Au collège Garcia-Lorca de Saint-Denis, c’est hip hip-hop hourra !

Au collège Garcia-Lorca de Saint-Denis, c’est hip hip-hop hourra !
Hip-hop
  • En mai, la section sportive hip-hop du collège Federico-Garcia-Lorca à Saint-Denis a terminé à une brillante deuxième place du championnat de France UNSS.
  • Soit le meilleur classement en trois participations pour cet établissement scolaire situé dans le quartier du Franc-Moisin.
  • Mais la sémillante professeure d’EPS Émilie Fritz, qui dirige cette section depuis son ouverture en 2017, est persuadée que ses élèves, investis et passionnés, feront encore mieux l’an prochain.

« Allez, sortez les mains de vos poches, pensez à relâcher vos bras et n’oubliez pas de vous regarder. » Sous les ordres d’Émilie Fritz, professeure d’EPS et responsable de la section sportive hip-hop du collège Federico-Garcia-Lorca, à Saint-Denis, les élèves démarrent leur ultime entraînement de la semaine dans le gymnase du Franc-Moisin. Il est 15h ce vendredi, les corps semblent un peu lourds et il y a du flottement dans la salle. La fin d’année qui approche ? La pression qui retombe après un parcours extrêmement riche sur le plan physique et émotionnel ? Deux semaines auparavant, certains d’entre eux étaient à Marseille pour disputer le championnat de France UNSS (Union nationale du sport scolaire) de hip-hop d’où ils sont repartis deuxièmes, une place de mieux que l’an passé. Une performance énorme au regard de la concurrence et du niveau de compétition. Pour en arriver là, les élèves ont dû franchir de nombreuses étapes, du premier tour de district aux finales interacadémique et départementale. Dans les Bouches-du-Rhône, une seule équipe a été plus forte, celle du collège Colette Besson (Paris 20e), tenante du titre et (si, si) championne du monde en 2023. Bref, du lourd.

« Ce qu’on a fait à Marseille, c’est fantastique. Nous sommes hyper heureux d’avoir représenté de la sorte notre collège, notre ville et notre département, se félicite Émilie Fritz. Mais il y a aussi un peu de déception et de frustration car nous sommes passés à une marche de l’exploit, tout s’est joué sur quelques détails. » Au Palais des Sports, l’ambiance était digne d’une finale de championnat de sport universitaire aux États-Unis : 2000 spectateurs chauffés à blanc encourageant sans relâche leur équipe. Dans ce contexte, le collège dionysien a fait montre d’un mental à toute épreuve en écartant notamment l’épouvantail marseillais en quart de finale, qui évoluait devant un public acquis à sa cause. Une expérience inoubliable sur le plan sportif mais aussi sur le plan affectif. « On aura vécu ça ensemble, c’est gravé à jamais, relève la prof d’EPS. Pour les élèves, ce genre de rendez-vous permet de nouer des contacts avec des élèves de toute la France. Ils créent des liens, sortent de leur cocon et se frottent à des équipes de très haut niveau. On aimerait en être chaque année. » Pour la grande finale, six (deux 3e et quatre 4 4e) des vingt-cinq danseurs que compte cette section ont fait le déplacement dans le sud. Deux d’entre eux avaient été du voyage l’an passé à la Halle Carpentier (Paris 13e) quand Garcia-Lorca était monté sur la troisième marche du podium. Les années passent, les visages changent mais l’objectif reste inchangé : le collège entend faire de sa section hip hop une filière d’excellence. Un travail qui porte ses fruits à la faveur de l’investissement des élèves et, évidemment, du travail réalisé par Émilie Fritz, qui consacre une grande partie de son temps libre à cette activité.

« Si c’est pour participer, autant rester dans sa chambre »

Cette section, c’est le bébé d’Émilie. La native d’Alsace l’a créée en 2017 après la disparition de la section arts du cirque. « Je suis danseuse de formation mais je n’avais jamais fait de hip hop, avoue l’intéressée. J’ai pris des cours – d’ailleurs, je continue -, lu des livres, regardé des documentaires et assisté à de nombreux battles. Aujourd’hui, je suis comme mes élèves, une mordue de cette culture. » Les premiers résultats ne se font pas attendre, le collège atteignant le championnat académique (4e échelon sur sept) dès la première année et une 5e place au championnat de France l’année suivante. La section compte deux promotions, The Shield (6e et 5e), qui compte actuellement seize membres et Criminalz (4e et 3e), qui en dénombre neuf. Comme pour n’importe quelle section sportive (anciennement sport-étude), les élèves qui souhaitent l’intégrer sont sélectionnés à l’issue d’auditions qui se tiennent au mois de mars dans les écoles primaires du secteur ou au sein-même du collège.

