Sur les pas de Renée Gailhoustet

Sur les pas de Renée Gailhoustet
Journées du matrimoine
  • Lors de ces Journées, une visite de quelques lieux emblématiques de l’œuvre de Renée Gailhoustet, une grande dame de l’architecture et de l’urbanisme, était proposée aux habitant·e·s du département.
  • Le Département s’est engagé depuis quelques années à mettre à l’honneur son matrimoine, et à travers lui les femmes qui l’ont imaginé et réalisé.

Un beau samedi ensoleillé, un autocar rempli de participant·e·s, un programme divers et la présence de Benoît Pouvreau, du service du patrimoine culturel départemental, comme guide, tout était réuni pour faire de cette visite un moment de découverte et de partage. Au menu, la Maison de quartier Jacques Brel dans le Bas-Pays de Romainville reconvertie en Centre social, un ensemble de logements à Villetaneuse, l’lot 8 de la ZAC Basilique à Saint-Denis et enfin La Maladrerie à Aubervilliers, le grand œuvre de l’architecte en Seine-Saint-Denis. Les deux premiers arrêts sont consacrés à des réalisations que Renée Gailhoustet a produites sur la fin de sa carrière. Ainsi la Maison de quartier, réalisée en béton avec parement de briques, fut livrée en 1990-1991. Initialement, cet équipement devait être constitué d’une bibliothèque, d’une salle de fête, d’une salle de spectacle ainsi qu’une bourse du travail accueillant les syndicats. Au fil des années, de nombreux changements sont intervenus : la bibliothèque a été reconvertie en cyber-espace, la salle des fêtes a été partagée en deux salles polyvalentes plus adaptées aux besoins du centre social actuel. Lors de cette visite, on ne peut manquer d’admirer la présence d’un patio qu’on retrouve dans la plupart de ses créations, en particulier dans les logements. Benoît Pouvreau souligne « l’importance du travail effectué sur la lumière naturelle, dans une architecture proposant des espaces traversant ». Tout est d’origine, en particulier les huisseries, avec cependant des couleurs ayant perdu quelque peu de leur fraîcheur. Une réhabilitation mériterait d’être engagée…

Un engagement social de tous instants

Renée Gailhoustet a été l’une des rares architectes à vivre dans l’une de ses créations HLM. Lors de l’hommage qui lui fut rendu au moment de ses obsèques en janvier 2023, le maire d’Ivry, où elle habitait, déclara que « son expertise et sa profession étaient mis au service du logement social. Elle le concevait comme un espace d’échanges, de rencontres et de bien-être, plaçant l’humain au centre de ses réalisations ». « Elle a mené une réflexion exigeante et prolifique sur l’individualisation de l’habitat social, en refusant la construction standardisée de cette époque », rappelait de son côté la ministre de la Culture. C’est à la fin de sa vie que la reconnaissance est arrivée avec le Grand Prix des arts de Berlin en 2019, le Prix d’architecture 2022 de la Royal Academy de Londres, et en octobre 2022 le prix d’honneur du Grand Prix national d’architecture pour l’ensemble de sa carrière. On reconnaît enfin cette précurseure, qui à l’heure de la construction de masse dans les années soixante, dénonçait l’habitat standardisé dans les grands ensembles de l’époque. « Il est vital que le logement par ses volumes, son agencement, soit aussi varié que possible pour que chaque individu trouve la coquille qui convienne, même en HLM », disait-elle.

 

Des terrasses plantées

Cette architecture généreuse, notre groupe de visiteurs et visiteuses va la découvrir à Villetaneuse. Depuis le car, on peut apercevoir se profiler à l’horizon l’université, les logements étudiants transformés en logements sociaux, avant d’arriver à notre destination. Cet ensemble de logements, plutôt une petite opération si l’on considère l’ensemble de son œuvre, joue là aussi sur la mixité brique et béton. Dans un environnement particulier avec la présence d’un pont, la grande ceinture consacrée au trafic marchandises où circule désormais le T11, l’implantation d’un supermarché, « l’architecte avait pour mission d’apporter un peu d’urbanité à un environnement en manquant singulièrement », explique Benoît Pouvreau. Ce qui fait la signature des logements imaginés par elle, c’est la présence d’une ou plusieurs terrasses plantées dans chaque logement. Si lors de la livraison de cette opération, les terrasses n’ont pas été dotées de terre, depuis elles ont pris leur envol avec la mise en place d’une couche de terre végétale de 30 à 40 cm. Désormais, on peut même apercevoir des arbres et des arbustes pousser dans les étages. « Chez Jean Renaudie ou Renée Gailhoustet, il était systématique de proposer des terrasses plantées, afin que, même dans du collectif, chacun puisse avoir un bout de jardin ! Proposer dans du logement social des terrasses, n’était pas évident, ce qui explique la présence massive du béton » poursuit notre guide.  Au fil des années, la nature devait prendre le dessus sur le béton, comme on allait le découvrir en fin de visite à la Maladrerie. Les appartements dessinés par l’architecte, tous différents, offrent de grands espaces ouverts, très lumineux, avec très peu de cloisons et sont distribués en duplex voire en triplex.

