Comment la Seine-Saint-Denis est devenue terre de rugby

Comment la Seine-Saint-Denis est devenue terre de rugby
Rugby

Un nombre de licenciés qui retrouve son niveau d’avant-Covid, des internationaux formés dans des clubs de Seine-Saint-Denis : si la concurrence livrée par le foot est rude, le rugby s’impose de plus en plus dans le 93. L’approche de la Coupe du Monde de rugby 2023, avec des matches au Stade de France auxquels seront conviés des jeunes du territoire, devrait notamment renforcer cette dynamique.

Sur le terrain, Fatou plaque, gratte le ballon et reprend sa position. Sous son maillot gris de la classe rugby Jean-Jaurès Pantin, elle a fière allure. Entre deux matches du tournoi UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire) organisé ce mercredi de fin septembre au stade du Moulin-Neuf à Aulnay, la jeune élève de 5e prend le temps de nous raconter comment elle en est venue à jouer au rugby : « De ma fenêtre, à Pantin, je vois le stade Raoul-Montbrand, donc j’ai commencé à regarder des matches de rugby. Arrivée en 6e, des copines à moi se sont inscrites en classe rugby, donc j’ai décidé de les suivre cette année. J’aime bien plaquer. Quand je plaque, toute ma colère s’enlève. Et puis, c’est une manière d’être avec les copines. »

« Ca pousse fort »

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Depuis cette année, Fatou fait donc partie de la section sportive du collège Jean-Jaurès de Pantin, dirigée par Lucien Midelet. Au même titre que d’autres collègues, celui-ci constate que « ça pousse fort en matière de rugby » ces dernières années, particulièrement chez les filles.

Des inscriptions en club reparties à la hausse après le Covid (de 3320 licences en 2017 à 3500 licences en 2021), de très bons résultats en sport scolaire, et des éléments du 93 qui se frayent un chemin jusqu’en équipe de France : Yacouba Camara, Cameron Woki, Demba Bamba chez les hommes ; Joanna Grisez et Yllana Brosseau (encore joueuses de l’AC Bobigny 93), Madoussou Fall et Julie Annery (formées à Bobigny) chez les femmes… Et si la Seine-Saint-Denis était devenue une terre de rugby ?

Le rugby féminin en plein essor

« Pour les filles, oui, ça ne me semble pas exagéré de le dire. Chez les garçons, c’est plus difficile car on subit la concurrence du foot », estime Alexandre Gau, responsable de la section sportive rugby au collège Pierre-Sémard de Bobigny.

Et d’expliquer : « Dans les milieux populaires, les filles sont peut-être moins attendues pour s’illustrer dans le sport. Certains parents amènent par exemple leurs garçons au foot, mais n’attendent pas forcément leurs filles sur le terrain du sport. Or avec le rugby, on leur offre la possibilité de s’épanouir et d’évoluer au sein d’un groupe. Et souvent, elles le saisissent pleinement », constate celui qui est aussi entraîneur de l’équipe première des Louves de Bobigny, qui évoluent au plus haut niveau national.

5 « classes rugby », 27 associations sportives

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Face à ce boom de la pratique, tous sont unanimes au moment d’isoler le facteur d’explication numéro un : la forte cohésion entre sport scolaire et pratique en club.
« Les passerelles entre sport scolaire et club sont vraiment très fluides. Ça s’explique notamment par le fait qu’énormément de profs de « classe rugby » (des classes avec une pratique renforcée de la discipline) ont souvent la double casquette prof d’EPS et responsable de club. Si on ajoute à ça le fait qu’en STAPS, certains profs très investis rugby forment la génération suivante, cela produit un cercle vertueux », résume Jean-Philippe Damie, directeur de l’UNSS 93, qui peut se targuer de compter 5 « classes rugby » et 27 AS (des créneaux de pratique au sein des collèges et lycées). Avec des résultats tangibles : la classe rugby minimes filles de Pablo-Neruda à Aulnay championne de France en 2018, et Iqbal-Masih de Saint-Denis deuxième l’année dernière.

« Dans aucune autre discipline, on ne domine autant en sport scolaire », reprend Jean-Philippe Damie qui a donc fait le choix d’organiser fin mai 2023 le championnat de France de rugby minimes filles, sur ce même stade du Moulin-Neuf.

Les 20 ans des Louves

Cette histoire de va-et-vient entre sport scolaire et club, c’est aussi celle qui a prédestiné à la formation des Louves de Bobigny. Comme un symbole, cette équipe fêtera ses 20 ans en 2023, la même année que la Coupe du monde organisée en France. « Au départ, ce sont des profs de sport passionnés de rugby, Marc-Henri Kugler, Fabien Antonelli ou moi-même qui avons un peu « importé » la pratique à la fac de Paris-XIII Bobigny, raconte Jean-Luc Pussacq de sa voix rocailleuse. D’universitaire, la pratique s’est ensuite élargie au club de Bobigny. Puis, le temps passant, au profil des filles de STAPS se sont ajoutées des filles du cru qu’on forme de plus en plus tôt », complète le président du Comité 93 rugby.

