Les banlieues ont droit de cité au Musée de l’immigration

Les banlieues ont droit de cité au Musée de l’immigration
Exposition
  • Jusqu’en août, le Musée de la Porte Dorée consacre une exposition aux banlieues françaises vues à travers leurs créations artistiques.
  • Balayant toute l’histoire française récente, du 19e siècle à nos jours, cette expo offre un regard riche et nuancé sur un espace qui cristallise souvent les clichés.
  • Le 93 y figure en bonne place, que ce soit à l’époque de la banlieue rouge ou à l’époque contemporaine grâce à des œuvres d’artistes ayant grandi à Bondy ou encore Aubervilliers.

« Elle habite quelque part/ Dans une banlieue rouge/ Mais elle vit nulle part/ Y a jamais rien qui bouge/ Pour elle la banlieue c’est toujours gris/ Comme un mur d’usine/ Comme un graffiti » La chanson « Banlieue rouge » de Renaud flotte dans les salles pendant qu’on visite l’exposition Banlieues chéries, que propose jusqu’en août le Musée de l’Immigration, à la Porte Dorée.

De banlieues rouges, il n’y en a plus beaucoup, emportées par la vague de désindustrialisation qui a frappé la France dans les années 80, mais c’est toute une époque douce et amère que raconte la belle chanson de Renaud.

La reconstitution d’un salon tel qu’il pourrait l’être dans un HLM.

Banlieues douces-amères, c’est d’ailleurs le premier volet de l’exposition, qui, en quelque 200 œuvres artistiques, entend revisiter l’histoire de la banlieue ou plutôt des banlieues. « Très vite, le pluriel s’est imposé à nous, car il y a sans doute autant de banlieues qu’il y a d’habitants de banlieue, raconte Horya Makhlouf, l’une des commissaires d’expo avec la Nancéienne Susana Gallego et l’artiste Aléteia. Et cette Pantinoise d’origine de poursuivre : « On a voulu raconter ces banlieues à travers l’art parce que c’était un moyen assez sûr de fuir les clichés qui sont souvent produits par les mass media et de donner la parole aux habitants de ces banlieues qui ont créé à partir de leur vécu. »

Après un passage obligé par les prémices de la banlieue – terre nourricière et lieu de villégiature pour la bourgeoisie parisienne au 19e siècle – on en arrive très vite à la banlieue industrielle, lieu de production mais aussi de relégation, où les déracinés de ce monde ont le droit de travailler, mais pas forcément d’habiter. Les photos en noir et blanc de Monique Hervo, bénévole dans les années 60 pour le Service Civil international dans le bidonville de Nanterre restent ainsi en tête, et on aurait tout aussi bien pu y mettre celles du bidonville du Franc Moisin de Saint-Denis, faites par Walter Weiss dans les mêmes années.

Après un passage par l’intérieur d’un logement social reconstitué, on entre dans le cœur de l’expo, dédié aux luttes sociales. Le communisme municipal époque Georges Valbon ou Jack Ralite est bien présent, avec par exemple 2 vues d’artistes de l’artiste Boris Taslitzky, commandées en 1968 par la ville de La Courneuve. « Il y a évidemment une dimension de propagande, mais c’est une époque où le travail s’accompagne aussi selon l’idéologie communiste d’un certain nombre de services publics : les bals, les clubs de sport, les colonies de vacances », détaille Emmanuel Bellanger, historien du Centre d’histoire sociale des mondes contemporains, également associé à la constitution de l’expo.

La liberté guidant le peuple

La frise chronologique de la révolte et des luttes sociales en banlieue.

Avec la fin des Trente Glorieuses et l’apparition d’un chômage de masse, ce sont ensuite d’autres luttes qui sont évoquées, plus indépendantes, avec déjà cette défiance envers le politique qui s’installe : la Marche en 1983 contre le racisme et pour l’égalité est présente à travers notamment l’œuvre de Cindy Bannani, qui fait le lien entre les violences policières des années 80 et celles ayant mené à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois en 2005. Un combat pour l’égalité et la dignité qu’évoque aussi la photo « La République » de Mohamed Bourouissa, qui réinterprète au goût du jour le célèbre tableau révolutionnaire de Delacroix « La liberté guidant le peuple ».

« Dans le dernier volet – Banlieues centrales – on a voulu réinterroger le rapport entre centre et périphéries. Est-ce que vraiment la banlieue est soumise à la métropole ? Parfois oui, comme dans la question des transports qu’on a appelé ironiquement le Grand déplacement. Parfois non, comme quand la banlieue devient elle-même territoire d’innovation », relance Hoya Makhlouf. C’est le cas par exemple dans ces photos de Willy Vainqueur qui montrent, en 1983, l’un des tout premiers événements hip hop en France, en l’occurrence le festival Fêtes et Forts au Fort d’Aubervilliers. Ou encore dans celles de Marvin Bonheur, habitant de Bondy qui a pris son appareil pour documenter la vie de tous les jours d’un jeune homme de banlieue, loin des clichés à la C News.

Une expo hors les murs à La Courneuve

Comme on peut le voir, la Seine-Saint-Denis n’est pas en reste dans cette exposition et le sera encore moins grâce à des interventions prévues sur son territoire. Le 3 juin, une exposition jumelle ouvrira ainsi dans le nouveau tiers-lieu culturel ouvert par le Département dans le futur 4e collège de La Courneuve. Avec à la baguette 6 classes d’écoliers de La Courneuve, qui ont produit des œuvres et sont allés piocher dans les collections du Fonds d’art contemporain du Département, accompagnés dans cette tâche par Horya Makhlouf et 3 artistes. « On essaie ainsi de faciliter leur rapport avec l’art, les musées, cette culture un peu intimidante et surplombante au premier abord, mais qui doit évidemment être accessible à tous », ponctue Horya Makhlouf. Maintenant, c’est le rappeur Médine et son flow « Grand Paris » qui résonnent dans l’expo : « La banlieue influence Paname et Paname influence le monde. »

Christophe Lehousse

Banlieues chéries. Jusqu’au 17 août,. Le week-end d’ouverture, ces samedi 12 et 13 avril, est gratuit. L’entrée, autrement, est de 12 euros. L’expo s’accompagne d’un cycle de conférences à retrouver sur https://www.palais-portedoree.fr/

Une petite sœur de l’expo Banlieues chéries en Seine-Saint-Denis ?

Depuis de longues années, l’historien Emmanuel Bellanger porte le souhait d’ouvrir en banlieue un Musée de l’histoire du logement populaire aux côtés du collectif AMULOP. « Parce que le logement populaire et social reflète depuis maintenant des générations le quotidien de nombreux habitants des quartiers populaires. New York, qui est comparable à Paris de par son histoire, l’a fait avec le Tenement Museum. Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire ?», défend le président du Centre d’histoire sociale des mondes contemporains, un laboratoire universitaire fondé par Jean Maitron, précurseur qui aura donné ses lettres de noblesse à l’histoire ouvrière. Le musée, un temps présenté cité Emile-Dubois à Aubervilliers pourrait enfin avoir trouvé une adresse fixe où couler des jours heureux. « Mais je ne peux pas encore vous révéler la ville. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’on espère bien qu’il sera en Seine-Saint-Denis », se réjouit l’historien.

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