Les cités-jardins, une utopie habitée

Les cités-jardins, une utopie habitée
Aménagement
  • Les cités-jardins imaginées à la fin du XIXe siècle ont été une réponse alliant les avantages de la ville et de la campagne. Un ouvrage en bande dessinée raconte cette utopie et présente les cités-jardins aujourd'hui.
  • Comment imaginer des cités-jardins au XXIe siècle ?
  • Zoom sur la cité-jardin de Stains, l'une des plus anciennes, dont la réhabilitation a été primée.

« Où les gens veulent-ils vivre ? À la ville ?  À la campagne ? À la ville-campagne ?  » interroge Ebenezer Howard en 1902 dans un livre-manifeste. Alors que la révolution industrielle attire un nombre toujours plus important d’ouvriers et ouvrières dans les grandes villes, la cité-jardin associant ville, nature, confort et santé ; est une réponse innovante apportée à leurs conditions de logement inhumaine.

En France, le mouvement a suivi et plus particulièrement en Ile-de-France où elles constituent un patrimoine architectural unique et exceptionnel ; que défend l’Association régionale des cités-jardins d’Ile-de-France.

La Seine-Saint-Denis compte plusieurs cités-jardins datant de l’entre deux guerre.

 

Une bande-dessinée pour mieux les connaître

Pour fêter ses 10 ans d’existence, l’association a produit un ouvrage sous forme de bande dessinées pour mieux faire connaître auprès des habitant·es et du grand public, l’histoire des cités-jardins, mais « surtout montrer la vision contemporaine de ces quartiers », souligne Noémie Maurin-Gaisne, coordinatrice scientifique et éditoriale du projet avec Benoît Pouvreau, pour le Département de la Seine-Saint-Denis. L’ouvrage peut s’honorer de la collaboration de l’architecte Jean Boidot qui réalisa la première phase de réhabilitation de la cité-jardin de Stains. Il signe chacune des aquarelles en ouverture de chacune des cités-jardins présentées.

Seize artistes se sont mis au travail pour recueillir des témoignages d’habitant·es de douze cités-jardins d’Ile-de-France et produire un ensemble fort plaisant, chacun avec son style de narration et d’écriture graphique au service de cette utopie que certains rêvent de voir renaître.

Chaque cité-jardin son artiste

Jean Leveugle ouvre le bal ainsi que l’ouvrage, avec une vingtaine de planches, dans lesquelles il met son talent d’homme de bande dessinée à raconter cette histoire. Du Londres de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, il nous emmène faire un tour aux côtés d’Ebenezer Howard qui imagina cette nouvelle forme d’organisation collective d’aménagement du territoire et de vie en société. Ce voyage nous conduira en Ile-de-France auprès d’habitant·es dont les témoignages précieux nous renvoient quelques dizaines d’années en arrière. Mais notre homme de BD qui est aussi géographe et urbaniste, ne manque pas de renvoyer à aujourd’hui et à poser les bonnes questions : « Pour éclairer les projets de demain, les cités-jardins doivent voir renaître leurs valeurs à la lumière des enjeux et des aspirations du XXIe siècleCes valeurs, sociales, paysagères, urbaines et architecturales doivent se traduire par de la mixité, de la biodiversité, par une proximité commerciale (ville du quart d’heure) et par une seconde vie du bâtiment », explique-t-il. Un trait de qualité mis au service d’une narration enlevée et didactique, ponctuée de quelques salves d’humour, avec une mise en couleur aux tons feutrés, rien de tel pour engager le lecteur à le lire avec intérêt et découvrir la suite.

Chaque artiste à qui était dévolu une cité-jardin a procédé comme il le souhaitait. Fabien Bellagamba a tenu un stand en plein cœur de la cité-jardin de l’Eguillier, à Dugny, construite par les mêmes architectes que celle de Stains. Il a demandé aux habitant·es de raconter, dessiner et relater leurs souvenirs. Cette collecte a été intégrée dans sa réalisation qui prend davantage l’allure d’un carnet de voyage que d’une bande dessinée.

Cendrine Bonami-Redler a passé beaucoup de temps à Livry-Gargan à dessiner sous le regard interrogatif des habitant·es. Puis elle les a rencontrés, ils ont parlé, se sont confiés et raconté leur vie dans cette cité-jardin qui à l’origine était destinée aux ouvriers de la Poudrerie nationale de Sevran.

Les sœurs Chevalme, Delphine et Elodie, ont choisi de s’investir sur la cité-jardin de Stains. « Comme on est de Saint-Denis, c’était pratique et ça nous plaisait bien ! C’est Noémie Maurin-Gaisne qui nous l’a fait visiter. On était loin d’imaginer, que tout près de chez nous, se trouvait une telle cité-jardin, raconte Delphine. Nous souhaitions produire un travail in situ et nous baser sur les récits d’habitants que nous avons rencontrés. » Les deux sœurs se sont adossées sur un projet mené par l’association autour des habitants-guides. Il en est résulté six pages, sous forme de reportage autour de ces habitants qui avec une certaine fierté font visiter leur cité à des habitants venus de partout. On y découvre la place Marcel-Pointet, l’avenue Paul Vaillant-Couturier et l’espace Eluard que Delphine Chevalme a pris beaucoup de plaisir à dessiner.

