Alhassane Diallo, chantre du réseau social humain
- Par le biais de l’association Temps Libre, Alhassane Diallo a cofondé plusieurs structures de réemploi dans différents domaines (sport, mobilités douces, musique, etc.) dans le quartier de La Noue, à Bagnolet.
- Des initiatives qui ont valu à cet acteur social d’être lauréat de l’appel à projets Agir In Seine-Saint-Denis deux années de suite (2021 et 2022).
- « Je ne fais que transmettre aux autres ce que ma famille m’a inculqué quand j’étais enfant », commente sobrement ce tisseur de liens très apprécié des habitants.
« Un homme au grand cœur », « la gentillesse incarnée », « il fait tellement de bien aux gens », « un guerrier qui se bat contre les injustices ». Dans le quartier de La Noue à Bagnolet, où absolument tout le monde le connaît, la simple évocation de son nom lui vaut une salve de compliments et de louanges. En novembre dernier, lors de la soirée des lauréats de l’Appel à Agir In Seine-Saint-Denis, dispositif dont il est ambassadeur, nombreux ont été les convives à venir lui manifester leur gratitude. Mais qui est au juste Alhassane Diallo ? Pourquoi fait-il autant consensus ? Et pourquoi son action est-elle à ce point louée ? Pour le comprendre et tenter de mettre la main sur ce garçon si populaire de 44 ans, père de quatre enfants, il faut se rendre dans le quartier de La Noue, à Bagnolet, qui jouxte Montreuil et le parc départemental Jean-Moulin – Les Guilands. Que ce soit dans cet espace vert ou dans les rues alentours, l’empreinte laissée par Alhassane est partout.
En 2019, avec Temps Libre, son association, et d’autres acteurs du territoire, il a cofondé la Recyclerie de La Noue. Située dans un entrepôt abandonné, au milieu des immeubles et d’une zone d’activités générant de nombreux déchets, cette véritable caverne d’Ali Baba est gérée par une équipe de bénévoles. Ensemble, ils collectent, récupèrent, réparent ou réemploient des meubles, de la vaisselle, des livres, des vêtements, des vélos, de la quincaillerie, des outils… « Tout ce que l’on trouve chez les gens ou dans la rue », résume Alhassane Diallo. Une démarche qui répond à des enjeux écologiques, économiques mais aussi sociologiques car « la clientèle vient de partout, jure le Bagnoletais. Ce sont des professionnels du cinéma qui recherchent des éléments de décor, mais aussi des gens du quartier qui fréquentent cet endroit par pure nécessité. Ces publics ne sont pas là pour les mêmes raisons mais ils sont dans le même espace. On profite de ces rencontres fortuites pour créer des connexions » La recyclerie est aussi un lieu de transmission et d’échanges entre les générations du quartier : les retraités viennent partager leur savoir-faire avec les plus jeunes, qui participent aux collectes et livrent les personnes âgées qui ne sont plus en mesure de se déplacer.
La recyclerie du sport est née pendant le confinement
Alhassane est un être vibrionnant. S’il parle d’une voix calme et s’il est doté d’une grande aisance verbale, l’interviewer relève parfois du défi tant le garçon ne tient pas en place. « C’est ma nature, je suis agité, je ressens toujours le besoin de faire quelque chose », avoue-t-il. Originaire du nord du Sénégal, il est arrivé à La Noue à 5 ans. Il n’en est jamais reparti. « Ma ville, mon quartier, c’est toute ma vie. C’est cet environnement enrichissant qui m’a permis de me construire sur le plan culturel, scolaire et humain. » Directeur du centre social et culturel Guy-Toffoletti, il a créé Temps Libre pour « mettre à profit les compétences acquises dans le champ social et sortir du registre institutionnel et ainsi proposer des actions qui soient à la fois utiles et agréable aux habitants du quartier », raconte-t-il. L’aventure de cette association a commencé avec « une ludothèque car il est l’outil parfait pour briser la glace, créer du lien social et oublier ses soucis. »
