Habib Beye : « Le Red Star me donne des émotions »
A 44 ans, l’ancien joueur de l’OM et international sénégalais vit sa première saison complète d’entraîneur sur le banc du Red Star. Un club dont il partage les valeurs : dimension populaire et impact social. A 5 jours de la Coupe du monde, celui qui est aussi consultant foot nous parle de son rêve d’un France-Sénégal en finale. Interview.
Que représente le Red Star à vos yeux ?
J’ai l’habitude de dire que le Red Star ressemble aux clubs où j’ai évolué comme joueur. Je suis passé par Strasbourg, club populaire, identifié à la région. A l’OM, pareil, c’est une ville qui respire le foot. Eh bien, l’ambiance du stade Bauer me rappelle ces ambiances. Je suis devenu entraîneur pour gagner bien sûr, mais surtout pour vivre des émotions. Et avec sa dimension populaire, sa ferveur, le Red Star m’en donne. Et puis, je suis aussi attaché à ce que le club fait en dehors du foot, son aspect social, son enracinement dans le territoire. Je pars du principe qu’avant d’entraîner des joueurs, on forme des hommes et c’est tout à fait la philosophie du Red Star.
Comment s’est fait le rapprochement entre vous et le Red Star en mai 2021 ?
C’est une aventure qui est partie d’une rencontre avec le président Patrice Haddad, avec qui le courant est tout de suite passé. A l’époque, je passais encore mes diplômes d’entraîneur et nous avions convenu que je pourrais peut-être me rapprocher du Red Star pour entraîner une de ses équipes de jeunes. Par la suite, les circonstances ont fait que j’ai ensuite pris le poste d’entraîneur de l’équipe première. Et je m’y éclate tous les jours, parce qu’on m’a mis dans les meilleures dispositions.
Pas de club de haut niveau en France qui n’ait pas de joueurs issus d’Ile-de-France et même de Seine-Saint-Denis. A quoi cela tient-il ?
Il y a d’abord un phénomène de densité de population, mais ça n’explique pas tout. Je pense qu’il y a aussi dans le 93 une abnégation et une détermination qui se sont construites au fil du temps. Les joueurs qui sont ici ont soif de réussite mais aussi envie de faire briller leur département. Ils sont aussi assez exemplaires au niveau du comportement. Je tiens à le dire parce que le 93 est souvent stigmatisé bien injustement.
Ca vous agace que la Seine-Saint-Denis soit toujours ramenée à ses faits divers quand elle est aussi riche de tant de belles initiatives ?
Je le regrette profondément. En fait, les gens – je ne vais pas incriminer les medias en particulier – mais les gens ne prennent pas la peine de creuser, d’aller au-delà des stéréotypes. On ne voit que ce qui se passe en surface. Alors qu’il existe ici tant de joueurs, tant d’éducateurs qui en valent la peine. Je vais vous dire : au début de saison, quand on m’a demandé comment je voyais mon groupe, j’ai dit qu’il me fallait 18 joueurs expérimentés, mais aussi 3 ou 4 jeunes du cru. Pourquoi ? Parce qu’un Jovany Ikanga, un Rayan Slimani (tous deux formés au club) ou un Ryad Hachem ne désirent qu’une chose : jouer pour le département dans lequel ils ont grandi. Je crois beaucoup à cette notion d’identité de club.
Cette identité n’est-elle pas mise en péril par le récent rachat du club par un fonds d’investissement américain (777 Partners, qui a racheté le club en mai dernier) ?
A partir du moment où ils sont dans la philosophie qu’a décidée Patrice Haddad – et c’est le cas – non, absolument pas. Quand Patrice a présenté le projet à 777 Partners, ceux-ci ont très bien compris la logique qu’il y avait à rester aussi un club ancré dans le département. Moi, ça ne m’intéresse pas de n’avoir que des joueurs qui viennent de droite et de gauche. Je veux aussi accompagner des jeunes de l’Académie vers le très haut niveau parce que ça leur bénéficiera à eux comme au club.