Les cités-jardins de demain

Cette organisation sociale, spatiale et architecturale sortie de terre entre les deux guerres éveille une résonance très forte aujourd’hui. Nombreux sont celles et ceux, qui aspirant à un meilleur confort de vie, en phase avec les enjeux de notre temps, à s’y référer et pourquoi pas à y rêver. Du point de vue paysager, elles offrent des espaces verts, une perméabilité des sols, des espaces de biodiversité, des îlots de fraîcheur avec ses nombreux arbres. La présence d’équipements publics ainsi que celle de nombreux commerces de proximité, en font « la ville du quart d’heure ». Quant à l’architecture, nous savons qu’il est possible de faire du logement social de qualité avec tout le confort induit sans négliger les finitions comme le firent les pionniers en redonnant de la dignité aux personnes qui y vivaient. Enfin, la valeur sociale, renouant avec l’esprit de communauté et de solidarité, reposant sur de la mixité sociale, elle ne demande qu’à être revivifiée dans des projets audacieux. En tous les cas, la question est sur la table, et l’association des cités-jardins d’Ile-de-France l’a mise à l’ordre du jour de ses réflexions, avec d’ici quelques mois la création d’un prix décerné aux cités-jardins du XXIe siècle.

Cité-jardins de Stains

Les cités-jardins, une utopie habitée, éditée par Elytis.

Il sera disponible en librairie à partir du 6 février 2026.

On peut se procurer l’ouvrage auprès du local Mémoires de cités-jardins : Tél. : 01 58 69 77 93

 

« Pour éclairer les projets de demain, les cités-jardins doivent répondre aux enjeux et aspirations du XXIe siècle se traduisant par de la mixité, de la biodiversité, par une proximité commerciale et par une seconde vie du bâtiment »

Jean Leveugle, géographe-urbaniste

La cité-jardin de Stains

C’est sur les 27 hectares du domaine de l’ancien château de Stains que la cité-jardins a été réalisée entre 1921 et 1933, par l’Office public d’habitation à bon marché (OPHBM) de la Seine, avec pour architectes Eugène Gonnot et Georges Albenque. Son plan en forme de toile d’araignée est l’un de ceux qui se rapproche le plus du plan théorique d’origine dessiné par Ebenezer Howard en 1898. Du parc, a été conservée la belle allée qui traverse le terrain, baptisée plus tard avenue Paul Vaillant-Couturier. Elle relie la mairie, installée dans les anciennes écuries du château, à la place centrale de la cité, la place Marcel-Pointet à partir de laquelle se tisse la voirie. Les logements se répartissent entre les pavillons (472) en crépi jaune ou gris et les collectifs en brique (1168 logements). Le projet initial subira quelques modifications pour des raisons d’économie : la part de l’habitat pavillonnaire sera revue à la baisse au profit de l’habitat collectif. Prévue pour accueillir des familles travaillant dans les usines environnantes à Stains, Saint-Denis, Le Bourget, La Courneuve, le bourg rural qu’est Stains verra sa population doubler en peu de temps et se transformer en banlieue ouvrière.

Le site, accessible par le tramway, l’est aussi par le chemin de fer de grande ceinture. Les deux architectes ont réussi à créer un paysage urbain d’une grande variété à partir de quelques éléments de base. Les larges avenues rectilignes sont bordées de logements collectifs et de platanes en alignement ; ailleurs, dans certaines rues l’alignement est obtenu par la présence de haies ou de clôture devant les pavillons. Les arbres ne manquent pas. Outre les platanes pour les alignements, on découvre des tilleuls et des érables, mais on peut aussi apercevoir des chênes et des séquoias. Quant aux jardins amoureusement entretenus, on peut y apercevoir du mimosa, du lilas et des arbres fruitiers. Des chemins se faufilent entre les jardins pour atteindre les cœurs d’îlots. Les pavillons espacés les uns des autres, sont séparés de la rue par un jardin d’ornement tandis qu’à l’arrière se déploie un jardin d’agrément ou un potager pouvant mesurer jusqu’à 300 m2.

La cité-jardin a bénéficié d’une importante réhabilitation, démarrée en 2002 et achevée en 2022, portée par Seine-Saint-Denis Habitat (logements, façades, cœurs d’îlots, espaces communs), complété par le réaménagement des espaces publics par Plaine Commune.

Elle obtient une Victoire de bronze du paysage 2020 pour le travail de réhabilitation des cœurs d’îlots dans la catégorie « bailleurs sociaux-aménagement de quartiers ». Inscrite au titre des Sites depuis 1976, elle l’est également au Plan local d’urbanisme intercommunal. En 2018, elle a reçu le label Patrimoine d’intérêt régional, valorisant ainsi son patrimoine architectural et historique. Le local Mémoires de cité-jardins, installé dans une ancienne quincaillerie est le siège de l’Association régionale des cités-jardins d’Ile-de-France. Cette attention portée par les collectivités a conduit à une valorisation de la cité-jardin mais surtout à une réappropriation du lieu par ses habitant·es.

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