Concours de « pitch » à Sevran

Concours de « pitch » à Sevran
Entrepreneuriat
  • Le 5 octobre, l’association Adie, qui finance, conseille et accompagne les entrepreneurs dans la création et le développement de leur activité, a organisé à la Micro-Folie de Sevran un concours de pitch.
  • Sur scène, face à un auditoire venu en nombre et sept jurés, les onze candidats n’ont eu que quelques minutes pour défendre leur projet et tenter de gagner les 1000 euros de récompense (500 pour le candidat arrivé second).
  • Un exercice que l’Adie organise partout en France plusieurs fois par an et dont l’objectif véritable est moins l’appât du gain que d’apprendre à s’exprimer en public et à convaincre une assistance.

« À la suite d’un AVC, mon frère a perdu la vue du jour au lendemain. C’est pourquoi j’ai eu l’idée de créer une société qui concevrait des montres connectées dotées d’une assistance vocale afin d’identifier les objets et de les nommer. » Texte ciselé, voix posée, ton enjoué – malgré la gravité des propos, Loucky Vilton fait l’article de sa nouvelle trouvaille devant un jury scrutant à la loupe chaque argument et un public (une cinquantaine de personnes) attentif. L’exercice n’est pas simple, impressionnant même, mais ô combien formateur. Loucky, jeune homme établi à Saint-Denis, ne joue pas ici sa carrière mais participe à un concours de pitch organisé le 5 octobre à la Micro-Folie de Sevran par l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), qui finance les projets des créateurs d’entreprise ayant difficilement accès au crédit bancaire, et par l’intercommunalité Paris Terres d’Envol, avec le soutien du Département. Sur la scène de l’équipement culturel, cet après-midi là: onze pitcheurs originaires de Seine-Saint-Denis. Des hommes, des femmes. Des demandeurs d’emploi, des salariés souhaitant entamer une reconversion professionnelle. Bref, des profils et des projets différents réunis autour d’une envie commune : celle de créer sa propre entreprise. Qui veut ouvrir une maison d’assistance maternelle, qui souhaite mettre sur pied un food-truck proposant des plats d’Afrique de l’Ouest, qui compte lancer une gamme de produits cosmétiques aux emballages éco-responsables, qui aimerait créer une plateforme digitale mettant en relation des professionnels du bricolage et des novices ayant envie d’apprendre à planter un clou, etc.

Les candidats ont quatre minutes pour convaincre (deux minutes de pitch face au public et deux minutes de questions/réponses avec le jury), avec, à la clé, 1000 euros de récompense pour le vainqueur et 500 euros pour le deuxième. « L’objectif de ce dispositif, que nous organisons partout en France plusieurs fois par an, est de donner la possibilité à des personnes de présenter leurs projets d’entreprise, aboutis ou non, devant une assistance composée à la fois de proches, de partenaires publics et associatifs, de gens venus par curiosité ou par hasard et d’un jury d’experts, détaille Grégoire Héaulme, directeur Ile-de-France de l’Adie. Cela permet aux porteurs de projet de se jauger, de s’entraîner à s’exprimer devant tout un parterre de gens mais aussi de donner envie aux autres – ceux qui, dans le public, n’osent pas franchir le pas – de tenter leur chance car la création d’entreprise est l’affaire de tout un chacun. » Pour le dirigeant, l’entreprenariat ne saurait être l’apanage « des fondateurs de licornes ou d’une quelconque élite ». Selon lui, beaucoup de projets imaginés par des personnes issues de milieux modestes « restent au fond des tiroirs », ces derniers considérant que ce « monde n’est accessible qu’aux riches ou à ceux qui ont fait de hautes études ». « Avec les moyens qui sont les nôtres, nous voulons prouver le contraire, montrer que des solutions existent et les faire connaître au plus grand nombre. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, qui recouvre à lui seul un tiers de notre encours de crédit en Ile-de-France, il y a beaucoup d’envie et d’énergie. »

L’Adie partenaire de choix du Département

Stéphane Troussel, président du Département, a rappelé l’engagement de la collectivité aux côtés de la session de pitch de l’Adie.

Opérateur national de microcrédit, l’Adie propose aux entrepreneurs (les plus fragiles, particulièrement) en phase de création ou de développement un soutien financier pouvant aller jusqu’à 12 000 euros. « Les projets doivent être simples et réalisables, il ne s’agit pas de vendre du rêve », souligne Grégoire Héaulme. L’association défend l’idée selon laquelle chacun, même sans capital, même sans diplôme, peut devenir entrepreneur s’il a accès au crédit et à un accompagnement professionnel personnalisé fondé sur la confiance, la solidarité et la responsabilité. En plus du crédit, l’Adie met à disposition du porteur de projet une palette de services d’accompagnement gratuits sous forme individuelle ou collective qui vont lui permettre de bénéficier d’un coaching personnalisé. L’objectif: savoir chiffrer son projet et en maîtriser la gestion administrative mais aussi participer à des ateliers, des webconférences ou des sessions de formation sur le développement commercial ou l’utilisation du digital. En 2021, l’asso a réalisé une étude d’impact indiquant que 87 % des entreprises financées par ses soins étaient encore en activité deux ans après leur création. « En Seine-Saint-Denis, plus de la moitié des personnes qu’on accueille dans nos agences sont allocataires de minima sociaux, les trois quarts viennent des quartiers prioritaires de la politique de la ville et un quart n’a aucun diplôme », complète le directeur Ile-de-France.