Vous avez pour ambition de monter en Ligue 2 dès cette année ou ça ne se pose pas en ces termes ?
Non, on ne peut pas le formuler en ces termes. Ce serait manquer d’humilité. Evidemment qu’on a des ambitions élevées, mais dans un championnat où il va y avoir 6 descentes cette saison et où tout le monde va donc être préoccupé par le fait de ne pas perdre, on ne peut pas jouer les fanfarons. Notre objectif est de sécuriser au plus vite les points du maintien avant ensuite de nous situer par rapport à des objectifs supérieurs.
Parlons un peu de la Coupe du Monde qui arrive. Vous avez un favori ?
Sénégal champion du monde ! (il rit)
Et les Bleus, comment les voyez-vous ?
C’est évidemment un des favoris, mais on a vu lors du dernier Euro que certaines grosses nations de football pouvaient faire des faux pas. Et il ne faut pas oublier le contexte : une préparation courte, des chauds-froids entre 45 degrés dehors et des stades climatisés. Ca va énormément impacter les organismes. J’ai vécu 4 Coupes d’Afrique des Nations avec le Sénégal dans des climats éprouvants, donc je suis bien placé pour le savoir.
Et le Sénégal donc ?
Dans ce contexte-là, et avec leur récent titre de champions d’Afrique qui leur a donné une grande confiance, ils peuvent aller loin. Ce serait en tout cas super qu’un pays d’Afrique rentre enfin dans le dernier carré d’une Coupe du monde. Imaginez un France-Sénégal en finale, le rêve…
Quel souvenir gardez-vous de votre Coupe du Monde 2002, où vous atteignez les quarts avec le Sénégal ?
C’est le meilleur souvenir de ma vie de footballeur. Imaginez un peu… Jamais le Sénégal n’avait participé à une Coupe du monde, et là, pour la première, on bat la France championne du monde en titre… A partir de là, on s’est autorisé tous les rêves. Au final, on se fait éliminer en quart de finale par la Turquie au but en or, mais très franchement, on pensait qu’on allait la gagner. Quand on rentre au pays, on est en tout cas célébrés comme si on l’avait gagnée. Je garde tant de beaux souvenirs de ces moments : notre sélectionneur Bruno Metsu, son adjoint Jules Bocandé (tous deux décédés depuis, ndlr), des personnes extraordinaires…
Prenez-vous exemple sur un entraîneur en particulier ?
Pas sur un, mais sur plusieurs. C’est Fabio Capello qui disait : « le meilleur des entraîneurs, c’est le plus grand des voleurs » J’essaie de prendre des choses qui me plaisent chez plein de gens. Chez les plus grands bien sûr, comme Guardiola et Jürgen Klopp. Le premier a pour moi révolutionné le jeu au sens où il a fait évoluer des postes qui paraissaient immuables. Et le deuxième a su développer une intensité de jeu rare. Mais je ne me cantonne pas à eux : je regarde aussi dans un entourage plus direct, les principes de jeu de Franck Haise (RC Lens), d’Alain Pochat (Bourg-en-Bresse). J’ai toujours été un curieux du jeu, déjà quand j’étais joueur. Que ce soit comme entraîneur ou comme consultant, je regarde toujours le foot avec l’envie d’apprendre quelque chose. »
Et comment percevez-vous votre métier de consultant ?
En général, quand de jeunes consultants viennent me demander des conseils quand je l’ai fait moi avec Christophe Dugarry, je leur réponds qu’un bon consultant doit prendre des risques et ne pas avoir peur de se tromper. Car on est avant tout là pour anticiper, décrypter ce que le téléspectateur ne voit pas forcément. Evidemment, parfois nos prédictions tombent complètement à plat. Prenez PSG-Real en Ligue des Champions l’année dernière. Bien malin celui qui aurait pu dire que Benzema allait renverser le match. C’est toute la beauté et l’irrationnel du foot. Mais si c’est pour dire ce que le téléspectateur voit déjà, ça n’a pas d’intérêt.
Propos recueillis par Christophe Lehousse
Photos : ©Benoit Lorphelin
©Thomas Jobard