Lady K ou l’émancipation par le graff
- Féminine et féministe, la Blanc-Mesniloise Lady K est une des figures les plus spectaculaires du monde du street-art.
- Artiste performeuse inclassable, cette graffeuse aime se mettre en scène dans des tenues "girly" originales lors d'happenings filmés.
- Impliquée dans l'égalité hommes / femmes, elle emploie son art pour "réparer" les collages anti-féminicides en Seine-Saint-Denis.
« Je ne souhaite pas que devant mes oeuvres, le spectateur se sente mal à l’aise, agressé ou inquiété… Je veux au contraire qu’il se sente heureux comme devant un Niki de Saint-Phalle » déclare la quadragénaire qui aime mixer les styles du graffiti (du « block letter » au « wild style ») avec d’autres arts comme la poésie, la peinture, la mode… Adolescente, Jessica Balota, de son vrai nom, adore dessiner dans sa chambre et ne peut résister à l’appel de la rue à travers des tags, des pochoirs…
Eprise d’un graffeur, elle passe des nuits entières à peindre des trains, des tunnels au sein du crew 156, un collectif international de street-artistes fondé par le lilasien Jon One. La Blanc-Mesniloise entre aux Beaux-Arts de Paris puis à l’université Panthéon-Sorbonne et se passionne pour la calligraphie, la philosophie, la peinture…
Une performeuse hors norme et girly
Attirée par les défis, la jeune femme décide d’effectuer des virées tag en se mettant en scène dans des tenues spectaculaires, en demandant à une amie de se filmer. Vêtue de robes vintage et juchée sur de hauts talons, Jessica affirme son féminisme lors des happenings originaux où elle s’expose elle-même bombant des murs aveugles, des terrains vagues ou des wagons du métro, suivis en ligne souvent en direct par ses 100 000 followers.
« J’aime faire passer des messages tant politiques que poétiques sur les murs, en employant des couleurs acidulées » confie la jeune femme qui, en assumant une certaine excentricité dans ses créations, aime expérimenter des techniques allant du body-art, à la sculpture ou la photographie… Attirée par l’aspect challengeant du graffiti, Jessica multiplie les actions spectaculaires en posant en robe de mariée, en habit de sirène ou en mini-short ou taguant ostensiblement la vitrine d’un magasin de mode des Champs-Elysées.
Arrêtée 24 fois par la police, la performeuse aime aussi flâner dans les quartiers haussmanniens de Paris où elle graffe des lettres colorées sur des portes cochères, les banques… Lady K, qui a aussi coloré l’espace urbain de Berlin et de Moscou, est aujourd’hui une figure respectée de la scène internationale du graffiti même si elle troque quelquefois ses bombes pour des peintures sur toile ou sur papier, qui lui assure un certain train de vie.
Des messages émancipateurs sur les murs
Contrairement à certains artistes commerçiaux·ales, la blanc-mesniloise considère que la forme esthétique doit être au service d’une pensée ou d’une interprétation de certaines cultures. Contactée par l’association culturelle Art Azoï, la quadragénaire a peint son pseudo (NDLR : sa signature) sur le portail et plusieurs murs du Garage B , un tiers-lieu artistique du Département situé au parc de la Bergère à Bobigny, qui expose d’autres graffeurs comme Marko 93, Vinie, Siffat ou le sculpteur camerounais Malam.
« Le courant surréaliste m’attire car, au-delà des oeuvres, il propose un mode de vie centré sur la liberté, l’épicurisme, la bienveillance, en opposition aux valeurs bourgeoises » affirme-t-elle. « J’ai voulu rendre hommage par le pochoir aux sciences physiques qui pourraient apporter beaucoup de progrès à la société si elles étaient démocratisées dans la société. L’écriture urbaine, qui reste risquée pour les graffeurs est pour moi un acte politique puisqu’il permet d’interpeller les passants de la manière la plus directe qui soit ». L’artiste, qui fait partie des meilleures street-artistes du monde, a aussi exposé dans des galeries de Pantin, Montreuil, le Pré Saint Gervais, Bagnolet, la Salle de la Légion d’Honneur à Saint-Denis…
« Bomber» contre les violences conjugales
Lady K a été touchée il y a quelques années par la démarche de féministes qui collent sur les murs de Paris des slogans contre les violences faites aux femmes. Elle a très vite décidé de mettre son art au service du mouvement des colleuses et de « réparer » les messages anti-féminicides en restaurant ou en graffant les affiches arrachées par les passants ou les services municipaux. « Les slogans sur les notions de consentement ou l’émancipation possible des femmes battues parlent directement aux victimes en dénonçant les abus du patriarcat » affirme-t-elle. « J’espère qu’ils apporteront de l’espoir aux victimes et des possibilités d’émancipation, ce qui est l’idéal de tout artiste ».
Attachée à la démocratisation de la culture savante, Jessica prépare en parallèle de sa carrière une thèse sur les enjeux culturels des mathématiques dans la peinture et le graffiti à l’université de la Sorbonne. Une façon d’élargir ses champs de prédilection et expérimenter encore et toujours en cassant tous les clichés sur le street-art.
Crédit-photo : Nicolas Moulard