4000 places achetées par le Département

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Histoire confirmée au téléphone par Clémence Gueucier, joueuse des Louves pendant 14 ans et désormais devenue entraîneure des garçons U21 au Stade Français Paris. « Chez les filles, la pratique s’est vraiment densifiée en Seine-Saint-Denis. Grâce notamment au sport scolaire, les filles commencent à jouer de plus en plus tôt. Désormais, il n’est pas rare qu’une fille arrive en seniors avec 7 ans, voire 10 ans de pratique derrière elle là où moi, en seniors, j’avais joué une année à la fac… », assure celle qui a aussi contribué à mettre en place une structure destinée aux potentiels de haut niveau sur le territoire. Depuis 2020, l’Académie Pôle Espoirs d’Aulnay, basée au lycée Voillaume, accueille ainsi chaque année une dizaine de jeunes filles prometteuses en matière de rugby. Avec pour objectif de les laisser le plus longtemps possible dans le giron familial quand elles devaient auparavant partir pour le Pôle Espoirs de Brétigny, en Essonne…

« Aller voir des matches »

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Et la Coupe du monde 2023, avec une équipe de France dans une dynamique positive, peut-elle encore faire passer un palier au rugby de Seine-Saint-Denis ? La plupart des acteurs de l’Ovalie en Seine-Saint-Denis s’en disent convaincus, même si certains y mettent une condition. « Pour que ça marche, il faut que les jeunes puissent vivre la Coupe du monde de l’intérieur, aller voir des matches pour se dire que ce n’est pas que pour les autres », pose Alexandre Gau. 4 000 places ont en tout cas été achetées par le Conseil départemental pour en faire profiter clubs et associations investies pour faire vivre le Mondial sur le territoire.
Au bord du terrain, Sidi Mohamed, 14 ans et en section sportive à Gérard-Philipe Aulnay, se prenait à rêver. « Je suis fan d’Antoine Dupont. Le voir au Stade de France face aux Blacks, j’en rêve tous les jours… »

Photos : ©Sylvain Hitau

Pantin-Sao Paulo, voyage en ballon ovale

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Elles l’appellent « l’essai du bout du monde ». Et il est diablement long à transformer. Depuis 2018, 12 joueuses du ROP, le club de rugby de Pantin, sont embarquées dans un projet un peu fou : un échange avec les « Leoas » (les Lionnes) de Paraisópolis, un club de rugby féminin de la banlieue de Sao Paulo.

En juillet 2019, cette équipe brésilienne féminine, connue pour son impact bénéfique sur la favela alentours, est venue pour un mois en France, afin de rencontrer leurs correspondantes pantinoises, jouer avec elles dans le cadre d’une tournée dans le sud de la France et découvrir la Seine-Saint-Denis. Une expérience déjà très riche, gravée dans le beau documentaire « So Vai », d’Emmanuel Saunier et Capucine Boutte, qui sera d’ailleurs projeté le 20 octobre au Ciné 104 de Pantin.

La visite dans l’autre sens était prévue pour décembre 2020, mais M.Covid est passé par là. En véritables battantes, Fatuma, Maba ou encore Prodiges n’ont pourtant pas lâché le morceau et embarqueront en cette fin d’année pour le Brésil. Au programme : du temps passé dans les familles brésiliennes, la visite d’une école de samba de Sao Paulo et bien sûr du rugby, en compagnie de l’Instituto de rugby para todos. Ce club, niché au cœur de la favela de Paraisópolis, s’appuie depuis de longues années sur le ballon ovale pour y sensibiliser aux notions d’égalité filles-garçons ou faire de l’insertion professionnelle. « La venue des Brésiliennes en 2019 a déjà fait bouger beaucoup de choses : les participantes au projet ont élargi leurs horizons, certaines filles ont compris à quel point les représentations du monde, les rapports au corps étaient divers. Là, c’est la récompense ultime qui attend les filles qui n’ont pas lâché malgré les aléas du Covid. », se réjouissait Lucien Midelet, entraîneur au ROP à l’origine du projet. Départ aux alentours du 17 ou 19 décembre pour Sao Paulo. Cette année, pour certaines Pantinoises, le père Noël parlera portugais…

– « So Vai », documentaire d’Emmanuel Saunier et Capucine Boutte, revient sur l’aventure commune des filles du Rugby Olympique Pantin et des Lionnes de Paraisopolis, le 20 octobre au Ciné 104 de Pantin

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