L’Adie est un partenaire historique du Département, territoire sur lequel elle compte une équipe de 18 salariés et 30 bénévoles, et dispose d’une bonne couverture territoriale avec 13 antennes et permanences. Depuis l’accord passé avec l’État sur la recentralisation du financement du RSA (la Seine-Saint-Denis compte plus de 100 000 allocataires) en 2022, et le doublement des moyens dédiés aux politiques d’insertion et d’emploi par le Département, les liens sont encore plus étroits entre la collectivité et l’association. « La création d’entreprise, lorsqu’elle est soutenue et accompagnée, favorise une insertion professionnelle durable », estime Stéphane Troussel, président du Conseil départemental, qui, à défaut de pitch, y est allé de son speech à l’occasion du concours.

Grégoire Remund

 

Zoom sur Francia Charles et Yoann Maillé, pitcheurs au verbe haut et aux idées claires

Francia Charles, 28 ans, habite au Bourget et a remporté le premier prix du concours de pitch organisé par l’Adie.

« J’ai accepté de relever ce challenge car j’avais besoin de savoir où j’en étais dans mon projet mais j’étais très stressée. Prendre la parole pour vanter les mérites de mon produit devant autant de gens, je ne l’avais jamais fait. Je suis à la fois fière et soulagée. Je suis venue parler de Rinse, qui propose des bâtonnets de gel douche et de shampooing sans composants toxiques et sans perturbateurs endocriniens qui se dissolvent au contact de l’eau. Cette démarche éco-responsable permet d’en finir avec les bouteilles en plastique. Ma cible ? Les établissements d’accueil touristiques tels que les hôtels et les bateaux de croisière. J’ai fait réaliser quelques prototypes et j’ai trouvé des hôtels testeurs intéressés par le projet. Les 1000 euros que j’ai remportés dans le cadre du concours de pitch vont me permettre de financer une partie de ma première commande. D’après mon business plan, je vais avoir besoin au total de 9500 euros. Je compte sur l’Adie pour m’aider. »

 

Yoann Maillé, 33 ans, habite à Tremblay-en-France.

« Ce concours de pitch est une aubaine car il permet aux candidats de sortir de leur zone de confort. Les réactions du jury et du public nous permettent de savoir si on ne fait pas fausse route. Après avoir été commercial dans une start-up officiant dans le domaine de la santé, j’ai changé mon fusil d’épaule pour devenir consultant dans la stratégie et communication d’entreprise pour des chaînes de restaurant. Mais comme je suis très gourmand et que j’aime mitonner des petits plats pour ma famille et mes amis, j’ai récemment décidé d’ouvrir un petit établissement spécialisé dans le hamburger avec des produits sains et issus du circuit court. Cette envie m’est venue lors d’un voyage à New-York et après avoir fait le constat que là où j’habite, il n’y a aucune offre qualitative en matière de restauration rapide. C’est frustrant : pour consommer du beau et du bon pourquoi faut-il forcément se rendre à Paris ? Mon concept, qui cherche à décloisonner la Seine-Saint-Denis pour la rapprocher de la capitale en termes culinaires, se nomme Ander’s Hamburger (clin d’œil aux drive-in américains) et propose une carte minimaliste à des tarifs accessibles. Je vais bientôt ouvrir mon premier local à Gagny (essentiellement dédié à la vente à emporter dans un premier temps) mais je dois encore trouver les fonds pour l’équiper. Si ça prend, j’envisage de créer par la suite une chaîne. »

Des entrepreneurs passé par l’Adie également présents

En marge du concours de pitch, la Micro-Folie de Sevran a accueilli un marché de créateurs accompagnés par l’Adie. Parmi ces jeunes entrepreneurs se trouvait Kèmi Bihary, qui a fondé une société de bijoux et d’accessoires assemblés au Bénin, au Burkina Faso et au Mali. « Après avoir travaillé pendant vingt-deux ans dans une entreprise de transport, j’ai voulu changer de vie et aller vers un métier qui me correspondait plus », raconte cette habitante d’Aubervilliers originaire du Bénin. C’est ainsi que Nyonou Asuka (« femme forte » en fon-gbé, une des langues majoritaires du Bénin) voit le jour à la fin de 2021. Les débuts sont compliqués : « Le problème, c’est que j’avais des idées mais une méconnaissance totale du statut d’entrepreneur. Pour bénéficier de conseils avisés en la matière, j’ai sollicité l’aide de l’Adie il y a un an », dit-elle. Elle apprend à tenir une comptabilité, à réaliser des études de marché et suit une formation sur l’art du digital et les réseaux sociaux. « Mon entreprise connaît de bons débuts mais elle est encore très jeune. Pour me démarquer, je joue la carte de l’authenticité et des matériaux rares. » Ses étoles, par exemple, sont fabriquées à partir de bogolan, un tissu fait à la main dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, moins connu que le wax dans les pays occidentaux.

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