A la Biennale Multitude, « l’importance de faire de la place à d’autres récits »

- Vendredi 4 juillet, l’écrivain Rachid Benzine et la directrice de la MC93 de Bobigny Hortense Archambault ont introduit la Biennale Multitude du Département par un appel à diversifier les récits pour une représentation plus fidèle de la société.
- Interviewés par deux étudiants de la radio associative Making Waves, ils se sont montrés à l’unisson de la Biennale Multitude qui pendant tout le week-end a montré la pluralité et la richesse de la Seine-Saint-Denis, en musique, en cuisine ou encore en mode.
« Mettre en commun, cela suppose de faire de la place à l’autre. L’entre-soi qui existe dans certains secteurs de la société française empêche parfois d’autres récits d’émerger » Vendredi, l’écrivain et dramaturge Rachid Benzine était parfaitement dans le ton de la Biennale Multitude, qu’il avait été invité à ouvrir par un débat avec Hortense Archambault, la directrice du théâtre de la MC93 de Bobigny.
Ensemble, au micro de la radio associative Making Waves, ces deux intellectuels ont phosphoré sur la question « Mettre en commun nos récits ». En bon philosophe, Rachid Benzine commençait ainsi par donner une définition de la notion-clé: « Un récit, c’est un point de vue sur le monde. C’est une interprétation du réel qui est bien plus forte que ce que nous croyons : un récit met en action, nous pousse à agir », soulignait cet adepte du penseur Paul Ricoeur.
Définition à laquelle Hortense Archambault ajoutait la dimension de la scène : « Le théâtre c’est le lieu de la représentation. Pour avoir un discours juste sur le monde qui nous entoure, il faut donc qu’un maximum de personnes puissent se sentir concernées par une pièce. C’est ce à quoi nous travaillons à la MC93 »

Hortense Archambault, directrice de la MC93 de Bobigny, et Rachid Benzine, écrivain, ont débattu pour Multitude sur la question « Mettre en commun nos récits »
Relancés avec perspicacité par leurs intervieweurs Mehdi et Farah, les deux créatifs ont en quelque sorte préfiguré tout ce qui allait se passer sur les vertes pelouses du parc Georges-Valbon pendant tout un week-end : des défilés de mode, des concours de cuisine, des concerts mêlant de multiples influences qui ont donné à voir toute la pluralité de la Seine-Saint-Denis, ce département-monde qui s’avère si différent des clichés qui circulent sur son compte quand on veut bien le regarder vraiment.
« Il faut complexifier les récits. » Là-dessus, Hortense Archambault et Rachid Benzine étaient en tout cas unanimes. « Je cherche à complexifier la récit de la Seine-Saint-Denis répondait ainsi la directrice de la MC93 et ancienne présidente du festival d’Avignon à une question de Farah critiquant certaines médias nationaux pour leur récit « biaisé et sensationnaliste » du 93. « Il faut compliquer les intrigues », rebondissait Rachid Benzine qui n’hésitait pas à préciser sa pensée. « Prenez l’exemple du RN qui ramène tout à l’immigration. Leur récit extrêmement pauvre et n’offre aucune possibilité d’interprétation convaincante du réel. Je trouve que le monde souffre de cette réduction-là », insistait celui qui dans ses œuvres a traité de thèmes contemporains comme l’exil, la spiritualité ou la radicalisation.
Colonialisme, discriminations, égalité, double culture : autant de thèmes qu’il était selon l’auteur de « L’homme qui lisait des livres », son dernier roman sur une forme de résistance pacifique à Gaza, souhaitable d’intégrer dans les récits des uns et des autres. Dès le lendemain, ces souhaites devenaient des actes puisque la scène Agora sur laquelle s’était tenue le débat se convertissait en podium du Cabaret de la Vénus Noire, une pièce animée par Soa de Muse et Mami Watta sur différentes figures noires et queer qui ont marqué l’histoire de la scène.
Christophe Lehousse
Photos: ©Bruno Lévy
Making Waves, une radio qui renoue avec l’époque dorée des radios libres
« Making Waves, c’est une grosse machine colorée, qui essaie de donner la parole aux habitants des quartiers populaires sur différents sujets, parfois pas assez présents dans les médias traditionnels. » En descendant de la scène sur laquelle elle a animé le podcast «
Ça vient de la rue » avec son confrère Mehdi, Farah a le sourire. « J’ai réalisé un rêve auquel je ne croyais plus trop », lâche la jeune femme, qui a croisé le chemin de Making Waves via la mission locale de Gagny, où elle habite.
Créée en 2019 par des professionnels des ondes, cette radio doublée d’un chantier d’insertion possède un peu le même positionnement que sa grande sœur du Bondy Blog : donner la parole aux habitants des quartiers populaires tout en faisant fabriquer l’information par ces mêmes habitants.
Et pourquoi la radio ? « Ce media a ceci de pratique qu’il est moins intrusif qu’une caméra. Les gens se confient plus facilement. », explique Mohammed Bensaber, directeur du pôle insertion. Son but est donc double : faire témoigner les habitants des quartiers populaires sur les grands sujets de société et les faire travailler sur un projet professionnel. Actuellement, la radio compte ainsi une dizaine de salariés en insertion professionnelle. D’autres comme Mehdi, en 3e année d’école de journalisme, y trouvent des stages qui ne sont pas toujours faciles à décrocher.
« On travaille vraiment en équipe ici, tendus vers le même un but commun : mettre en avant les habitants de Seine-Saint-Denis en allant à leur rencontre, en ne modifiant pas ce qu’ils disent », soulignait ainsi celui qui a grandi à Aulnay et Villemomble.
Forum pour l’emploi des femmes, festival d’Avignon et bien sûr Jeux olympiques : en 6 ans d’existence, la radio au logo jaune a déjà promené ses micros dans beaucoup d’endroits.
CL