Tirailleurs : un film et un débat à Montreuil pour ne pas oublier…
Alors que le film avec Omar Sy franchit le cap du million de spectateur·rice·s, une projection-débat au cinéma Le Méliès a ravivé la mémoire des combattants africains envoyés de force sur le front de la Première Guerre mondiale. Des soldats morts pour la France dont l’histoire va continuer d’être portée en Seine-Saint-Denis.
« Souvenez-vous de moi. Souvenez-vous de nous… » Les derniers mots de Tirailleurs sonnent en langue peul et s’affichent sous-titrés sur le grand écran du Méliès à Montreuil, le générique final du film défile…. C’est le moment d’applaudissements soutenus. Lorsque la lumière se rallume, on saisit le murmure de quelques commentaires : « Une belle histoire, mais trop tragique, trop injuste. Comment la France a-t-elle pu faire ça… »
Sorti sur les écrans nationaux le 4 janvier, le long métrage de Mathieu Vadepied retrace une page de la vie de Bakary Diallo et de son fils Thierno -interprétés par Omar Sy et Alassane Diong- enrôlés de force dans leur village du Sénégal et envoyés sur le front sanglant de la Première Guerre mondiale en 1917.
Une page de la vie de deux hommes, mais aussi tout un pan -longtemps occulté- de l’histoire de France, propice au débat d’après-film comme ce soir de fin janvier au Méliès. Ou lors de prochaines diffusions en Seine-Saint-Denis.
En lien avec Jeunes contre le racisme
Derrière ces projections-débats soutenues par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, on trouve toute l’énergie d’Aïssata Seck, conseillère municipale à Bondy et fondatrice de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, associée à la construction du film. « Une œuvre grand public qui a déjà fait 900 000 entrées et permet de mettre de la lumière sur l’histoire des soldats issus des colonies », expose la Bondynoise pour ouvrir le débat qui réunit aussi Oriane Filhol, conseillère départementale en charge de la lutte contre les discriminations et Gilles Merceron, historien et membre de la Ligue des droits de l’Homme. « Tirailleurs est un film qui va vivre extrêmement longtemps, poursuit la petite-fille de tirailleur sénégalais. D’ailleurs, les enseignant·e·s s’en saisissent déjà. »
A commencer par celles et ceux des collèges de Seine-Saint-Denis « parce que pour le Conseil départemental, l’histoire de l’immigration, comme les histoires des tirailleurs sénégalais, irriguent beaucoup de nos projets éducatifs », rebondit la conseillère départementale Oriane Filhol. Notamment en faisant le lien avec le dispositif « Jeunes contre le racisme et l’antisémitisme » déployé dans les collèges du 93 puisque les pensées coloniales ont aussi beaucoup nourri des discriminations qui continuent d’exister aujourd’hui. Donc, diffuser ce film en Seine-Saint-Denis et en discuter participe à mieux faire connaître notre histoire qui est aussi celle des tirailleurs sénégalais, et plus largement de tous les combattants venus des anciennes colonies de la France. »
« Sang noir contre sang blanc »
Un passé qui a du mal à passer… Sur le site de l’ossuaire de Douaumont dans la Meuse qui commémore la bataille de Verdun, en 1916 (143 000 Allemands et 162 000 Français tués), « il y a des François, des Paul, des Jacques, mais pas de Fofana, ni de Bakary, fait remarquer l’historien Gilles Merceron. Cela nous rappelle que Nivelle, un des généraux français de la Première Guerre, n’hésitait pas à dire au moment de la bataille du Chemin des dames en 1917 qu’il ne fallait pas « ménager le sang noir pour conserver un peu de blanc ».
« Il reste des batailles »
Dans la salle du Méliès, ce rappel historique enflamme le débat : « Comment réparer ça, comment même indemniser les familles des descendants des combattants ? », s’interroge une voix.
Un horizon difficile à cerner lorsqu’on sait qu’il a fallu attendre la sortie du film de Mathieu Vadepied en janvier pour que d’anciens tirailleurs sénégalais puissent enfin rentrer dans leur pays d’origine tout en touchant leur minimum vieillesse. « Certains ont même perdu leurs pensions pour avoir dépassé de quelques jours la résidence imposée de six mois en France », glisse Aïssata Seck qui a également mené ce combat.
Celui-ci est gagné, mais il lui reste bien d’autres « batailles » à mener : « Pourquoi ne pas faire entrer l’histoire, le visage d’un de ces tirailleurs au Panthéon ? », conclut-elle.
Durant les quatre années de la Première Guerre mondiale, plus de 160 000 tirailleurs d’Afrique Équatoriale et d’Afrique de l’Ouest participèrent au conflit. Ils venaient du Sénégal, de Côté d’Ivoire, du Bénin, de Guinée, du Mali, du Burkina Faso, du Niger, de Mauritanie.