Les habitant·e·s de Clichy-sous-Bois font le show à l’Espace 93
- Dans le cadre de la 41e édition du festival de jazz en Seine-Saint-Denis Banlieues Bleues (8 mars-5 avril), le musicien et performeur congolais Lova Lova a créé et interprété avec des habitants de Clichy-sous-Bois un spectacle hors normes, le 30 mars à l’Espace 93.
- Une aventure intergénérationnelle qui a réuni des écoliers, des collégiens, un club de judo et des associations autour du chant, de la danse, de la musique et de la création de mode. Et qui restera, à coup sûr, longtemps dans les têtes des participants.
Costume de soie rouge, lunettes multi-visions en métal conçues à partir d’objets de récup’ tout droit sorties d’un film de Mad Max, voix tantôt rauque, tantôt douce, le chanteur et performeur congolais Lova Lova en impose sur scène. À ses côtés, pas en reste, un groupe d’élèves de 3e du collège Louise Michel de Clichy-sous-Bois, tee-shirt rouge, bas noir, entonnent un refrain tonitruant avant de scander, à tour de rôle, un couplet de rap ciselé, écrit par leurs soins. Nous sommes à l’Espace 93, le samedi 30 mars. La représentation du spectacle, intitulé Omi Salisa, Débrouillez-vous en lingala, langue d’origine bantoue parlée en République démocratique du Congo, vient tout juste de commencer. Un show qui s’inscrit dans le cadre du 41e festival de jazz de la Seine-Saint-Denis, Banlieues Bleues (organisé du 8 mars au 5 avril par l’association éponyme et financée en partie par le Département). Et qui est le fruit d’une co-création entre l’artiste protéiforme Lova Lova, Wilfried Luzélé de son vrai nom, et une soixantaine d’habitants de Clichy-sous-Bois.
Ainsi de novembre à mars, pour mettre sur pied ce récit polyphonique dans lequel chaque parcours de vie se fait entendre au service d’un projet collectif, des enfants de CM2 de l’école Jean-Jaurès ont-ils appris à jouer des percussions sous la direction du spécialiste du genre, Fabe Beaurel Bambi ; des élèves de 6e du collège Louise Michel ont eu droit à des ateliers MAO (musique assistée par ordinateur) animés par GOD3FROY, musicien aussi talentueux que touche-à-tout ; leurs camarades de 3e ont travaillé sur l’écriture de textes ; les femmes de l’atelier couture du centre social L’Orange Bleue ont confectionné les costumes, épaulées par le plasticien diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa Tickson Mbuyi ; et les petits judokas du Judo Club de Clichy-sous-Bois se sont vu confier les rênes d’une chorégraphie imprégnée de l’art martial japonais.*
Les élèves de 6e, des DJ’s en puissance
« Lova Lova étant en résidence départementale pour la saison 2023-24 à La Dynamo de Banlieues Bleues [salle de concert à Pantin, ndlr], il semblait naturel de lui confier la direction artistique de la création collaborative de la 41ème édition du festival, lui qui n’a jamais cessé de transmettre sa créativité omnivore et son imagination débridée aux enfants des bidonvilles de Kinshasa pour leur donner les moyens d’une autre vie, raconte Xavier Lemettre, directeur dudit festival. Omi Salisa est un pied-de-nez aux injonctions individualistes qui font le lit de la misère, et un hommage à l’esprit de débrouille, de créativité, et d’ingéniosité. » Présentée en une succession de différents tableaux, la production confronte les expressions vocales, mêle musiques électroniques et rythmes du Congo, création de mode et performance… Derrière leur platine et leur ordi, lunettes noires posées sur le nez, les 6e de Louise Michel ont électrisé un public venu nombreux avec leurs morceaux électro. Et le duo qu’ils ont formé avec les percussionnistes de l’école Jean Jaurès a suscité l’ovation de la salle.
« Cela fait huit ans que le festival met en place ce qu’on appelle des ‘’co-créations’’, soit une œuvre artistique réalisée par des professionnels et des non-professionnels, explique le directeur de Banlieues Bleues. L’idée est de profiter de la présence des nombreux artistes sur le festival pour monter des actions musicales avec des publics. » Si la main d’œuvre ne manque pas, encore faut-il trouver des artistes qui ont à la fois l’appétence et les compétences pour mener à bien ce genre d’initiative. « Lova Lova, qui avait fait travailler des enfants de Kinshasa sur un disque, possédait cette expérience participative, même si celle-ci s’était déroulée en studio et n’avait pas eu l’ambition de jouer un spectacle en live devant un public », précise Xavier Lemettre. Pour ce dernier, l’objectif de cette action est de créer une performance grand format sur laquelle sont placés d’importants moyens, « notamment au niveau du son et de la lumière, un peu comme chez les pros ». « Si on veut être pris au sérieux, ne pas enfermer les participants dans la case ‘’amateur’’, un terme qui n’a pas ici sa place, il faut mettre la barre très haut, ne pas céder aux exigences », poursuit Xavier. Entre les ateliers (écriture de textes, compositions musicales, chorégraphies, etc.), la recherche des artistes associés au projet et les répétitions, Omi Salasa, a demandé cinq mois de travail. L’art de la débrouille n’a jamais aussi bien porté son nom.
