Pour Erwan Girard, le catch, ce n’est pas du chiqué

Pour Erwan Girard, le catch, ce n’est pas du chiqué
Sport spectacle
  • Montreuillois depuis toujours, Erwan Girard pratique une activité peu commune : le catch.
  • Le jeune homme de 23 ans consacre même sa vie à ce sport-spectacle où la dimension théâtrale le dispute aux aptitudes physiques et athlétiques.
  • Si cette passion le fait voyager dans toute l’Europe, son but ultime est de rejoindre un jour les États-Unis, qui hébergent la célèbre fédération WWE. Rencontre.

Parler de catch permet de tordre le cou, non pas à son adversaire sur le ring une fois n’est pas coutume, mais à certaines idées reçues. Erwan Girard est bien la preuve vivante qu’on peut être catcheur sans avoir des muscles hypertrophiés et un corps huilé de la tête aux pieds. En tenue de ville (survêt/baskets), ce jeune homme de 23 ans, fin et athlétique, a plutôt la carrure d’un joueur de foot ou d’un spécialiste du 110 mètres haies. C’est quand il enfile son costume rouge scintillant qu’on comprend à qui on a affaire. Erwan, Montreuillois pur sucre (il y est né, y a grandi et y vit encore), est catcheur semi-professionnel, ce qui signifie qu’il consacre tout son temps et son énergie à cette activité mais qu’elle ne lui permet actuellement pas d’en vivre. « J’habite chez mes parents car les galas auxquels je participe, en moyenne cinq par mois, en France et à l’étranger, sont très mal payés », précise celui dont l’alias sur le ring est R1 (prononcer R-One), en référence, en plus de son prénom, au bouton de manette de PlayStation, et dont le gimmick (« personnage » dans le jargon du catch) est un pratiquant de jeux vidéo qui se sert de son joystick comme d’une télécommande pour contrôler son vis-à-vis et en faire une marionnette à sa botte.

« Au catch, on se blesse rarement mais on se fait souvent mal »

Car le catch est un sport-spectacle. Un sport parce que ceux qui le pratiquent sont des athlètes ; un spectacle parce que ces mêmes athlètes s’apparentent à des acteurs qui miment sur le ring la vraisemblance scénique d’un combat de lutte. Le célèbre et sémillant sémiologue Roland Barthes (1915-1980) disait en son temps que « la fonction du catcheur, ce n’est pas de gagner, c’est d’accomplir exactement les gestes qu’on attend de lui (…). Au catch, comme sur les anciens théâtres, on n’a pas honte de sa douleur, on sait pleurer, on a le goût des larmes. » Des rivalités simulées, des coups non portés et l’issue du combat décidée à l’avance par le promoteur du show, le tout avec la complicité de fans incrédules, voilà la magie du catch, discipline unique en son genre. Dans le milieu, cet art de brouiller les pistes – donner l’illusion, par tous les moyens possibles, que les combats de catch ne sont pas arrangés et que les personnages incarnés par les lutteurs sont bien réels – possède même un terme, le kayfabe. « L’objectif numéro un est de divertir les spectateurs, indique Erwan, mais simuler ne veut pas dire que les douleurs n’existent pas. Quand on saute depuis les cordes sur un adversaire à terre, le corps morfle, et ce même si on est surentraîné. Au catch, on se blesse rarement mais on se fait souvent mal. »

Comme certains de ses camarades, comme le plus illustre, Lino Ventura en son temps, le Montreuillois a envisagé de devenir acteur. « Si, avant un combat ou à la fin de celui-ci, j’aime me saisir d’un micro pour haranguer la foule et la provoquer, je me suis vite rendu compte que j’étais plus à l’aise sur le ring que sur scène », admet-il toutefois. Jouer la comédie, oui, à condition que celle-ci soit associée à une performance athlétique, bien réelle celle-ci. Car Erwan a toujours été sportif. Plus jeune, comme tous les gamins de son âge ou presque, il a pratiqué le judo et le football mais n’y a jamais trouvé son compte. « Il me manquait quelque chose. » À 13 ans, alors qu’il est planté devant la télé, il tombe par hasard sur une émission de catch aux États-Unis. C’est le coup de foudre. Trois ans plus tard, une fois l’autorisation parentale obtenue, il intègre l’Association des professionnels du catch (APC), une fédération située à Nanterre, au Studio Jenny, considéré comme le temple de la discipline en France. « Tous les meilleurs catcheurs de France sont passés par l’APC, c’est même une référence en Europe », plaide R1, qui apprend très vite et qui réalise son premier combat officiel à seulement 18 ans. « En France, ce n’est pas le sport le plus populaire mais il monte en flèche depuis quelques années grâce aux réseaux sociaux et aux influenceurs, qui parviennent à toucher un public plus jeune, et à la WWE (World Wrestling Entertainment), une des plus grandes entreprises mondiales de catch, qui organise de plus en plus de tournées en Europe, et notamment chez nous. »

Une affaire d’écriture

En cinq ans d’activité sur le circuit, Erwan s’est fait un nom et une réputation qui lui permettent de s’exporter dans toute l’Europe. En mai, il se rendra en Allemagne (deux fois), en Roumanie et en Hongrie alors qu’il a déjà sillonné à plusieurs reprises l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Italie ou encore le Portugal. « Les organisateurs me paient l’avion, l’hôtel, la nourriture sur place. Pour le show, je touche en général 100 à 200 euros, rarement plus. C’est une vie à la fois belle et difficile. Le problème est que je n’appartiens à aucune fédération [lesquelles, surtout aux États-Unis, rétribuent parfois grassement les catcheurs sous contrat, NDLR], je dois me débrouiller tout seul. Pour me faire connaître, et générer des vues, je crée des contenus sur Instagram et Tik Tok. J’ai déjà été sollicité par des organisateurs de galas parce que les vidéos que j’avais produites les avaient séduits. Je suis également parti trois fois aux États-Unis où le catch est une institution et où les opportunités sont plus nombreuses. »

Comme tout spectacle qui se respecte, le catch est avant tout une affaire d’écriture. Un bon scénario incarné par de bons coméd… euh catcheurs donnera à coup sûr un combat de qualité acclamé par le public. Ainsi un catcheur apprend-il son combat comme un acteur apprend son texte – « quand j’ai un trou, j’improvise et ça passe toujours », confie Erwan – et, du ring, le storytelling sort toujours vainqueur. « Si John Cena a remporté 16 titres de champions du monde [cette légende du catch se retirera des rings à la fin de l’année et a déjà entamé en parallèle une carrière à Hollywood, NDLR], ce n’est pas parce qu’il mettait ses adversaires au tapis, mais parce que ses combats étaient merveilleusement chorégraphiés, qu’il avait un charisme fou, la tête du père de famille américain idéal et qu’il maîtrisait l’art de la ‘’promo’’ [interview donnée par un catcheur visant à faire monter la sauce en vue d’un combat à venir,NDLR] comme nul autre. » À défaut de devenir un jour le prochain John Cena, R1 s’est lancé un défi à la mesure de son talent : être le plus jeune Français à s’importer aux États-Unis. Sans droits de douane, en plus.

Grégoire Remund

Photos: ©Marie Magnin

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