprendre pour ensuite agir en conséquence.

De bonnes graines à semer…

 « Accompagner l’appropriation, par les habitantes et habitants, des enjeux de nutrition et d’équilibre alimentaire », c’est un des objectifs majeurs du PAT qui passe évidemment par les cantines des collèges ou les repas servis dans les crèches.  « Pour la Seine-Saint-Denis, c’est un objectif également soutenu par le recrutement de personnels qualifiés dans nos cantines. On envoie donc nos meilleurs chefs dans les écoles pour proposer des contrats d’apprentissage au sein de nos équipes de restauration », explique Lucile Gautron, cheffe de service accueil restauration durable entretien des 130 collèges du 93. Et puis, on est aussi innovants à travers notre projet Cuisine de campagne où on challenge nos équipes pour revenir progressivement vers du cuisiné-maison, avec des produits bios et locaux. »

Un effort à la hauteur du budget consacré par la Seine-Saint-Denis à l’achat de denrées alimentaires pour sa restauration collective « de 26 à 35 millions d’euros pour proposer davantage de produits bios et de qualité », explique encore Frédérique Denis, conseillère départementale déléguée au Plan Alimentaire Territorial.

Côté formation encore, la Seine-Saint-Denis peut également avoir sa carte à jouer avec l’installation en 2022 de Saltus Campus à Sevran, unique lycée agricole de Seine-Saint-Denis. « Alors que la moitié des chefs d’exploitations atteindront l’âge de la retraite dans la décennie qui arrive, la relève viendra peut-être des territoires urbains », projette ainsi Marion Tanniou, conseillère Solidarités au sein de France Urbaine, une association de collectivités qui promeut l’alliance des territoires.

« Avec le PAT, on crée une boucle sociale et environnementale… »

Alexandre Cottin, chef de projet Agriculture urbaine au sein de l’Association Espaces, spécialiste de l’insertion par l’écologie urbaine. 

« Ces rencontres annuelles du PAT nous permettent de fédérer beaucoup plus vite les acteurs de l’agriculture urbaine du 93. Par exemple, en venant ici, je me suis tout de mis en relation avec une épicerie solidaire qui distribue des paniers solidaires à Noisy-le-Sec. Très concrètement, cela enclenche, pour nous, la distribution de 100 paniers de plus dès 2024. Donc, cette rencontre, c’est vraiment un accélérateur de projets pour les acteurs d’une alimentation durable. En Seine-Saint-Denis, il y a, clairement, aujourd’hui beaucoup de projets innovants à des échelles plus ou moins locales qui sont poussés par le Plan Alimentaire Territorial. Par exemple, à notre échelle, sur les toits d’Aubervilliers avec Culticime, si on ne produit que 4,5 tonnes de fruits et légumes, on participe pourtant à une boucle sociale et environnementale avec un impact fort puisqu’on distribue des produits de qualité à des personnes en situation de précarité alimentaire, avec une production assurée par des personnes en insertion.  Et, au bout du compte, l’idée c’est d’essaimer et de multiplier ces initiatives positives au service d’une alimentation durable et saine qui profite à un maximum d’habitant·e·s de Seine-Saint-Denis. »

 

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