La Seine-Saint-Denis lance son Campus francophone

La Seine-Saint-Denis lance son Campus francophone
Patrimoine vivant
  • Vendredi 15 décembre, la Seine-Saint-Denis, territoire riche de quelque 160 langues parlées, a lancé son campus francophone.
  • Plusieurs acteur·rice·s et expert·e·s ont souligné l’importance d’avoir accès à un dénominateur commun, le français, mais un français vivant, enrichi d’apports extérieurs et de parlers populaires.
  • A cette occasion, un pacte linguistique a été signé avec l’État : il prévoit la mise en place de résidences d’artistes francophones dans les collèges, ou encore la valorisation des compétences linguistiques des habitant·e·s lors des Jeux olympiques.

« Je viens de là où le langage est en permanente évolution/ Verlan, rebeu, argot, gros processus de création/ Chez nous, les chercheurs, les linguistes viennent prendre des rendez-vous/ On n’a pas tout le temps le même dictionnaire, mais on a plus de mots que vous »

Vendredi 15 décembre, Grand Corps Malade n’était pas présent pour la journée de lancement du Campus francophone en Seine-Saint-Denis, mais il a tout de même dit l’essentiel.

Acteur·rice·s associatif·ve·s, artistes, expert·e·s linguistes ou encore habitant·e·s s’étaient réunis dans la salle de Commune Image à Saint-Ouen pour mettre sur orbite le Campus francophone de Seine-Saint-Denis.

Une institution vivante, ouverte et ludique, qui ne se veut surtout pas musée.

L’écrivain Diadié Dembélé, l’humoriste Samia Orosemane, la conseillère principale d’éducation Aminata Konaté et le linguiste-slameur Julien Barret ont échangé sur la langue des quartiers.

« L’objectif de ce campus est triple : valoriser toutes les langues parlées en Seine-Saint-Denis – et elles sont nombreuses – montrer à quel point toutes ces langues viennent enrichir le français par des expressions et des musicalités nouvelles et enfin défendre un accès au français pour tous si on veut être un territoire d’accueil », expliquaient conjointement Pouria Amirshahi, directeur de ce nouveau Campus, et Stéphane Troussel, président de la Seine-Saint-Denis.

160 langues parlées en Seine-Saint-Denis

Organisée en tables rondes, cette journée de lancement s’est arrêtée sur quelques constats. A commencer par l’extraordinaire richesse linguistique du département, malheureusement souvent inexploitée, voire dissimulée pour diverses raisons.

« Pendant longtemps, l’apport des personnes étrangères à la société française a été complètement nié. On leur demandait de se fondre dans le moule et c’était pareil pour le français. On leur demandait de parler un français pur, sans accent, alors que ce français pur à mes yeux est un mythe, il n’existe pas. Ce qui n’empêche pas de s’exprimer correctement. », remarquait ainsi Aminata Konaté, conseillère principale d’éducation, à l’origine de l’atelier d’art oratoire « Objection ».

Kohndo, rappeur d’origine béninoise, se faisait l’écho de ces propos à travers son expérience personnelle : « J’ai grandi avec deux langues à la maison : le français et le fon, une langue tonale parlée au Bénin. Mais, alors que je comprenais parfaitement quand ma mère me parlait fon, petit garçon, je refusais de le parler parce que je considérais qu’on était en France. Aujourd’hui, j’aimerais bien refaire ce retard. Je pense que si j’avais honte de le parler, c’est parce qu’on m’a un peu transmis de cette honte. », témoignait cet enfant de Bobigny, auteur de son premier roman en vers : « Plus haut que la Tour Eiffel ».

Le plurilinguisme, bon pour le cerveau

En un mot comme en mille: la Seine-Saint-Denis, avec ses quelque 160 langues parlées sur son territoire, aurait ainsi intérêt à faire fructifier cet acquis. Ce qui serait bénéfique non seulement à son économie, mais aussi à l’apprentissage du français par des locuteurs non natifs, comme le rappelait Anna Stevanato.