"La société dans laquelle Renée Gailhoustet imagine les gens est une société ouverte, de rencontres et d’échanges."

L’ilot 8 de la ZAC Basilique

Le périple se poursuit vers Saint-Denis où chacun·e, dans le car a tout loisir de découvrir l’architecture départementale dans sa diversité. La ZAC Basilique est constituée d’ilots dont chacun a été confié à un architecte différent. Celui attribué à Renée Gaihloustet fait face à celui de Jean et Maria Deroche et à celui de Francis Gaussel. Chacun des espaces a pour mission de dialoguer intelligemment avec les autres parties du quartier. Place du Caquet est à la confluence de ces différents ilots dont celui confié à Renée Gailhoustet avec près de 190 logements. Construits sur dalle, ils s’inscrivent dans une continuité commerciale, allant du marché au Carrefour implanté là. « Ici, le logement type n’existe pas », annonce Aurore Reynaud, chargée d’une mission de réhabilitation de cet ensemble où les travaux se feront en milieu habité. Dans cet ilot, où la troupe pourra visiter un logement vide et réhabilité, les espaces triangulaires sont présents partout ! Certaines terrasses offrent près de 80 m2 de plantations, avec pour certains logements, plusieurs terrasses. Si l’on compte peu de studios, les derniers étages distribués en duplex ont une vue magnifique sur la cathédrale et la ville. Evidemment, la structure du logement visité entièrement vide, laisse perplexe plus d’un visiteur·euse… Comment l’aménager et le meubler ? Pourtant, certain·e·s habitant·e·s, présent·e·s depuis la livraison de l’opération ne sont pas prêt·e·s d’en partir.

 

La Maladrerie à Aubervilliers

Fin de notre voyage-découverte à Aubervilliers avec la découverte de la Maladrerie, de ses 900 logements, sa soixantaine d’ateliers d’artistes, ses équipements publics et ses fameuses terrasses plantées qui en l’espace de 40 ans ont pris petit à petit le dessus sur le béton. Architecte en chef du projet (1975-1986) Renée Gailhoustet est accompagnée de Vincent Fidon, Magda Thomsen, Yves et Luc Euvremer, et Katherine Fiumani qui nous fera visiter le lieu avec Gilles Jacquemot, ainsi que son propre logement qu’elle habite depuis 40 ans. « Une fois que Renée Gailhoustet a défini les contraintes sur son plan d’architecture, avec les points porteurs, la présence des gaines, les points durs que sont les escaliers et les ascenseurs et les séparatifs qui peuvent être déplacés comme on l’entend, c’est un véritable jeu jubilatoire qui est mis en place pour les architectes qui ont à travailler sur les volumes », raconte Katherine Fiumani avec enthousiasme. « C’est une méthode de travail absolument extraordinaire ! » Gilles Jacquemot explique : « La Maladrerie est un morceau de ville où Renée Gailhoustet applique l’ensemble de ses principes : des logements tous différents dans des bâtiments qui ne sont plus haussmanniens, les long des rues. C’est la négation de la rue ! Ici, les espaces extérieurs sont aussi dessinés que les espaces intérieurs. Il s’agit d’un ensemble urbain, tout à fait original, dans lequel le piéton est roi, avec de multiples circulations permettant d’aller où l’on veut, et surtout de se rencontrer. La société dans laquelle Renée Gailhoustet imagine les gens est une société ouverte, de rencontres et d’échanges. » Aujourd’hui, la Maladrerie est un espace boisé, plein de charme, que l’on peut traverser sans rencontrer une seule voiture. Un étang avec moult nénuphars, grenouilles, crapauds, poissons, et même la présence d’un héron est devenu un lieu de rendez-vous. Renée Gailhoustet affirmait : « Mon volume sera achevé lorsque les habitants auront planté, de façon à ce que l’on ait une colline urbaine. »

César Vabre a vécu jusqu’à ses 18 ans à la Maladrerie. Il est depuis devenu architecte… « Ayant vécu toute mon enfance dans cet appartement à la Maladrerie, je me suis posé plus tard la question : Mais comment peut-on vivre dans un logement classique ! On y perd cette relation de générosité de la lumière, générosité des espaces, générosité de la relation intérieur / extérieur. Enfant, j’ai rapidement appris à me repérer, c’est un exercice mental important et qui apprend à reconsidérer les notions d’espace… »

Dans le bulletin du printemps 2023 de l’association Jardins à tous les étages, on peut lire : « Les réalisations de René Gailhoustet avec celles de Jean Renaudie et quelques rares architectes de cette école de pensée, sont uniques en France, en Europe et même dans le monde. C’est l’un des visages de l’exception culturelle française. » Avec la Maladrerie, c’est la fin du voyage. A vous de prendre la suite et d’aller visiter ces lieux, et d’autres, qu’une architecte d’exception a imaginés pour le bien-vivre des gens.

 

Claude Bardavid

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