Gilbert Samel, rêves de parcs

Gilbert Samel, rêves de parcs
Archives départementales
  • 55 ans après l’ouverture au public du parc Georges-Valbon, le paysagiste Gilbert Samel, l’un de ses concepteurs, a déposé ses documents de travail aux Archives départementales.
  • Celui qui fut l’un des membres du trio à l’origine de la partie nord du Parc, novatrice pour l’époque, est revenu jeudi 16 janvier sur cette aventure.
  • « Quand je dessine un parc, je recherche au maximum le bonheur sur le visage des gens » a insisté celui qui aura fabriqué des souvenirs dans les têtes de bon nombre de Séquanodionysiens.

Le parc de La Courneuve. Photo personnelle de Gilbert Samel.

Le parc a aujourd’hui 55 ans, 53 si l’on ne parle que de la tranche que vous avez dessinée. Etes-vous fier qu’il s’y soit déroulé tant d’événements majeurs pour le département : des Fêtes de l’Huma, des cross internationaux, des initiatives écologiques, le Parc des Jeux l’été dernier…

Fier ? Pas d’une fierté mal placée, mais fier pour les habitants oui. Quand je dessine un parc, je recherche au maximum le bonheur sur le visage des gens. Et quand je regarde les photos que j’ai prises à l’époque ou que je me promène encore aujourd’hui dans le parc, que je m’y installe – de préférence pas dan la roseraie car j’ai horreur des roseraies – je vois beaucoup de visages heureux.

Quelles ont été vos inspirations pour dessiner ce parc ?

J’ai toujours été attiré par les jardins chinois ou italiens du 18e, l’époque des Lumières. Mon grand maître à penser est Jean-Jacques Rousseau qui a su introduire le doute dans la pensée et aussi dans le dessin. A Ermenonville, sa propriété où il a notamment écrit « Les Rêveries du promeneur solitaire », il a dessiné un pavillon circulaire mais dont il n’a pas refermé le linteau. La pierre qui doit le refermer gît par terre, en symbole justement de ce doute, il fallait oser. Sinon, avec Pierre (Zvenigorodsky, sculpteur) et Allain (Provost, paysagiste), on s’est aussi inspirés de l’Olympiapark de Munich, qui entoure l’Olympiastadion qui avait accueilli en 1972 les Jeux olympiques. Comme le parc Georges-Valbon, il est tout en courbes et en reliefs.

Personnellement, quel a été votre parcours ?

Je suis originaire de Nancy. Mes premiers contacts avec les parcs et la nature, c’est quand j’accompagnais ma grand-mère au Parc de la Pépinière. J’y voyais notamment des étudiants de l’Ecole nationale des Eaux et Forêts qui a son siège à Nancy qui m’impressionnaient beaucoup. Je voulais être comme eux. Mais comme je n’étais pas très fort en maths, j’ai cherché ce qui serait le plus proche possible de la nature et le plus loin des maths ! Je suis donc monté à Paris pour faire l’Ecole du Paysage de Versailles. Petit à petit, je me suis bien pris au jeu de la nature, à sa formation, et à sa tristesse lorsqu’elle est détruite.

Travaux de terrassement du parc, début des années 70.

Quels ont été les plus grands défis au moment de vous lancer dans la 2e tranche du parc de La Courneuve, en 1972 ?

Quand les gens se promènent aujourd’hui dans le partie nord du parc (la partie sud, autour de la circulaire, date elle de 1970 et est signée d’un autre paysagiste, Albert Audias, ndlr) beaucoup pensent que le belvédère, toutes les buttes et courbes qu’ils voient, sont naturelles. Mais pas du tout : tout a été créé, de A à Z ! Comment ? En faisant venir pendant 25 ans des déchets et gravats de tous les chantiers franciliens: les Halles principalement. Il faut imaginer le défi logistique et urbanistique que cela a été : 15 millions de mètres cubes de gravats ont ainsi été acheminés pour créer la volumétrie du parc. Cela représentait 2 camions de 15 tonnes à la minute !

Un autre défi aura été de greffer de la végétation là-dessus : car sur ces gravats, il n’y a qu’une couche de 30 centimètres de terre. Mais en prenant des essences robustes – des saules, des arbres à pousse rapide – et en s’aidant de la méthode des carrés-types (des carrés de terre de 6 mètres sur 6), on a pu composer un paysage varié, avec une palette de couleurs agréable à l’oeil.

Et le lac ?