« Toutes les études en sciences cognitives ont prouvé que le plurilinguisme est une chance, qu’il rend le cerveau plus plastique pour apprendre encore d’autres langues. Il faut donc encourager ce multilinguisme propre à la Seine-Saint-Denis, pas le réfréner », insistait celle qui intervient dans toute la France avec son association Dulala. Fondée en 2015, « D’une langue à l’autre » s’attache à valoriser les langues étrangères parlées à la maison par les enfants de France pour les rendre fiers de leur double ou triple culture et en même temps aiguiser l’appétit pour les langues en général.

S’adresser aussi aux parents non francophones

Une table ronde sur l’accès au français a réuni la chercheuse Anna Cattan, le directeur de l’OFII Didier Leschi, l’enseignante Béatrice Marriette et la directrice de l’Institut Convergences Migrations Marie-Caroline Saglio.

Mais si tous s’attachaient à célébrer les bienfaits du plurilinguisme, tous devaient aussi reconnaître que l’accès au français pour toutes et tous n’est pas encore chose facile.

Aussi bien pour des migrants arrivés récemment en France que pour des personnes installées depuis plus longtemps mais accaparées par d’autres tâches, les possibilités d’apprendre le français restent parcellaires. « Il manque des lieux d’apprentissage inconditionnels », soulignait ainsi Marie-Caroline Saglio, directrice de l’Institut Convergences Migrations. Et Béatrice Marriette d’enfoncer le clou. « Nous avons à la fois des difficultés de moyens et de méthode, remarquait cette enseignante en UPE2A (Unité pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants) au collège Evariste-Galois à Sevran. De moyens : avec 21 élèves arrivés tout juste du Mali, de Roumanie, du Bangladesh, du Cap-Vert ou encore d’Ukraine, cette professeure doit constamment jongler pour pouvoir les intégrer dans de bonnes conditions dans des classes « standards ». De méthode : « Pour apprendre le français, il ne faut pas avoir l’impression d’être nié dans sa propre langue. Or c’est un peu l’impression des mères que je reçois dans des cours que j’organise par ailleurs. Au départ, elles ont du mal à rentrer dans l’établissement, elles ne se sentent pas à leur place. » Les 1140 OEPRE (des classes d’apprentissage du français à des parents non francophones) qui existent dans toute la France – à raison de 4 h de cours par semaine – sont donc encore à parfaire.

« Ici, on parle français et… »

Un pacte linguistique a été signé avec l’Etat, en présence (de g. à d.) du directeur de la DRAC Ile-de-France Paul Roturier, de l’académicienne Barbara Cassin, du préfet Jacques Witkowski, du président de la Seine-Saint-Denis Stéphane Troussel, du directeur du Campus francophone Pouria Amirshahi et de Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France.

Dans le pacte linguistique signé ce vendredi 15 décembre avec l’État,, il y avait donc des dispositions pour à la fois faire vivre cet extraordinaire patrimoine de la Seine-Saint-Denis en matière de langues et renforcer certaines possibilités d’apprendre le français. Les résidences Babel – des résidences d’artistes francophones qui existent déjà à Aubervilliers et Sevran – sont ainsi appelées à se démultiplier et les 130 collèges publics de Seine-Saint-Denis sont invités à engager des correspondances avec d’autres pays francophones, comme celles que le collège Nelson-Mandela au Blanc-Mesnil a déjà entamée avec son équivalent Hann Bel-Air de Dakar.

A l’approche des Jeux olympiques de Paris 2024, dont une bonne partie se déroulera en Seine-Saint-Denis, les habitants et commerçants sont aussi mis à contribution, en apposant des pancartes « Ici on parle français et… » sur telle ou telle devanture. Après tout, il n’y a pas tant de départements capables de décliner « Plus vite, plus haut, plus fort » en 160 langues…

Christophe Lehousse

Photos: ©Bruno Lévy

À lire aussi...
Langage

Penser la francophonie depuis la Seine-Saint-Denis

Découvrez le Campus francophone de Seine-Saint-Denis, échanges et débats sur le rôle de la langue française dans notre département. Le thème de la journée : La langue française, un horizon interculturel. Plusieurs tables rondes sur : le plurilinguisme : une[...]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *