Le retour du roi Jibril : contes inter-cités

Le retour du roi Jibril : contes inter-cités
Livres
  • Une histoire principale tissée de douze contes : « Le retour du roi Jibril » est un ovni littéraire écrit à dix-huit mains, qui fait de moments quotidiens de la vie des quartiers des petites et grandes aventures.
  • Seine-Saint-Denis Magazine a rencontré ses deux têtes pensantes à la langue bien pendue, les journalistes Rachid Laïrèche et Ramsès Kefi.

C’est un livre parfait pour les amateurs de bonnes histoires. Une nuit, Jibril, son héros, 32 ans, rêve de La Tortue, la cité de ses cousins où il tuait, adolescent, le temps de ses deux mois de vacances estivales. « Le roi »- son blaze- décide donc de faire son grand retour dans le hall de l’immeuble, où il retrouve ses potos d’antan. Pendant toute une nuit, il les régale de ses légendes. L’histoire de Samy le boulanger-entraîneur de boxe dont les élèves s’étaient mis à faire des petits travaux pour les voisins, à Aubagne, pour équiper leur ring. Celle de Mounas, qui avait promis de ramener le Nutella, son eldorado français, au Sénégal. Ou encore celle de la fois où Jibril avait perdu sa basket Air-Max vert sapin dans une baston générale. Qu’on les binge ou qu’on les sirote, chacune de ces histoires nous enlèvent, nous rendent captif, suspendus aux mots du narrateur, jusqu’au dénouement, puis nous laisse repus de l’amour ainsi transmis, comme par celui de ceux- parents, instits ou animateurs- qui, enfants, nous les racontaient en mettant le ton.

Vacances « intertess »

« Des conteurs, il y en aura tant qu’il y aura des histoires », aimait à dire Alain Gaussel, l’Andersen du 93. Les neuf auteurs réunis dans « Le retour du roi Jibril-contes de la cité », publié en mai aux éditions L’iconoclaste, sont en quelque sorte ses petits. Pour faire leur ratatouille, Rachid Laïrèche et Ramsès Kefi, journalistes à Libération, ont rassemblé ceux dont ils savaient « qu’ils savaient raconter les histoires ». Des connus : Faïza Guène, engraineuse du best-seller « Kiffe kiffe demain », Maïram Guissé, réalisatrice normande de « la vie de ma mère », Mathieu Palain, l’auteur de « Ne t’arrête pas de courir » et Faïza Zerouala, plume de XXI et de Mediapart. Et des qu’ils ne connaissaient pas : le bondy-blogueur lyonnais Saïd de l’Arbre, le romancier du Panier marseillais Hadrien Bels, la reine de « Grande Couronne » Salomé Kiner. « On a choisi d’écrire ce livre à plusieurs, parce qu’on aime travailler en bande, et parce que le Kefi et moi, on ne pouvait parler que des Yvelines et de la Seine-Saint-Denis », détaille Rachid Laïrèche.

L’idée du bouquin est partie d’un article de Rachid Laïrèche sur les « vacances intertess », ces vacances passées par les gosses dans une autre cité que la leur. « A quinze minutes de chez toi, tu découvrais un autre univers que le tien : une autre chambre, un autre quartier, tu devenais le plus grand de tes cousins, ou au contraire le plus petit », relate Ramsès Kefi. Son compère complète : « Nous, ce qui nous intéressait, c’était la figure du conteur. Moi, j’ai grandi aux Grands Pêchers, à Montreuil, il y avait des commerces, des voyous, un conteur. La transmission de la mémoire du quartier, c’est quelque chose d’universel. Un conteur, il y en a un dans chaque village », pose le journaliste politique. Car finalement, qu’est-ce qu’une tour, sinon un bourg, se demande peut-être celui qui a suivi l’ascension de François Ruffin et de son discours sur « la revanche des bouseux » dans les colonnes de Libération.

OVNI

Une fois l’idée vendue à la maison d’édition Arènes – où Ramsès Kefi a commis « A la base, le gentil, c’était lui » – et les histoires collectées grâce à leur équipe, le duo a joué aux DJ, sans les casques. « Il fallait de la violence, de l’amour, de la douceur. Le Kefi avait écrit le début sans le dévoiler aux autres. Ensuite, il a fallu rendre tout ça cohérent. Par exemple, c’est une Opel Corsa qui traverse tout le livre. On a fait les transitions, la fin. Tout est logique », promet Rachid Laïrèche, avant d’ajouter : « Il fallait qu’on oublie qu’il y avait neuf auteurs, qu’on ne voie pas les ruptures. Il fallait qu’on dise « j’ai aimé Jibril ». Si on retient que c’est un recueil, on a perdu ». « Le Kefi » embraye : « On voulait créer quelque chose du côté du format, écrire un OVNI, comme Jul. Ramener de l’oralité, parce qu’il y a des gens qui connaissent plein de trucs dans les cités, mais la transmission se fait à l’oral », explique le reporter littéraire. « Après, personne n’invente rien, des gens ont déjà dû faire ce qu’on a fait, juste, on l’a jamais vu », continue Rachid Laïrèche.

« Comme dans les chansons de Zebda ? », propose l’autrice de ces lignes (oui, la boomeuse). « Ouais, d’ailleurs on m’appelle souvent le Magyd Cherfi du 93 », vanne Rachid du tac au tac. Non : Aucune inspiration, aucune question : c’est la devise de cette hydre à deux têtes. « Je ne me dis pas que j’écris un livre sur les quartiers. Si tu te mets des freins mentaux, t’es mort. J’écris comme j’écrirai sur ailleurs. On parle d’amour, de terrorisme, de diplômes, on se dit pas « il faut qu’il y ait ça et ça ». « Si on se laissait inhiber, si on essayait de rendre justice aux quartiers, on ne pourrait pas écrire sur le terrorisme ou sur les rixes. On représente pas les quartiers, on écrit des histoires, y en a plein, et on ne les éditorialise jamais. La seule chose qui compte, c’est de les transmettre. Pourquoi on devrait se poser la question, que d’autres auteurs ne se posent pas ? », tacle Ramsès Kefi. « Ce qu’en pensent les bourges, les racistes, ou trois pelos sur les réseaux, c’est pas notre problème. La seule limite qu’on se fixe, c’est le respect des gens sur qui on écrit. Notre livre, même s’il y a des trucs hyper violents et tristes, c’est avant tout un livre d’amour et de tendresse : des gens qui se sont aimés quand ils étaient petits, de l’amour entre les parents, de l’amour du hall et des soirées », finit par remarquer Rachid Laïrèche. Et de l’amour, ils en ont visiblement à revendre pour un seul livre : le couple voudrait faire une, deux, voire trois suites, en mêlant les conteurs de toutes générations, toujours des connus, et des encore inconnus. Alors les rois et les reines de la tchatche, à vos claviers.

Elsa Sabado

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