Nanii93, rappeuse tendre et à vif

Nanii93, rappeuse tendre et à vif
Culture
  • Nérimène Bensalah (alias Nanii93) a longtemps combiné le travail en usine logistique avec d'innombrables freestyles de rap sur les réseaux sociaux.
  • La Pantinoise de coeur est actuellement en tournée mondiale pour Lacrima, une représentation qui dévoile les dessous de la haute-couture.
  • Rencontre avec une jeune femme attachante et écorchée vive qui ne s'était pas forcément imaginé un avenir dans le milieu du théâtre.

Vous avez grandi dans une famille nombreuse à Romainville puis à Pantin. D’où vient votre passion pour le rap et l’écriture ?

L’écriture est thérapeutique pour moi, j’en ai besoin comme on a besoin d’oxygène. A 12 ans, j’ai été violée par le neveu de mon père, ce qui m’a brisée pendant des années. Après ce traumatisme, j’ai employé la rime comme une catharsis pour me relever et soigner mes cicatrices. Ma grande soeur qui était déjà dans le monde du rap m’a aidée à diriger mon écriture et à partager mes freestyles avec ma communauté sur les réseaux sociaux.

J’ai vécu une partie de mon enfance à Romainville. A mes 13 ans, nous avons été expulsés de notre appartement et nous nous sommes installés d’abord chez des amis puis à Pantin. Mes chansons expriment aussi cet attachement à ma famille qui m’a toujours soutenue, ma mère, mes amis, mon quartier, ma ville et la Seine-Saint-Denis en général. Malgré toutes les difficultés que j’ai connues, mes frères et soeurs forment une sorte de noyau central qui me permet d’avoir la tête haute et je leur rends hommage dès que je peux.

La société dit lutter contre les violences faites aux femmes. Pourtant, le tribunal de Nanterre n’a pas donné suite à la plainte pour viol que vous avez relancée récemment. Pourquoi ? 

Nanii93 sur la scène de la salle de concert de musiques actuelles Canal 93 à Bobigny

Après ce traumatisme, mon entourage m’a accompagnée à l’unité médico-judiciaire (UMJ) de l’hôpital Verdier qui a fait tout un ensemble d’examens. Les choses se sont compliquées ensuite, ma mère a subi beaucoup de pression pour retirer sa plainte, ce qu’elle a fini par faire. A mes 18 ans, j’ai tenté de rouvrir l’affaire mais je me suis faite balader de tribunal en tribunal avec mon dossier médico-légal de l’UMJ perdu par l’administration il y a des années… J’ai décidé récemment d’abandonner cette procédure très usante, un choix personnel que je ne vais pas forcément conseiller aux femmes victimes de violences.

Si j’ai perdu confiance en la justice suite à ces dysfonctionnements, le soutien massif reçu sur les réseaux sociaux m’a impressionnée. En 2023, j’ai écrit le clip Mise à nue qui raconte ce drame. Enormément de messages m’ont été envoyés de la part d’internautes qui me trouvaient courageuse de témoigner à visage découvert et d’agir pour que d’autres victimes se sentent légitimes à parler également. En fait, l’écriture m’apaise énormément en m’apportant une forme de liberté. Je ne me sens pas comme une héroïne même si les retours de ma communauté vont dans ce sens.

Ce qui me donne l’espoir, c’est de voir à quel point les mentalités ont bougé depuis #MeToo et la façon dont notre génération se saisit d’internet pour dénoncer les abus. Ce qui était considéré comme tabou il y a vingt ans ne l’est plus et les messages postés sur la toile peuvent maintenant faire boule de neige et changer les choses, ce qui est libérateur.

Sur Youtube, vous abordez d’autres sujets qui fâchent comme l’engrenage des trafics de drogue dans certains quartiers, les discriminations… Pour quelles raisons ? 

Le rap est un des rares arts qui se fait un point d’honneur de parler sans filtre de la réalité, même dérangeante. Comme tous les rappeurs, je m’inspire de mon histoire, du quotidien de mon quartier, de l’actualité mondiale… La drogue, j’ai baigné dedans. Dans En bas du bât, c’est pas si rose, j’ai eu envie de dire aux jeunes que ce n’est pas du tout comme dans les films, l’argent rapporté ne vous fait pas avancer d’un mètre et conduit à une vie ultra-angoissante, entre descentes de police à la maison, risques de prison, drames familiaux…

Dans « Colibri », mon second EP, j’ai abordé des sujets plus solaires : la fête avec Fais-les danser, l’amitié, l’amour qui change la vie… Dans le rap, le process de création nécessite beaucoup de concentration, une écriture épurée, une diction ultra-rapide avec énormément d’énergie sur scène pour éveiller les consciences des spectateurs. J’ai participé à pas mal de concerts ou d’open micros à la MC93 ou à Canal 93 à Bobigny, au Théâtre du Garde-Chasse aux Lilas, à Paris, en province… C’est d’ailleurs ainsi que j’ai été remarquée par la metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen.

 

Nérimène Bensalah dans son clip officiel Double Je, réalisé en 2024 avec le studio d’enregistrement Biffin studio

Vous jouez depuis 2021 dans les pièces de théâtre de cette autrice qui aime réunir sur scène des gens issus de milieux différents. Comment l’avez-vous rencontrée ? 

Après mon bac, j’ai travaillé un temps pour des séjours adaptés à destination de personnes handicapées. J’ai aussi fait de l’intérim dans des usines logistiques pour aider financièrement ma famille. Alors que j’avais 22 ans (NDLR : il y a 4 ans), Caroline a vu mes vidéos et m’a recrutée en tant que rappeuse pour sa pièce Fraternité, conte fantastique, une fable sur ce qui resterait de notre humanité lors d’un cataclysme généralisé. Au départ, je pensais que le théâtre n’était pas pour moi mais la troupe m’a donnée confiance même si j’ai voulu abandonner à un moment.

En 2024, notre metteuse en scène a monté la représentation Lacrima, une création qui dévoile les coulisses de la haute-couture et sa production mondialisée, l’exploitation des ouvriers dans la fast-fashion… Je joue les rôles d’une femme pompier, d’une dentelière, des rôles très éloignés de ma vie. Pour la pièce, j’ai fait des recherches sur les dessous du luxe, rencontré les ouvrières d’Alençon qui nous ont parlé de leur travail. Je n’ai aucun souci en terme de mémorisation mais le rapport à la scène qui est très différent de celui des concerts m’a déstabilisée au début.

Cette pièce est une superbe expérience pour moi. Avec la troupe, nous faisons une tournée internationale, nous avons joué dans toute la France, à Liège, à Madrid, à Berlin, dans les prochaines semaines au Japon, à Montréal, à Québec… J’ai du mal à trouver du temps pour rapper mais je prévois d’écrire un livre sur mon histoire, aussi pour dire aux jeunes que j’ai connus que leur horizon n’est pas bouché quelques que soient leurs difficultés, leurs erreurs… Je crois que quand certains auront le déclic et bien pris conscience qu’il y a une voie de sortie pour tout le monde, qu’on vienne ou pas des quartiers populaires, alors les choses changeront vraiment…

 

Crédit-photo : Nérimène Bensalah

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