Il y a trois ans, le Département lui a permis d’investir la Cour Carrée, un tiers-lieu dédié au réemploi situé dans l’enceinte du parc départemental Jean-Moulin – Les Guilands. Les caissons métalliques aux couleurs bariolées dans lesquels Alhassane entrepose son matériel sont des boîtes à tout faire : les dimanches et les mercredis après-midi, on vient y faire réparer son vélo grâce au savoir-faire de Youssef ou participer à des séances de renforcement musculaire sur les conseils avisés de Yahia, expert du développé couché. « Les usagers sont aussi bien des habitués [tels que Nouari, 68 ans, ndlr] que des curieux ou des visiteurs occasionnels, constate Yahia, qui donne de son temps tous les dimanches de 11h à 13h pour Alhassane, son ami. Ce qui les attire, c’est la gratuité, l’accessibilité et le fait que ce soit du matériel de qualité qu’on retrouve habituellement dans les salles de fitness. Aux Guilands, le cadre est idéal, on est sous les arbres, loin de la forte odeur dégagée par les sols en caoutchouc. » Cette recyclerie du sport, projet lauréat de l’Appel à Agir In Seine-Saint-Denis en 2021, a vu le jour pendant le confinement. Objectif : permettre aux publics éloignés de la pratique sportive, ou coupés de toute activité en raison des restrictions, de se dépenser en respectant les règles sanitaires. « Nous avions aussi la volonté de dynamiser cette Cour Carrée, et plus largement le parc, qui, pour de nombreux riverains, constitue juste un lieu de passage pour rejoindre les transports en commun situés en contrebas, à la station Gallieni. Nous avons voulu en faire des usagers réguliers. », relève Alhassane.
L’atelier de réparation de vélo du parc compte aussi une unité mobile : Pharmacycle, dispositif lui aussi primé à l’Appel Agir (en 2022) et lui aussi signé Alhassane. Ce « Samu du deux roues » est un véhicule itinérant qui répare dans la rue les vélos sous la forme de « premiers secours ». « En plus de soigner les petits bobos de nos vélos, cette pharmacie ambulante, qui intervient essentiellement à Bagnolet et à Montreuil et qui est postée à chaque fois à un endroit différent, est pilotée par des personnes capables de distiller des conseils utiles et d’apporter quelques notions pour que les bénéficiaires puissent ensuite se débrouiller tout seul », explique le Bagnoletais. Le container à vélo sert aussi à stocker des biclous pour la vélo-école dans laquelle des enfants et des adultes – des femmes essentiellement – ont droit à un programme d’apprentissage sur mesure. « Nous sommes tous ‘’présumés capables’’ de faire des choses riches et constructives, estime Alhassane. La Noue est un quartier dynamique, il faut juste créer les conditions car la population n’attend que de voir les choses bouger. Eux aussi veulent se saisir des thématiques actuelles que sont la transition écologique, les mobilités douces, etc. La priorité, c’est d’occuper l’espace public pour éviter que s’y déroulent des actions négatives et malsaines. Je reproduis ce que mes parents m’ont inculqué. Plus jeune, je les ai beaucoup observés et je leur serai éternellement reconnaissant des valeurs de partage et de solidarité qu’ils m’ont transmises. Comme Obélix, je suis tombé dans la marmite, cet altruisme a fini par s’imposer à moi. »
En 2021, il a cofondé la boîte à rythme, un projet d’initiation aux pratiques musicales. « L’idée est partie de musiciens du quartier qui cherchaient un studio pour enregistrer et répéter leurs morceaux. Il est occupé et géré par un groupe local, Tapage, et il est accessible à tous ceux qui souhaitent faire de la musique. On y dispense aussi un enseignement en étroite collaboration avec le conservatoire de danse et de musique de Bagnolet. » Se décrivant comme un acteur d’hyper proximité, Alhassane n’a d’autre ambition que d’améliorer le quotidien, parfois difficile, des habitants. Il sait qu’il ne révolutionnera rien et veut éviter les fausses promesses. En revanche, il a envie de croire en un monde meilleur, où la monnaie d’échange ne prendrait pas uniquement les traits de l’argent mais puiserait dans le savoir-faire des uns et des autres. En somme, un monde plus inclusif dans lequel chacun puisse trouver sa place à sa juste valeur. Ce travailleur social aime à se qualifier d’ « agriculteur urbain ». « Je sème des graines, je les laisse pousser et une fois qu’elles ont germé, je quitte les lieux pour laisser la terre à d’autres. » Pour des contrées où l’herbe y est plus verte ? Certainement pas.
Grégoire Remund
Photos: ©Patricia Lecomte