Joue-la comme elles
Résidente de la Maison des pratiques artistiques amateurs (MPAA) de La Courneuve, la compagnie de théâtre Les Enfants du paradis a monté un spectacle mêlant comédiennes professionnelles et amateures sur l’une des premières équipes féminines de football à avoir vu le jour en Angleterre pendant la Première Guerre mondiale. Un projet mené avec l’association basée à Clichy-sous-Bois « Jouons comme elles » et qui a été présenté au public le 16 juillet.
« Le 6 avril 1917, la radio du front annonçait de nouveaux morts. Le 6 avril 1917, les Etats-Unis entraient en guerre. Le 6 avril 1917, Lénine préparait la révolution russe. Mais surtout, le 6 avril 1917, durant la pause déjeuner, onze ouvrières de Doyle & Walker Munitions se mirent à courir derrière un ballon. » Ce samedi 16 juillet, sur la scène de la Comète, la Maison des pratiques artistiques amateurs (MPAA) située à La Courneuve, neuf comédiennes (trois professionnelles, six amateurs) déclament un texte extrait du livre Le Ladies Football Club, du dramaturge italien Stefano Massini. Un texte puissant, drôle, engagé qui revient sur la création de l’une des premières équipes féminines de football dans une usine de munitions à Sheffield, en Angleterre, sur fond de guerre mondiale et, surtout, devant l’hostilité de congénères masculins éberlués par tant de culot.
Pour cette première restitution publique (l’équipe n’a eu que trois semaines pour préparer ce spectacle), les filles lisent au pupitre, non sans y « mettre le ton » et capter l’attention du public. Pros ou amateurs, chacune joue à la perfection, sans déchet. Ces filles-là aussi jouent en équipe. Dans un décor dépouillé. Sur le sol et les murs noirs, des bandes blanches forment un terrain de foot et des cages de but. Une dizaine de ballons complètent la scénographie.
« Briser certaines barrières »
« J’adore l’œuvre de Stefano Massini et Le Ladies Football Club est un ouvrage qui m’a particulièrement marqué, raconte Géraldine Szajman, coadministratrice de la Comète et metteuse en scène du spectacle. Je ne connais rien au foot, je ne m’y suis jamais intéressée mais le sujet m’a passionné et j’ai tout de suite eu envie de le porter sur scène. Mais pour transmettre un message aussi fort sur un thème que je maîtrise très mal, je me suis dit qu’il serait judicieux de créer un partenariat avec une association œuvrant dans le sport et l’émancipation féminine en Seine-Saint-Denis. »
La cofondatrice de la compagnie Les Enfants du paradis, qui siège à la Comète depuis trois ans, grenouille alors sur Internet et tombe sur l’association « Jouons comme elles » créée à Clichy-sous-Bois par trois footballeuses professionnelles, Sébé Coulibaly, Myriam Zanoubi et Namnata Traoré. Une asso dont l’objectif est de valoriser la place de la femme dans cet outil de promotion citoyenne et de développement de la confiance en soi qu’est le sport. « Le projet de Géraldine nous a emballées, confie Sébé Coulibaly qui, quand elle ne préside pas aux destinées de Jouons comme elles, défend les couleurs du Nîmes Métropole Gard en 2e division. Nous avions déjà fait un travail autour du foot et de la photo mais avec le théâtre, c’est la première fois. Cette rencontre permet de briser certaines barrières et d’en finir avec l’idée selon laquelle le théâtre est réservé à une certaine élite et tourne le dos aux quartiers populaires. Solidarité, écoute, esprit d’équipe, occupation de l’espace… le football et le théâtre partagent en réalité beaucoup de valeurs. »