L’avantage d’un tel programme, outre qu’il offre la possibilité de pratiquer une activité sportive de bon niveau tout en suivant un cursus scolaire, est qu’il permet, par le biais des dérogations, d’ouvrir l’établissement à des élèves venant d’autres quartiers voire d’autres villes. « Pas cette année, regrette Émilie. Tous les élèves viennent du Franc-Moisin, qui pâtit d’une mauvaise image. C’est dommage car notre équipe éducative est hyper investie. Il y a le projet autour du hip-hop mais aussi plein d’autres initiatives qui sont menées toute l’année. Pour ma part, j’entretiens une relation étroite avec les familles, qui ont toutes mon numéro de téléphone. Ce travail, on le mène ensemble. Avec les élèves, forcément, cette proximité a créé des liens très forts entre nous, le collège est devenu leur deuxième maison. D’ailleurs, j’ai gardé le contact avec les anciens élèves, qui viennent fréquemment nous rendre visite. »

Les deux groupes s’entraînent trois heures par semaine, le lundi une fois sur deux, le jeudi (les 6e et les 5e) et le vendredi (les 4e et les 3e). En début d’année, leur professeure leur fixe des objectifs à atteindre en mettant la barre à chaque fois un peu plus haut, avec un programme fortement axé sur la préparation mentale. La constance et l’état de forme qu’ils affichent en compétition prouvent qu’ils vont dans le bon sens. « L’important n’est pas de participer mais de donner le maximum pour tenter de l’emporter, estime la prof. Sinon, pourquoi tous ces efforts ? Autant rester dans sa chambre. Mais je n’ai pas besoin de les motiver. Dès qu’ils n’ont plus cours, la plupart vont au gymnase pour s’entraîner, si bien que je leur répète à longueur de journée : ‘’pensez aussi à vous reposer !’’ »

Un voyage à Rio de Janeiro en décembre prochain

Une énergie qui est la bienvenue car, si le championnat de France UNSS est derrière, la saison n’est pas encore terminée pour nos danseurs. Actuellement, ils préparent avec leurs camarades de l’association sportive le spectacle de fin d’année dans le cadre de l’arrivée à Saint-Denis du Flambeau de la culture le 13 juin. Labellisé Olympiade culturelle de Paris 2024, cet événement valorise les projets qui sont à la croisée des arts et du sport. Leur belle performance en terre marseillaise leur vaut évidemment moult sollicitations : une réception en mairie, un goûter au parc de la Légion d’Honneur, des visites dans les écoles… sans parler des démonstrations qui escortent chacun de ces déplacements. Un des grands temps forts de la saison reste la soirée organisée le 22 juin au cinéma L’Écran. Ce jour-là, le film réalisé par des élèves en BTS audiovisuel du lycée Suger et des étudiants de Paris 8 retraçant le projet que le collège Garcia-Lorca a mené avec la compagnie Elolonguè de la chorégraphe dionysienne Marguerite Mboulé sera diffusé et suivi d’un spectacle assuré par les membres de The Shield et des Criminalz.

En décembre prochain, ces derniers vont de nouveau vivre un rêve éveillé : ils vont se rendre à Rio de Janeiro pour participer au Red Bull BC One, la plus grande compétition de breaking du monde, et réaliser un recueil de témoignages sur la culture hip-hop au Brésil via Odyssée Jeunes, le programme que le Département, l’Éducation nationale et la Fondation BNP Paribas ont mis en place pour financer les voyages scolaires des collégiens de Seine-Saint-Denis. En parallèle, le collège va poursuivre son partenariat avec La Villette qui offre la possibilité aux élèves d’assister à de nombreux spectacles de danse et de bénéficier de l’apport de professionnels dans leur apprentissage. Il va aussi prendre part au plan CAC, la Culture et l’Art au Collège, un appel à projets départemental qui fait irriguer l’art dans les collèges du département. « Nous allons travailler avec un danseur de la compagnie Wild spécialisé en électro », prévient, tout sourire, Émilie Fritz.

Dans le gymnase du Franc-Moisin, la séance d’entraînement touche à sa fin. « C’était très bien, vous êtes parvenus à vous remobiliser, je suis contente », lance la professeure. Et de confier, en aparté : « Cette activité leur fait un bien fou. Elle leur apporte la liberté de créer, de s’exprimer, de prendre possession de leur corps, ce qui n’est pas toujours évident à cet âge. » Autant de points positifs qui permettent, entre autres points saillants, de lutter contre le décrochage scolaire et de briser certaines barrières culturelles. « Dans la culture hip-hop, on a le droit d’être qui on veut et on l’assume », rappelle Émilie.

Ses élèves abondent tous dans le même sens. « Il y a une vraie cohésion d’équipe, admet Christy. En plus de la danse, je fais du théâtre au collège, ce qui m’aide à me libérer, à me sentir plus forte, à dire ce que je pense. Tous ces cours me permettent d’évacuer le stress engendré à l’école, c’est un vrai temps mort dans mon emploi du temps. » Grâce au hip-hop, Melvyn s’est fait de nouveaux amis. « Ensemble, on se défoule, on s’échange nos pas de danse et on rit beaucoup », souligne le jeune homme. Pour Patricia, qui a réussi à braver la concurrence pour se faire admettre à la section d’excellence hip-hop du lycée Turgot, à Paris, la danse a complètement bouleversé sa vie. « Elle m’a notamment aidé à vaincre ma timidité, dit-elle. Aujourd’hui, je n’ai plus peur de m’exprimer en public. Quand je suis arrivé au collège, il y a quatre ans, aucun son ne sortait de ma bouche. Je remercie ma sœur de m’avoir forcée à participer à cette audition. Sans elle, je n’en serais pas là. »

Grégoire Remund

Photos: ©Eric Garault

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