50 ans de magie et d’exigence au Conservatoire d’Aubervilliers-La Courneuve
Le « Conservatoire à Rayonnement Régional 93 » qui propose des formations en instrument, danse et théâtre, fête cette année un demi-siècle. Renommé « CRR 93 – Jack Ralite » en mémoire de l’ancien maire d’Aubervilliers, ce lieu démontre une fois de plus que la banlieue regorge de talents.
Joséphine, 13 ans, sort du spectacle des « Mille et une… » à la fois contente et soulagée. « On a beaucoup répété pour ce spectacle. Je jouais un morceau de Grieg à la harpe. C’était pour marquer le coup par rapport aux 50 ans du CRR », explique cette élève, habitante d’Aubervilliers. Après 5 ans de pratique de la harpe, cette jeune fille, dont les parents sont chanteurs, aimerait devenir musicienne professionnelle.
Dans le même spectacle, Léone, elle, a régalé le public de ses envolées à la trompette. Elle aussi a 5 ans de pratique instrumentale derrière elle, elle aussi habite Aubervilliers, mais à la différence de Joséphine, cette élève ne pousse la porte du conservatoire une fois par semaine que par pur plaisir. « C’est un passe-temps et un bon moyen d’être avec mes amies », lâche-t-elle avec le sourire.
Deux profils qui résument bien la double dimension de ce Conservatoire à Rayonnement Régional, qui fête cette année ses 50 ans d’existence : plaisir et exigence, comme les deux faces d’une même médaille.
Née en 1973 de la fusion entre les deux écoles de musique d’Aubervilliers et La Courneuve, avec le fervent soutien de Jack Ralite, maire d’Aubervilliers à l’époque, la structure est depuis restée fidèle à sa philosophie initiale : apporter le meilleur aux habitant·e·s des quartiers populaires.
6500 élèves concernés
« L’excellence, ce n’est pas un gros mot, résume Alexandre Grandé, directeur du Conservatoire depuis 2015. Ici, on croit vraiment au fait que n’importe quel enfant qui franchit la porte de ce conservatoire a droit au meilleur. »
Ce qui passe par 140 professeurs, entièrement dédié·e·s à leur passion et leur métier, avec pour certain·e·s des compétences innovantes, comme cette classe de musique assistée par ordinateur ou ce diplôme d’improvisation libre. Et aussi par un cursus proposé dès le plus jeune âge, à des conditions accessibles pour tous.
« Dans mes premières années, comme je n’étais pas encore sûre de me spécialiser en trompette, le conservatoire m’en a prêté une, le temps pour moi de vraiment me décider », poursuit ainsi Léone, la trompettiste de tout à l’heure. Au-delà du label décerné par le Ministère de la Culture, le « Rayonnement Régional » n’est pas un vain mot quand on parle du conservatoire d’Aubervilliers : à côté des 1500 élèves qui y sont inscrit·e·s, la structure touche ainsi jusqu’à 6500 enfants, grâce notamment à ses interventions dans les écoles primaires ou les collèges (avec des Classes Horaires Aménagés Musique dans 5 établissements, d’ailleurs subventionnées par le Département).
Dans cette folle aventure, le bâtiment de 6 étages, construit en 2013 et qui jouxte la salle de spectacle L’Embarcadère avec laquelle existe un partenariat privilégié, a évidemment encore apporté un plus. « J’ai vu beaucoup de CRR en France, mais pas un seul n’a un outil de pratique comme celui-là », atteste ainsi Francis, un clarinettiste professionnel passé lui par l’ancien conservatoire d’Aubervilliers, situé à l’époque rue Réchossière.
Dimension d’universalité
« A cela, il faut ajouter la dimension d’universalité que nous attachons à la culture, insiste Valérie Guéroult, professeure de clarinette et de musique de chambre. Nos projets ne sont ainsi pas circonscrits à la culture classique ou européanocentrée : on tente vraiment de faire des passerelles avec d’autres cultures. Par exemple, dans le cadre d’Orchestre à l’école, un prof de percussions afro-brésiliennes fait le tour des écoles primaires de la ville, ça permet de montrer que la musique dite classique est ouverte aux mélanges. », développe cette professionnelle qui fut aussi directrice de la structure de 2003 à 2004.
En un demi-siècle, le CRR a évidemment eu le temps de faire caisse de résonance et de former quantité de talents musicaux, dont Gabriel Padilla, devenu « petite clarinette » à l’Orchestre Symphonique de Caracas de Gustavo Dudamel. D’autres sont devenus enseignants puisqu’après le CRR, il y la possibilité de poursuivre au Pôle Sup’ 93, basé à La Courneuve…
Mais l’essentiel est ailleurs : dans ces milliers de jeunes esprits élevés au plaisir de l’écoute et de la production collective. C’est le cas d’Alice Fagard et Léa Sawyers, amies de 30 ans dont 20 ans de conservatoire derrière elles. Aujourd’hui, la première a fait de la musique son métier, chanteuse notamment pour la compagnie Sequenza 9.3, la deuxième a suivi d’autres chemins. Cela n’empêche pas les deux amies de garder des souvenirs émus de leurs années de conservatoire. « Le CRR nous a tellement apporté : le goût de l’effort, la gestion du trac, la confiance en soi et l’esprit d’équipe », racontent les deux copines qui étaient notamment parties en tournée dans le cadre de l’opéra pour enfants « Brundibar », du Tchèque Hans Krasa, monté par le CRR en 1997-98.
Signe qui ne trompe pas : nombreux sont les anciens du Conservatoire à avoir mis leurs enfants dans la même structure, comme d’ailleurs Léa, maman d’une petite Lou, 8 ans, qui sort elle aussi ravie de la représentation des « Mille et une… » commémorant les 50 ans. « Le matin, elle se lève hyper motivée par les répétitions qui l’attendent le soir même. C’est hyper formateur pour elle et il y a plein de choses qu’elle transpose à l’école. » Sans doute l’effet de « La magie du conservatoire », comme le répète le gentil génie dans le spectacle des 50 ans.
Christophe Lehousse
Photos : ©Michaël Barriera et Nathanaël Mergui