Pour Gabriel Laya, le monde tourne ovale
- À 16 ans, Gabriel Laya, Montreuillois et rugbyman de son état, fait partie des cent meilleurs joueurs français chez les cadets.
- Après avoir appris les rudiments de son sport au Rugby Club Montreuillois, le club de son quartier, il évolue depuis trois saisons sous les couleurs du Stade Français.
- Le jeune homme ne vit que pour le ballon ovale et n’a d’autre ambition que de devenir joueur professionnel et de s’imposer au plus haut niveau.
Bien sûr, il convient d’être prudent. Gabriel Laya, dont il est question ici, n’a que 16 ans. Et on a parfaitement en tête qu’une carrière sportive est jalonnée de chausse-trapes, entre le risque de blessure et les interrogations qui subsistent sur les capacités de l’athlète à gérer ou non la pression du haut niveau. Mais à défaut de s’enflammer, de croire que tout est acquis, rien ne nous interdit de porter un regard sur ce qui a été déjà accompli et de se montrer admiratif devant tant de talent et de détermination. Depuis ses débuts, Gabriel vit rugby, mange rugby, dort rugby. « Il ne pense qu’à ça et il n’a pas l’intention de faire autre chose », s’accorde à dire son entourage. La passion chevillée au corps, « Gaby », comme l’appellent ses proches, est un joueur (un soldat, diraient certains) dévoué à son sport.
Pour revenir sur son parcours, jeune mais déjà si riche, cette boule de muscles nous convie au stade Robert-Barran, l’enceinte qui héberge le Rugby Club Montreuillois (RCM) et qui a vu cet actuel joueur du Stade Français (catégorie cadets) accomplir ses premiers exploits. Au club house, les éducateurs qui le croisent le saluent, devisent avec lui de tout et de rien, comme s’il n’était jamais parti. « Le RCM est une grande famille dont on ne se sépare jamais, explique Gaby. Je reviens quand le club organise des fêtes ou pour voir jouer mes deux petits frères. »
Une chose est sûre : rien ne prédestinait Gabriel à devenir joueur de rugby. Son père, guitariste de jazz, et sa mère, assistante sociale, n’ont jamais manifesté un quelconque intérêt pour ce sport. Contrairement à bon nombre de ses camarades de club, qui perpétuent la lignée familiale, l’adolescent n’est pas un enfant de la balle (ovale). En revanche, le fait qu’il ait grandi et vive encore dans un appartement situé à deux pas du stade Robert-Barran était peut-être un signe avant-coureur et rend l’histoire assez belle : à force de passer devant les grilles du club, Gaby a fini par pousser la porte. « J’ai commencé à l’âge de 11 ans sur les conseils d’amis qui jouaient au RCM, se remémore l’adolescent. J’ai toujours aimé les sports de contact, auparavant je faisais du karaté mais j’ai fini par me lasser. À partir du moment où j’ai eu un ballon de rugby entre les mains, j’ai su que ce sport était fait pour moi, que je le pratiquerai longtemps. »
Dès sa première année chez les benjamins, hormis d’évidentes lacunes techniques dues à son statut de débutant, sa rage de vaincre et ses aptitudes physiques impressionnent ses éducateurs et ses coéquipiers. « C’est comme si le rugby avait toujours été une évidence pour lui. Dès les premiers entraînements, il a manifesté beaucoup d’envie, il se donnait à fond, raconte Mattias, son premier entraîneur au RCM. Le plus surprenant est qu’il se disait déjà prêt à jouer au haut niveau, il avait une étonnante maturité, une force de caractère incroyable pour son âge. Il était clairement au-dessus du lot. Il est rapidement devenu un des piliers de l’équipe, un joueur sur lequel je pouvais m’appuyer. On a beaucoup gagné avec lui. Quand on perdait, c’est parce qu’il n’était pas là. Je ne suis donc pas surpris qu’il ait signé au Stade Français et qu’il fasse partie des meilleurs joueurs français à son poste. Ah si, il avait quand même un défaut : il ne savait pas s’arrêter. »
Une première cape en bleu chez les U18 ?