« On a senti l’énergie monter en nous »
« Après avoir été programmé en tant qu’artiste invité lors de la précédente édition du festival et été en résidence toute cette saison, Xavier (Lemettre) m’a proposé de piloter cette co-création, ce voyage interstellaire dans lequel j’ai embarqué plein d’habitants, livre Lova Lova (un nom de scène qu’il porte en hommage à sa mère qu’il n’a jamais connue), dont le style – afro-punk au départ – emprunte à plein de genres musicaux (rap, électro, transe…). Cela faisait longtemps que je voulais créer un spectacle avec plein de gens sur scène, non issus du monde artistique. Chez moi, à Kinshasa, j’ai l’habitude d’associer les enfants des rues à mes projets mais là le travail et le contexte étaient différents. » L’artiste ne connaissait « pas plus que ça » la Seine-Saint-Denis avant de s’y rendre l’an passé dans le cadre de la 40e édition de Banlieues Bleues. Il en avait la vision déformée de celui qui n’y vit pas, « une terre de rappeurs et c’est à peu près tout », glisse-t-il. « Une fois sur place, j’ai découvert une belle chambre bien éclairée avec un beau tapis et un grand miroir, une belle surprise. »
Lors de la première rencontre avec les habitants participants, il propose de faire connaissance à travers des dessins sur le thème du rêve, « une entrée en matière tout en douceur », où les crayons se substituent aux échanges verbaux, qui allaient être nombreux par la suite. Puis, dans un second temps, tous ensemble, ils se sont attelés aux textes dont les sujets abordés invitent « à se libérer des implacables réalités de la société contemporaine, à se transfigurer pour affronter les difficultés de la vie, le manque de perspectives et devenir à la fin quelqu’un d’abouti. » « Au départ, ça a été une expérience terrorisante car je n’avais jamais fait ça de ma vie », confie Amar, en 6e au collège Louise Michel, qui chante dans le spectacle. Bintou, sa camarade de classe, avoue avoir eu « honte » car elle ne sentait « pas à sa place sur scène ». Mais une fois la représentation passée, elle reconnaît avoir « vraiment kiffé ». Hiranur, quant à elle, ne dit pas autre chose, qui forme même le vœu que « cette expérience se renouvelle un jour. » Straycia, élève de 3e dans le même collège, avait elle rédigé un texte sur « une jeune fille qui n’ayant pas les moyens de s’acheter une robe, finit par la coudre elle-même » et fait fi du regard des autres dans son quartier. « J’étais stressée comme jamais mais fière de relever ce défi », raconte la jeune fille. Pour Haytam, son copain de classe, le plus dur a été les premières minutes, « après, on était lancés et devant nos familles et nos amis qui sont venus nous voir, on a progressivement senti l’énergie monter en nous. » Une énergie doublée d’adrénaline qui s’est traduite, une fois le rideau baissé, par des effusions de joie dans les coulisses et les loges. Vivement la 42e édition de Banlieues Bleues !
* Ont aussi participé au projet la guitariste Sarah Solo, la vidéaste Morgana Planchais et un groupe de femmes de l’ASTI (Association de solidarité aux travailleurs immigrés).
Grégoire Remund
Photos: ©Sylvain Hitau
Qui es-tu Lova Lova ?
En résidence depuis le début de la saison à la Dynamo de Banlieues Bleues avec le soutien du Département, Lova Lova, alias Wilfried Luzélé, est un artiste aux mille visages. Depuis une dizaine d’années, le natif de Kinshasa, la bouillonnante capitale de la République démocratique du Congo, développe un univers riche et personnel, nourri de l’énergie de sa ville. Le chanteur et performeur de 34 ans a grandi dans le quartier populaire de Bandalungwa. Débrouillard (thème de la co-création pour Banlieues Bleues), il va se faire connaître en tant que rappeur mais aussi en tant que sapeur, en intégrant le clan des « Japonais » (qui réunit les aficionados des créateurs nippons). Au fil de ses albums, Lova Lova propose une musique éclectique qui fusionne les rythmes traditionnels de son pays, soukouss et ndombolo en tête, avec le rock, le hip-hop et l’électro. Ambassadeur de la jeunesse, Lova Lova hurle leur colère, les espoirs et les luttes de son peuple face aux troubles politiques qui n’ont de cesse d’agiter la RDC.