Ah ça, c’était un autre défi. Là encore, c’est le cheminement inverse de la nature. Au lieu de provenir du haut et de ruisseler vers le bas, l’eau du lac provient d’une source qui se situe au pied du belvédère et qui est pompée toujours plus haut pour arriver aux niveaux supérieurs, jusqu’aux cascades qui culminent à 70 mètres de hauteur. Le lac a été rempli comme une immense bassine, rendue étanche par des carrés de toile soudés les uns aux autres.

Le groupe anglais les Who en 1972, sur la grand scène de la Fête de l’Huma. ©Mémoires d’Humanité

Avez-vous eu peur pour ce parc à un moment donné, suite aux projets autoroutiers ou immobiliers qui l’ont menacé ?

Oui. Lorsque nous avions remporté le concours en 1971, on avait déjà été informés de la volonté de faire passer l’autoroute A16 en bordure Ouest du parc. On avait donc conçu des remblais et des haies pour protéger un maximum les usagers du parc des nuisances côté ouest. Mais quand fin des années 70, ce projet d’A16 coté ouest a été abandonné, il a fallu qu’on redessine tout, pour donner au paysage un aspect un peu moins arc-bouté… Là-dessus, rebelote : on apprend cette fois que le projet d’A16 se transfère à l’est, entre la voie ferrée et la Cité Maurice-Thorez de Dugny. Et cette fois, c’est la découverte sur la zone du crapaud calamite, une espèce protégée, qui a empêché le projet autoroutier de se faire. Le vallon écologique qui existe encore aujourd’hui à cet endroit est en fait la trace de là où devait passer l’autoroute.

Etes-vous déjà allé sur les 12 hectares supplémentaires du Terrain des Essences qui vont s’ajouter au parc au printemps prochain ?

Oui, c’est une zone rectangulaire, qui a priori ne m’aurait pas beaucoup inspiré. Pas facile d’incorporer comme ça un quadrilatère à un espace harmonieux déjà préexistant. Mais peut-être y a-t-il quelque chose à faire avec la proximité de la gare du T11 de Dugny. Ce serait amusant d’avoir une gare extérieure qui connecte avec une gare intérieure qui serait celle de départ d’un petit train. J’en parle parce que le projet d’un petit train à l’extérieur du parc existait déjà : les voies étaient prêtes pour accueillir les rails et ça ne s’est pas fait. A mon avis, ce serait un bon moyen pour faire venir les visiteurs dans des parties peu fréquentées du parc. Et ce n’est pas incompatible avec les enjeux de biodiversité.

Propos recueillis par Christophe Lehousse

Un livre pour fêter les 50 ans du Parc Georges-Valbon et le renouveau de Marville

« Parcs des sports, des loisirs et de la culture, Marville et Valbon forment un patrimoine unique, atypique et historique, à la fois naturel et artificiel. » C’est ainsi que débute l’ouvrage collectif rendant hommage à ces deux poumons verts, réalisé sous la direction des deux historiens du Département, Hélène Caroux et Benoît Pouvreau. Une bonne partie des contributeurs à cet ouvrage richement illustré et bien documenté, ainsi que Dominique Dellac, vice présidente du Département chargée du Patrimoine, étaient présents à la remise officielle des documents de travail de Gilbert Samel aux Archives départementales. Un matériau qui vient rejoindre les archives de son grand ami, le sculpteur Pierre Zvenigorodsky, décédé en 2023.

De l’histoire de sa genèse aux anecdotes les plus secrètes – le Parc Georges-Valbon a ainsi pu s’enorgueillir d’un sautoir à skis pendant une dizaine d’années, géré par le Club Alpin Français, si si – ces historiens auront pu apporter leurs regards de spécialistes sur cet espace. Où l’on apprend par exemple qu’avant de devenir un parc, la zone était censée accueillir une cité-satellite qui devait loger 80 000 habitants sur 800 hectares, projet abandonné en 1934. Ou encore que le parc est composé de deux tranches – l’une d’inspiration plutôt française, type bois de Boulogne ou Vincennes, dessinée par Albert Audias, l’autre plutôt romantique, dues au trio Provost-Samel-Zvenigorodsky. Ou encore que 26 éditions de la Fête de l’Humanité se sont déroulées dans ce fameux parc de La Courneuve, qui a notamment accueilli Ray Charles (1981), Bruce Springsteen (1987) ou les Rita Mitsouko (1995).

Autant de coups d’œil dans le rétroviseur qui n’empêchent pas ce poumon vert de s’agrandir encore : au printemps 2025 sera inauguré le Terrain des Essences, partie cédée par l’Armée et dépolluée avec le concours de la Solideo. Prêts pour 50 autres belles années?

Patrimoines et paysages en Seine-Sant-Denis. Les parcs de Marville et Georges-Valbon, édité par les Productions du Effa, 29 euros

CL

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