Sabrina Ouazani : « Jouer, c’est être libre »

Sabrina Ouazani : « Jouer, c’est être libre »
Portrait
  • Après La Source des Femmes, Kung-Fu Zohra, le 22 janvier, Sabrina Ouazani ajoute un autre rôle féministe à son répertoire : elle sera Athos, dans une version 100 % femmes des Mousquetaires de Dumas.
  • Cette actrice qui a grandi cité des 4000 à La Courneuve jette un regard plutôt positif sur l’évolution du cinéma français, « désormais plus en phase avec la société ».

« C’est pas la casaque qui fait le mousquetaire, c’est le cœur qui bat à l’intérieur. » Sabrina Ouazani, avec son sens de la formule, nous livre une bonne définition de « Toutes pour une », le nouveau film de Houda Benyamina.

Dans cette version ultra-féministe des Trois Mousquetaires de Dumas, l’actrice de « La Source Femmes » ou encore de « Kung-Fu Zohra » est cette fois Athos, en mission spéciale pour sauver la reine de France aux côtés notamment d’Oulaya Amamra (D’Artagnan) et Deborah Lukumuena (Porthos).

Et ne croyez pas qu’on soit là dans le registre de la comédie : dans une France du 17e siècle où, pour une femme, se déguiser en homme est passible de la peine de mort, ce film de cape et d’épée qui dévore les grands espaces est aussi pour Houda Benyamina l’occasion de régler une fois pour toutes son compte au virilisme de tous temps et aux stéréotypes machistes que notre société met dans la tête des jeunes garçons.

« Je savais qu’avec le radicalisme de Houda, on irait assez loin dans le questionnement du genre et c’est un défi qui m’intéressait. Et puis, c’était se réapproprier le fantasme de faire un film de cape et d’épée. Avec mon bagage personnel et social, je ne me permettais déjà pas de rêver à devenir actrice, alors encore moins de devenir un mousquetaire… », nous confie-t-elle à l’occasion de l’avant-première du film au festival Cinébanlieue, dont elle est une fidèle.

Frida dans « L’Esquive »

Et celle qui habitait à l’époque la cité des 4000 de La Courneuve de remonter le fil de ses 23 ans de carrière. « A aucun moment, devenir comédienne n’a été un rêve, même pas secret. En ayant grandi en banlieue, jamais je ne me serais autorisée à rêver à ça, c’était tout simplement inaccessible », se souvient celle qui n’est allée au casting de «L’Esquive», à 13 ans, que poussée par sa mère qui y voyait une activité estivale comme une autre, « comme aller à la piscine ou au parc ».

Mais il faut croire que la magie que découvrent Krimo ou Lydia dans «L’Esquive», cette magie des mots et des rôles qui vous transportent loin, a opéré : de Frida, la petite Sabrina est devenue Nejma, dans « Adieu Gary » ou encore Rand dans « Inch’Allah », tous des rôles qui lui sont chers.

« Les rôles qu’on m’a proposés ont suivi l’évolution du cinéma français et de la société. C’est vrai qu’au départ, c’était assez cliché. Mais grâce à des réalisateurs qui ont écrit des rôles plus complexes, grâce aussi à une vague d’acteurs qui ont essayé de sortir des cases dans lesquelles on nous mettait, ça s’est ouvert. Le cinéma d’aujourd’hui ressemble heureusement davantage à la société telle qu’elle est, avec ses origines et ses physiques différents, même si du chemin reste à faire. », raconte cette enfant d’immigrés algériens, tous deux de Sidi-Bel Abbès.

Parmi ces rôles, son tout premier, celui de Frida dans «L’Esquive», tourné cité du Franc-Moisin à Saint-Denis, reste évidemment à part. « Je me souviens de la sensation que j’ai ressentie dans le ventre quand je me suis mise à jouer : un sentiment incommensurable de liberté. Quoi ? J’ai le droit d’être qui je veux ? Quoi, j’ai le droit d’envoyer chier mon frère sur scène alors que d’habitude je ne pouvais jamais rien lui dire ? J’ai immédiatement espéré que ça continue et ça a continué. »

Le conflit israélo-palestinien (Inch’Allah), les violences conjugales (Kung-Fu Zohra), les rêves de la classe ouvrière (Adieu Gary) : autant de thèmes que cette actrice a croisés et interprétés. La stigmatisation de la banlieue aussi, abordée par une comédie comme « Jusqu’ici tout va bien » du Bondynois Mohamed Hamidi.

« Un sujet qui me tient à cœur »

Dans cette comédie tournée chez elle, à La Courneuve, Sabrina Ouazani incarne Leïla, jeune femme réticente à l’idée de revenir dans la banlieue de son enfance. Le sujet : pour être exempté d’impôts, un chef d’entreprise peu scrupuleux domicilie sa société dans une zone franche en banlieue sans s’y installer réellement. Mais quand l’inspection du travail découvre le pot aux roses, elle lui met le marché en main : jouer le jeu jusqu’au bout et poser vraiment ses bagages en banlieue ou rembourser toutes ses exonérations d’impôts…

« J’ai foncé parce que je savais qu’avec Mohamed Hamidi, il y aurait une évolution entre la vision des Parisiens sur la banlieue au départ et celle qu’on a à l’arrivée. Casser ces stéréotypes, c’est pour ça notamment que je fais du cinéma », explique celle qui regrette que certains médias peu scrupuleux prennent toujours pour cibles les mêmes boucs émissaires. « Combien de médias nous montrent régulièrement des gens de banlieue qui réussissent ou tout simplement qui travaillent et aspirent à vivre normalement ? Pas beaucoup », déplore celle dont le père était ouvrier magasinier.

La banlieue, cela pourrait d’ailleurs être le sujet des débuts de Sabrina Ouazani derrière la caméra.« Il y a un sujet qui me tient à cœur, parce qu’il m’a marquée dans mon adolescence, c’est lui de la rénovation urbaine et de comment elle est vécue par les habitants », lâche-t-elle. En 2011, la tour Balzac où elle a grandi avec son frère Djamel et sa sœur Sarah est en effet démolie dans le cadre de l’ANRU. A première vue, une bonne nouvelle pour tous. « Mais ce qui est génial pour beaucoup, la rénovation urbaine, le Grand Paris, c’est un déchirement pour pas mal d’habitants », raconte celle qui revient régulièrement à La Courneuve, pas plus tard que cet été où elle a porté la flamme olympique.

Et de rappeler que beaucoup d’habitants ont souffert de l’incertitude liée au relogement, de ne pas avoir été assez consultés ou du fait de perdre du jour au lendemain leurs relations sociales. Ce fut le cas de sa mère, relogée à Drancy, mais loin de ses amies d’avant. « Si je fais un film là-dessus, ce sera aussi pour dire ça : on n’est pas des pions ». « C’est pas la casaque qui fait le mousquetaire », on n’en doutait pas, l’épée de Sabrina Ouazani est fine et tranchante.

Christophe Lehousse

Photo: ©Susy Lagrange

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