Amina Tounkara, au nom de toutes les filles
Gardienne en 2e division au Noisy-le-Grand handball, Amina Tounkara n’oublie pas d’où elle vient. A seulement 24 ans, cette jeune femme originaire d’Aulnay a créé une association, Hand’Joy, pour inciter les jeunes filles à ne pas céder aux injonctions sociales et aller au bout de leurs rêves. Une initiative qui repose sur son propre parcours, forgé dans la contrainte.
« Le sport m’a construite totalement. J’ai bien fait d’insister. » Amina se dit timide, mais ça ne se voit pas du tout dans ses choix de vie. Aujourd’hui gardienne en 2e division au sein de l’équipe des Louves de Noisy-le-Grand, elle a bien failli ne jamais pouvoir pratiquer sa passion librement. « Quand j’avais 16 ans, j’ai eu l’occasion d’entrer en sport-études handball, mais mon père n’a pas voulu parce qu’il trouvait que ce n’était pas convenable pour une fille. J’ai alors lâché le hand pendant 4 ans. Ca a été des années assez compliquées pour moi, parce qu’en arrêtant le hand, je me suis aussi coupée de toutes mes copines. Plus rien ne faisait sens. Et puis, j’ai décidé d’y revenir. Heureusement… », souffle la jeune femme.
Freins sociaux et psychologiques
Ce parcours, Amina le raconte aujourd’hui devant des lycéennes et des collégiennes de quartiers populaires à travers son association Hand’Joy, fondée en 2020. Son propos n’est pas du tout de stigmatiser les quartiers populaires, bien au contraire, « Quand on vient d’une cité, les freins peuvent être multiples : parfois c’est la société qui vous met des bâtons dans les roues par ses préjugés, parfois c’est aussi soi-même au sens où on s’interdit certaines choses », analyse celle qui a grandi aux 3000 puis à la Cité de l’Europe à Aulnay.
Alors, entre deux séances d’entraînement et des cours pour son master 2 en management international du sport, cette battante se dit qu’il faut aussi transmettre la flamme.
« Hand’Joy, je l’ai créée parce que j’aurais bien aimé avoir quelqu’un à mes côtés pendant mes années de détresse qui m’aurait dit : « ne lâche pas, peu importe ce que te dit ton entourage, tu as raison de poursuivre le handball » », explique la jeune femme. Depuis la fin du confinement, elle comme d’autres sportifs qui l’ont rejointe, à l’image de Djénéba Tandjan ou Lucsin Makengo, écument donc les établissements de quartiers populaires pour parler de leur parcours, répondre aux questions des élèves ou à certains parents inquiets.
« J’ai eu des témoignages de jeunes filles du style : « je veux faire de la boxe, mais ma mère dit que c’est un sport de garçons, qu’est-ce que je dois faire ? » Ou encore : « je suis la seule fille de mon groupe et mon coach n’est pas toujours sympa avec moi… » A chaque fois, je leur dis de ne pas lâcher, de se battre pour ce qu’elles veulent. »
La prochaine intervention aura lieu dans le collège où elle a elle-même été élève, Victor-Hugo à Aulnay, et fait une des rencontres les plus déterminantes de sa vie : sa professeure de sport Jennifer Bouchez, qui l’a inscrite en AS hand puis au club d’Aulnay, en classe de 5e. Pourquoi au poste de gardienne d’ailleurs ? « Parce que comme je suis très timide, j’avais immédiatement filé dans les cages. Mais à la réflexion, gardienne, ça reflète tout à fait ma personnalité : je suis à la fois assez solitaire, dans ma bulle, mais j’ai aussi une part de folie ou de détermination qui fait que j’arrive à emmener des gens avec moi », témoigne-t-elle.
Soutenue par la Fédération de handball
Celle qui croit aux rencontres et au travail se dit « étonnée » du succès rapide rencontré par Hand’Joy, activement soutenue par Béatrice Barbusse, la vice-présidente de la fédération de handball. Et fonde de grands espoirs dans le sport comme levier d’éducation populaire. « C’est un formidable outil d’ouverture parce qu’il t’amène à voyager, à rencontrer des gens qui ne sont pas du même milieu que toi et finalement à découvrir de nouveaux horizons. »
Le sien est désormais bien dégagé, à 23 ans. Sportivement, elle comme ses coéquipières aimeraient bien tenter la montée en D1, alors que le club coche désormais administrativement toutes les cases pour tenter l’aventure à l’échelon supérieur. « Le club se laisse deux ans pour monter. Cette année, ce sera compliqué mais pas impossible », lâche celle qui revient tout juste de blessure, après un traumatisme crânien subi en début de saison contre Clermont.
Et sur un plan personnel, Amina donne désormais l’impression d’être épanouie. Un peu comme le père de Billy Elliott dans le film du même nom, sa mère est venue la voir jouer en mai dernier pour la première fois sa vie : « un moment d’intense émotion, pour moi qui ne montre jamais rien d’habitude ». La numéro 16 des Rose et Noir peut désormais foncer. On a envie de lui dire : Hand’Joy.
Photos : ©Nicolas Moulard