Quand le théâtre se penche sur les conseils de quartier

Quand le théâtre se penche sur les conseils de quartier
Théâtre participatif
  • Depuis septembre, à La Comète, Maison des pratiques artistiques amateurs, des habitants de La Courneuve encadrés par des comédiens professionnels répètent « Quartier Poétique de la Ville ».
  • Une pièce de théâtre qui donne un éclairage à la fois lucide et décalé, mais jamais irrespectueux, sur les conseils de quartier.
  • Le spectacle sera présenté au public six fois, dont deux hors les murs, en juin prochain.

Dans la Boîte Noire, le nom donné au plateau de création de la Maison des pratiques artistiques amateurs La Comète, à La Courneuve, le stress est palpable. « Comment vais-je faire pour mémoriser tout ce texte ? », s’interroge Yvette. « À quel moment dois-je intervenir ? », s’inquiète Gérard. Comme tous les vendredis après-midi, depuis septembre dernier, quinze comédiens amateurs, des habitants de La Courneuve pour la plupart, répètent « Quartier Poétique de la Ville ». Écrit (sur la base des témoignages des quinze acteurs) et mis en scène par Mathilde Evano, membre des Enfants du Paradis, la compagnie résidente de La Comète, ce spectacle donne vie à un conseil de quartier, cette instance municipale de démocratie participative associant les habitants d’une ville à la gestion locale.

« Il ne s’agit pas d’un docu-fiction ou d’une pièce à visée pédagogique qui rend compte d’un conseil de quartier, souligne Mathilde Evano. Si les sujets traités sont réels, c’est dans l’intention d’interroger notre société: comment fait-on pour assurer le vivre-ensemble alors que nous avons des points de vue divergents ? Par quels processus va-t-on réussir à oublier nos désaccords ? Et pour éviter d’être barbant, on le fait de manière poétique, loufoque, absurde parfois, c’est à ce moment-là que le théâtre intervient. » Pour concevoir ce projet, la metteuse en scène dit s’être inspirée de la compagnie déjantée Les Chiens de Navarre, qui foule aux pieds la bienséance et qui excelle dans les moments qui partent en vrille, et de la pièce « Ça ira (1) Fin de Louis » de Joël Pommerat, dans laquelle le spectateur assiste aux débats animés qui ont précédé le processus révolutionnaire de 1789.

Un projet soutenu financièrement par le Département

Dans « Quartier Poétique de la Ville », qui fera l’objet de six représentations, quatre à La Comète et deux dans un lieu encore inconnu, les questions tournent autour des nouveaux enjeux urbains de La Courneuve, qui s’apprête – et ça ce n’est pas de la fiction – à réhabiliter son centre-ville. La fermeture, en 2018, de l’usine de fabrication de plastique KDI, avenue Gabriel Péri, juste en face du bâtiment abritant La Comète, a laissé place à une friche de 5,5 hectares colonisée depuis par la nature. Ce vaste espace, rebaptisé ZAC du Quartier de la mairie, accueillera 1000 logements en 2028, des commerces et un groupe scolaire. Toujours sur le ton du second degré, le spectacle passe aussi en revue les problèmes du quotidien que sont les crottes de chien et le stationnement sauvage. « On ne se moque jamais et on verse encore moins dans le discours moralisateur, précise Mathilde Evano. D’ailleurs, cette réunion fictive s’achève sur une bonne note : on prouve qu’il est possible de régler des problèmes en passant par le collectif. En définitive, dans ce projet, on ne fait rien d’autre que de célébrer les réunions publiques, qui restent des endroits où on peut s’exprimer librement. »

Sur scène et en musique sont invités à débattre un architecte, une militante syndicale, une révolutionnaire, un ancien prof qui a toujours son mot à dire, Martine qui ne sait pas pourquoi elle est là, une écolo ou encore une personne étrangère accompagnée d’une traductrice. Dix-huit personnages interprétés aux deux tiers par des comédiens amateurs issus de la Maison Marcel-Paul, structure municipale qui propose des activités en direction des seniors, les Maisons pour tous Cesaria-Evora et Youri-Gagarine ou l’antenne locale du Secours populaire. « Il y a une majorité de retraités car nos répétitions se tiennent le vendredi mais ce projet est ouvert à tout le monde », rappelle Mathilde. Un projet qui a séduit bon nombre d’amateurs mais aussi quelques institutions telles que l’Agence nationale de la cohésion des territoires, via la politique de la ville, l’association Georges Hourdin, la conférence des financeurs (instance pilotée par le Département), la Fondation de France et la Caf, qui ont accepté d’apporter un soutien financier.

Pour bien commencer cette répétition, « on va s’échauffer, avertit Vincent Marguet, un des trois comédiens professionnels de la pièce, qui participe aussi à la mise en scène. Massez-vous les avant-bras, le ventre, les jambes, il faut que tout votre corps se relâche. » La petite troupe forme ensuite un cercle où, tour à tour, chacun est invité à pousser un cri repris en chœur par le reste du groupe. Avant de s’adonner à une série d’onomatopées scandés avec vigueur et détermination. Certains se lancent facilement, voire à corps perdu. D’autre tâtonnent mais finissent par jouer le jeu, le sourire aux lèvres toujours. « Ce sont des exercices classiques de théâtre qui sont utiles à la cohésion du groupe et à la prise de confiance, explique Vincent. Depuis septembre, les progrès sont évidents. Lors des premiers rassemblements, on n’entendait aucun son sortir des bouches. » Puis place au mime. Joie, colère, tristesse, le metteur en scène adjoint les fait travailler sur les émotions. « C’est très bien Josette, lance Vincent. Il y a quelques semaines, tu restais assise sur ta chaise, immobile, aujourd’hui tu ne la regardes même plus et tu parviens à te dépasser. »

« Cet instant théâtre est une libération »

Saadet, elle, est à l’aise depuis le début de l’aventure. Cette femme de 40 ans, qui n’a jamais quitté la Courneuve, est une férue de théâtre. « J’ai toujours voulu en faire mais c’était soit trop cher, soit pas le bon moment. Mais je suis arrivée à un moment de ma vie où je veux davantage prendre soin de moi. Je suis actuellement dans une démarche de développement personnel, mon bonheur est devenu ma priorité. Cet instant théâtre me permet de m’épanouir, d’aller vers quelque chose que j’ai choisi moi-même, c’est une libération. » Cette esthéticienne de formation, qui vient de lancer son entreprise de vente de meubles et d’objets de déco, avoue avoir trouvé « une seconde famille » à La Comète, un lieu qu’elle fréquentait assidument enfant du temps de l’ancien cinéma L’Étoile.

Benjamin de l’équipe du haut de ses 19 ans, Yassine aussi était attiré par les planches depuis longtemps. « Je fais pas mal de slam où, comme au théâtre, on déclame un texte en public. La différence est que cette fois j’incarne un personnage et que j’ai affaire à des partenaires sur scène. C’est un projet collectif très excitant ! » Le jeune homme originaire de Stains, qui « commence à connaître son texte », joue le rôle d’un habitant de La Courneuve venu donner son avis sur le devenir du quartier centre-ville. « À l’intérieur de moi, il se passe beaucoup de chose, confie-t-il. Le défi va être de mettre de côté ma timidité le temps du spectacle pour me faire plaisir et partager cette joie avec les spectateurs. »

Pour Fatima, 72 ans, le théâtre est une échappatoire salutaire. Après s’être battue contre une longue maladie, cette pièce dans laquelle elle campe une « militante syndicale en colère (rôle que j’ai joué dans la vraie vie, je ne serai pas dépaysée) » lui permet de s’évader. « Le théâtre constitue une excellente thérapie et c’est le moyen de rencontrer de nouvelles personnes. Pour se retaper, c’est parfait. » Elle a entendu parler de ce projet à la Maison Marcel-Paul, où elle fait déjà du scrabble, de la pétanque et de la chorale. Elle dit ne pas avoir hésité une seule seconde, « d’autant que le thème m’intéressait. Je suis très impliquée dans la vie municipale, je participe à tous les dépouillements des bulletins de vote et assiste régulièrement à des débats organisés par la Ville sur divers sujets de société. » Et d’ajouter : « Il faudra revenir dans six mois, on sera prêts ! »

Grégoire Remund

Photos: ©Jérémy Piot

Tous les commentaires4

  • Staub

    Bonjour,
    Membre moi même d’un conseil de quartier, je suis impatient d’assister aux représentations…
    Quelles sont les dates et lieux?

    Merci par avance

    • Grégoire Remund

      Bonjour, quand on les aura, on les communiquera. Cordialement

  • BUISSON

    Bonjour,
    Très intéressant.
    Est-ce que vous savez quand la pièce sera jouée ?
    Bien cordialement.

    • Grégoire Remund

      Bonjour, l’équipe de la Comète n’a pas encore de date précise. Mais ce ne sera pas avant juin prochain. Cordialement

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