Après seulement un an de rugby dans les pattes, Gabriel, qui alterne entre le poste d’ailier et celui de talonneur, fait l’unanimité. Lors de la cérémonie des Mangoustes (l’emblème du Rugby Club Montreuillois depuis vingt ans) qui récompense les meilleurs joueurs de la saison dans chaque catégorie, il remporte le premier prix. « Cette distinction m’a boosté, tous les efforts que je fournissais étaient payants, il fallait que je continue ainsi », confie-t-il. Ses qualités ne passent pas inaperçues et suscitent l’intérêt du Stade Français, un club basé dans le 16e arrondissement de Paris et qui compte l’un des plus gros palmarès du rugby français. À 13 ans, Gabriel intègre le groupe des minimes du Stade dans l’antichambre du centre de formation. « C’est une sorte de pré-centre de formation où je vais rester pendant encore un an, précise-t-il. Puis, si tout va bien, je signerai mon premier contrat en tant qu’espoir et rejoindrai à ce moment-là le centre de formation. »
Gaby est un Montreuillois pur sucre, très attaché à sa ville. Bien que scolarisé dans un lycée situé dans l’ouest parisien, à proximité du stade Jean-Bouin où évolue le Stade Français, il réside toujours dans l’appartement familial, rue Honoré de Balzac. Cinq fois par semaine (pour les quatre séances d’entraînement et le match du samedi), il emprunte la ligne 9 du métro qu’il parcourt quasi intégralement. « C’est beaucoup d’allers-retours mais ça ne me dérange pas, j’aime être auprès des miens et je suis Montreuillois dans l’âme. Au Stade Français, je côtoie des gars qui viennent du monde entier, quand on me demande d’où je viens, je leur réponds ‘’de Montreuil’’. » Il y a quelques mois, celui qui se consacre désormais uniquement au poste de talonneur a participé à un rassemblement organisé par la Fédération française de rugby qui convie la crème de la crème des jeunes joueurs, ceux dont le fort potentiel est avéré. Un stage qui s’est révélé concluant : depuis, Gaby est considéré comme l’un des cent meilleurs joueurs de sa génération en France. Mieux, il compte aujourd’hui parmi les sept meilleurs talonneurs nationaux. Et fait partie des deux joueurs de sa catégorie au Stade Français à avoir été reçus dans un pôle espoir, ces structures d’excellence destinées à préparer les jeunes joueurs à l’accession au haut niveau. De quoi faire le plein de confiance. Et rêver d’une première cape en bleu chez les juniors. L’an prochain, sous les couleurs de la France, il espère être de la tournée en Afrique du Sud et participer au Festival des Six Nations U18 en 2026.
Mais avant de voir les choses en grand, le jeune homme doit se ménager et se remettre d’une blessure à un genou contre laquelle il a lutté toute la saison. « Je sollicite beaucoup mon corps, la saison a été longue et éprouvante, donc parfois ça finit par lâcher, affirme-t-il, philosophe. Ce n’est pas très grave – une petite fissure au niveau d’un cartilage. En attendant, je m’entraîne à l’écart du groupe, je fais de la musculation, je travaille le jeu au poste, les lancers (au rugby, ce sont les talonneurs qui effectuent les touches, ndlr)… Je reste actif, c’est l’essentiel. » L’an passé, en championnat Gaudermen (cadet 1ère année), il a obtenu le titre honorifique de meilleur marqueur de la saison régulière, deuxième à l’issue des phases finales (le Stade Français avait été éliminé dès les 8e de finale). « C’est un gamin très attachant et très combatif, capable de sortir une quinzaine de placages par match, ce qui est énorme à son âge, mais il doit aussi apprendre à s’économiser pour ne pas se brûler les ailes, dit de lui Édouard Normand, son ancien coach au Stade Français. S’il sait être raisonnable, il est promis à un bel avenir. » Tout cela sent bon, mais prudence, prudence.
Grégoire Remund
Photos: ©Sylvain Hitau