Anaïs Quemener : courir c’est être en vie
- Guérie d’un cancer du sein repéré en 2015, cette marathonienne de haut niveau, qui a grandi à Aubervilliers et Tremblay, raconte son combat dans un documentaire sensible et fort : « Anaïs ».
- Aide soignante à l’hôpital Jean-Verdier de Bondy, elle dit aussi son amour pour la Seine-Saint-Denis, un département « hyper riche en termes de cultures et de différences ».
- Avec un temps canon de 2h29 établi au marathon de Berlin fin septembre, elle est à seulement 2 minutes d’une qualification pour Paris 2024, qui reste encore possible.
Le 21 octobre, elle a bouclé un 10 km, un de plus dans sa carrière. Mais à ses yeux, cette course nocturne à Rennes était spéciale, pas comme les autres. « En 2015, c’est la course que je m’apprêtais à faire quand on m’a annoncé mon cancer du sein. Dans un premier temps, je n’avais pas bien compris ce que ça signifiait, je voulais courir. Mais évidemment, je n’avais pas pu le faire. Alors, 8 ans après, pour moi c’est symbolique que je puisse courir ici. », raconte au téléphone la coureuse de haut niveau.
L’histoire d’Anaïs Quemener est celle d’une femme forte, qui donne tout son sens au mot résilience. Et paradoxalement, sa force de vivre, ce petit bout de femme d’1m58 la tire de la légèreté de sa foulée. Ce que montre bien le magnifique documentaire d’Hélène Hadjiyianni, sobrement intitulé « Anaïs », sorti à l’occasion d’Octobre rose. « Ce documentaire, je l’ai fait pour en sortir quelque chose de positif, qui puisse aider un maximum de personnes, malades ou pas. Je ne m’attendais pas à avoir des retours aussi forts. Beaucoup de gens m’écrivent parce que ce que je raconte résonne par rapport à leur propre histoire, et pas forcément par rapport à la maladie », explique humblement la jeune femme aujourd’hui âgée de 32 ans.
Le sport comme thérapie
Le cancer, cette aide soignante de l’hôpital Jean-Verdier à Bondy en parle avec tact, mais sans détours : « Le sport a été ma thérapie, oui c’est sûr. Il a été quasi aussi important que les traitements que j’ai pu recevoir. » A l’époque, elle et son père Jean-Yves, qui est aussi son entraîneur, décident qu’en marge de la chimiothérapie que suit Anaïs, elle doit continuer de faire un peu de sport, pour ne pas rompre avec son équilibre de vie précédent. A l’époque, cette méthode n’est pas très répandue, le « sport sur ordonnance » commence tout juste à faire parler de lui. Moyen de thérapie, la course est aussi chez Anaïs une métaphore de la vie. « La maladie, je l’ai toujours vécue comme un marathon, en me disant que j’étais au kilomètre 35, 36 et que l’arrivée était proche », témoigne-t-elle dans le documentaire.
Aujourd’hui qu’elle est guérie, Anaïs a repris le chemin du haut-niveau, comme ces bougainvilliers de La Réunion- la terre de sa mère et de ses grands-parents maternels – qui renaissent au printemps. Elle a d’abord frappé un grand coup en devenant championne de France de marathon en 2016 à Tours, quelques mois seulement après avoir vaincu son cancer. Et récemment, avec un record sur marathon en 2h29’01 établi fin septembre 2023 à Berlin, la coureuse de La Meute, son club de Mitry-Mory, n’est pas qu’à 2 minutes 10’ d’une qualification pour Paris 2024. « Ça me paraît loin et en même temps possible…, lance-t-elle. En tout cas, qui ne tente rien n’a rien : je vais faire un marathon en février pour me rapprocher au max des minima. Au pire, ça ne marche pas. Au mieux, je vivrai un rêve incroyable, j’ai tout à y gagner », analyse cette éternelle optimiste.
« Le 93, toute ma vie ou presque… »
L’autre force pour vaincre la maladie, Anaïs Quemener l’a probablement puisée dans son entourage et les personnes qu’elle aime. Ainsi, ce n’est pas un hasard si le documentaire s’ouvre sur ses grands-parents maternels, Joffrette et Marcel Banoubie, auxquels Anaïs rend visite une fois par an à la Réunion. « Je suis quelqu’un qui attache beaucoup d’importance à la famille, aux racines », dit celle qui porte aussi en très haute estime la Seine-Saint-Denis. « Le 93, c’est toute ma vie ou presque : j’y travaille, j’y ai grandi, d’abord à Aubervilliers puis à Clichy-sous-Bois, mon premier club d’athlé, c’était Villepinte puis Tremblay… Je trouve que c’est un département hyper riche en termes de cultures et de différences, où on a tous des choses à s’apporter. »
Et qu’on ne croit pas que cette vision positive l’empêche de voir les difficultés sociales du territoire. « A Jean-Verdier, je vois bien sûr aussi la précarité. Mais elle est contrebalancée par des élans de solidarité très forts, comme on a pu le constater durant le Covid », dit celle qui, toutes les nuits, prend son service à la suppléance de l’hôpital, autrement dit tourne de service en service.
Un rythme harassant, pas évident à concilier avec les entraînements. Pour tenter le coup de la qualification sur les JO de Paris 2024, Anaïs est en train de négocier des aménagements avec son employeur. Pour autant, pas question pour elle de passer professionnelle. « J’en aurais l’occasion que je ne le voudrais pas, détaille-t-elle. Arrêter complètement de travailler pour ne faire que courir, ce serait une autre dimension, je ne suis pas sûre de trouver mon équilibre là-dedans. Là, je peux switcher, discuter avec des gens qui n’ont aucune idée de l’univers de la course à pied et c’est tant mieux… » Pas étonnant qu’Anaïs avance si bien dans son sport et dans la vie, elle a du souffle pour deux.
Christophe Lehousse
Photos: ©Margaux Le Map/Salomon