Soutenu par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d’Ile-de-France et la ville de La Courneuve, le projet démarre à la fin de juin avec un temps de médiation sous forme d’ateliers de découverte de la pratique théâtrale à la MPAA et des séances de découverte du football sur le city stade du square du Moulin Neuf à La Courneuve. La greffe prend instantanément. « Nous avons vécu un incroyable moment de sororité et de solidarité, cela restera une expérience inoubliable. Avec mes partenaires comédiennes, on est devenu fans de foot depuis cette rencontre. On retrouve dans ce sport la même énergie et la même adrénaline qu’au théâtre », s’enthousiasme Géraldine. Entre le début des répétitions et la représentation du 16 juillet, trois semaines seulement se sont écoulées. « C’est extrêmement peu mais on a tenu bon, signale la metteuse en scène. Il s’agit là d’une première étape de travail. Pour que ce spectacle soit diffusé dans les théâtres, nous nous sommes mis en quête de financements. » En juin, les Enfants du paradis se sont associés à la Maison du Théâtre et de la Danse d’Epinay-sur-Seine et l’Académie de football de la même ville pour répondre à l’appel à projets « Résidence d’artistes en milieu sportif » mis en place par le Département, la Ville de Paris et Paris 2024 dans le cadre de l’Olympiade culturelle. « La réponse devrait intervenir cet été, précise Géraldine. Si notre candidature est retenue, on reconstituera un chœur d’amatrices dans chaque ville concernée. Et des temps de médiation et d’immersion seront de nouveau proposés. »
« A nos petites sœurs : ‘’Ne lâchez pas, continuez de rêver et brisez vos chaînes’’ »
Parmi les six amatrices qui ont participé au dispositif à la Comète, il y a Yassa, 29 ans, et Zahia, 27 ans. « J’ai fait un peu de théâtre quand j’étais en école d’ingénieur, explique la première, qui habite à Aubervilliers. Mais l’expérience a tourné court. Mon objectif désormais est de profiter de mon année sabbatique pour remonter sur les planches. Et l’aventure qu’on vient de vivre toutes ensemble me conforte dans cette idée. » Zahia, qui est originaire de Montfermeil, avoue avoir été morte de trac avant la représentation mais a pris un pied énorme pendant le spectacle. « Faire de nouvelles rencontres, s’inscrire dans des projets 100 % féminins sont des moments que j’ai envie de revivre, affirme la jeune infirmière. Le théâtre est une belle découverte, je ne m’y étais jamais essayée, persuadée que je ne pouvais pas y prétendre en tant que banlieusarde. Or l’équipe de la Comète nous prouve tout le contraire. J’ai apprécié l’humilité des comédiennes qui elles aussi se sont placées dans une démarche d’apprentissage quand on leur a fait découvrir le foot. » Enfant, Zahia voulait jouer au football comme ses frères et tous les garçons du quartier. Mais face au veto de son père, qui estimait que les filles avaient d’autres chats à fouetter, elle a renoncé à son rêve. « Sur scène, on envoie le message suivant à nos petites sœurs : ‘’Ne lâchez pas, continuez de rêver et brisez vos chaînes’’. Le football et le théâtre sont deux formidables moyens d’expression pour mener le combat pour la liberté. »
Photos : Jean-Louis Bellurget
MPAA la Comète : l’exception départementale
Situé rue Gabriel-Péri, dans le centre-ville de La Courneuve, l’ancien cinéma l’Etoile, salle mythique qui avait vu le jour en 1934, a été transformé en Maison des pratiques artistiques amateurs (MPAA) à la fin de 2019. Baptisé la Comète, cet espace est géré par la compagnie de théâtre Les Enfants du Paradis. Celle-ci est liée à la ville de La Courneuve par une convention au titre de son activité artistique et de son rôle de coordination du lieu. De fait, l’apparition de cette MPAA constitue un précédent : il n’en existe aucune autre dans le département. « Nous devons répondre à un cahier des charges très précis, explique Géraldine Szajman, cofondatrice des Enfants du paradis, avec la mise en œuvre d’une action culturelle volontariste et rassembleuse. Cette maison est ouverte à tout le monde et a vocation à redynamiser le territoire. »
Le projet de la compagnie s’articule autour de trois volets : la structure du lieu (organiser, accueillir, planifier), l’accompagnement des associations en lien avec le service Art, Culture et Territoire de la Ville de La Courneuve, et la diffusion de ses propres créations. « La MPAA est aussi un théâtre, c’est ce qui rend cet endroit très riche, poursuit Géraldine. On peut assister à des répétitions publiques et des représentations gratuites et il n’y a pas de billetterie, tout est gratuit. C’est ce qui fait la singularité de ce lieu. »