« Premières urgences » : 5 médecins en devenir
Cinq étudiant·e·s en médecine découvrent leur métier aux urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis. Derrière la caméra, Eric Guéret leur donne la parole. Turn-over des équipes, abandon de la psychiatrie, sous-équipement informatique, erreur médicale, formation initiale à moderniser, « Premières urgences » un documentaire qui dit tout… avec humanité.
Mélissa, Hélène, Lucie, Evan et Amin ont étudié à la faculté de médecine de Bobigny. C’est la première fois qu’elles et ils recousent des plaies, rédigent une ordonnance, rassurent les malades. En les suivant pendant six mois, la durée de leur stage aux urgences de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis, on apprend qui ils·elles sont, quelles sont leurs qualités, leurs craintes, leurs limites…
« Premières urgences » est un documentaire qui donne la parole à ces jeunes praticien·ne·s âgé·e·s de 22 à 25 ans. Des femmes et des hommes qui démarrent leur profession, parfois sans en avoir la vocation mais qui au fil des jours se transforment en passionné·e·s de ce métier, désireux·ses de l’améliorer avec humilité.
Six mois de tournage
Réalisé à partir de 150 heures de rushs, ce film d’1h40, saisit le service des Urgences en pleine action, donnant à voir un quotidien d’une grande variété. On y voit des médecins qui endossent le rôle de « commercial » pour trouver « un lit » à leur patient·e afin qu’elle ou il soit pris en charge dans un service approprié… soit une, voire deux heures à appeler des confrères pour chaque malade ou accidenté·e·s qu’il est impossible de laisser sortir. Les profils des internes sont aussi d’une grande variété et leurs caractères s’adaptent en fonction des situations. Tour à tour des « gamins » qui font la compet’ : à qui connaît le plus de noms latins pour chaque os du pied. Des « sérieux-rigoureux » qui retracent, dans un carnet l’ensemble des patient·e·s qu’ils ou elles ont croisé·e·s. Des « tenaces » qui repassent le concours pour décrocher la spécialité tant désirée.
Faire face aux bobos de l’hôpital
Ces cinq internes sont à la fois là pour apprendre leur métier sur le terrain -entouré·e·s et soutenu·e·s par des équipes dévouées, soudées, professionnelles et humaines, présentes 7J- H24- mais aussi pour soigner les malades quels qu’ils soient : personnes alcoolisées, victimes de violences, personnes psychotiques, personnes très âgées vivant dans une extrême solitude, personnes sortant de prison…
Rayonnant d’humanité
La jeune interne Lucie se laisse guider par son empathie. Elle aborde tou·te·s ses patient·e·s avec la même voix douce et bienveillante. A la femme SDF qui raconte sa vie dans un parking, une bouteille en plastique remplie d’un liquide jaune à la main, Lucie demande ce qu’elle contient. Devant le sourire gêné de la dame, Lucie lui dit qu’elle a compris et lui rappelle qu’il est interdit de boire de l’alcool à l’hôpital. Lorsqu’elle lui propose une douche. Sa patiente parait réticente « – Il faut se laver ? » Lucie lui répond, l’air détaché : « non c’est une proposition et après on fait les examens pour voir si c’est cassé ou pas ». On comprend qu’en lui laissant le choix de refuser, Lucie lui offre un statut qu’elle n’a jamais. Cette dame, à la vie si dure, l’appelle « ma fille » lui prend les mains et accepte la douche, les yeux brillants. Une scène absolument rayonnante d’humanité.
Aux fans des séries télévisées « Urgences », « Docteur House » et autres, passez votre chemin, dans « Premières urgences » malgré la période Covid-19 (de novembre 2020 à mai 2021) et la typologie des patient·e·s, ici à Delafontaine, on ne courbe pas l’échine, on ne baisse pas les bras, on s’entraide, on n’oublie personne. Ici, on gère.
Le documentaire « Premières urgences » réalisé par Éric Guéret, sort le 16 novembre au cinéma.
« Un regard juste et sans concession sur les urgences »
Interview du réalisateur Éric Guéret
Comment est née l’idée de ce film ?
J’ai réalisé un film aux urgences de l’hôpital Avicenne de Bobigny en 2015. J’y racontais déjà la dégradation de notre système de santé et la fatigue des équipes soignantes. Quel avenir la politique de rentabilité de « l’hôpital entreprise » allait réserver à notre offre de soins ? Pendant cinq ans j’ai cherché à poursuivre cette interrogation et à faire un nouveau film sur l’hôpital public. Sur sa fragilité et son risque de faillite, mais aussi sur sa beauté et son absolue nécessité. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que pour beaucoup de Français, l’hôpital et particulièrement les services d’urgences, sont les seuls lieux où se rendre en cas de problème. Le désert médical avance : dans près de la moitié du territoire, la population n’a plus accès à un médecin traitant. Sans l’hôpital, il n’y aurait plus rien. Alors que l’accès aux soins gratuits est l’un des piliers du pacte républicain ! Mais au-delà du fléau de la désertification médicale, l’hôpital reste une des seules bouées de sauvetage pour toute une partie de la population qui subit de plein fouet la brutalité de notre société. La violence physique, bien sûr, mais aussi la précarité, la solitude, la vieillesse, l’instabilité psychiatrique. Dans ce film, les jeunes internes font face à tous ceux et toutes celles qui arrivent aux urgences : ils et elles sont confronté·e·s à des problèmes graves, parfois vitaux. Leur service représente parfois le seul espoir de certain·e·s patient·e·s. À l’heure où l’hôpital va plus mal que jamais il me semble indispensable de rappeler le cœur de sa mission de service public.
Pourquoi avoir choisi les urgences de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis ?
L’hôpital Delafontaine est le lieu idéal pour incarner les questions que porte le film. C’est un grand hôpital de périphérie, semblable à ceux que l’on peut trouver dans beaucoup de villes françaises. Il est au cœur d’un désert médical urbain et est ainsi représentatif de ce que subissent beaucoup d’autres territoires. Car les déserts médicaux ne sont pas qu’à la campagne comme l’on pourrait le croire.
D’autre part la Seine-Saint-Denis fait face comme tous les grands centres urbains périphériques à la paupérisation de sa population, à l’arrivée de populations migrantes, à la solitude des personnes âgées et à toutes les fragilités sociales que l’hôpital doit gérer. Enfin, il était important pour moi de ne pas m’installer dans un endroit où la situation serait extrême. Je ne voulais pas être au cœur d’un service d’urgence chaotique. J’aime filmer les problèmes de notre société en les abordant par les solutions. Par la face lumineuse plutôt que par les côtés obscurs.
Les urgences de l’hôpital Delafontaine subissent toutes les dérives de l’hôpital public mais elles fonctionnent malgré tout. Cela tient en majeure partie à l’engagement et à la solidarité de toutes les équipes soignantes. Mais aussi à la gestion de leur chef de service Mathias Wargon. C’est un personnage charismatique qui est devenu au fil du tournage l’un des personnages principaux du film aux côtés des 5 internes. Grâce à lui, le service d’urgences à Delafontaine tourne correctement. Vous n’y voyez pas de misérabilisme, de système à l’agonie, de patient·e·s oublié·e·s à force d’attendre… Cette situation nous permet de porter un regard juste et sans concession au plus près de la réalité quotidienne de ce service.