23 ans de balle jaune à La Courneuve avec Yannick Noah
- L’association Fête le Mur organisait le 18 juin son tournoi national à La Courneuve et Aulnay, en présence de 52 enfants venus de toute la France.
- Cette structure nationale fondée en 1996 par Yannick Noah, présent pour remettre les trophées, s’appuie sur le tennis pour faire de l’éducation et de l’insertion dans les quartiers populaires.
- « Etre avec ces jeunes, c’est mon cadeau », a notamment déclaré le dernier vainqueur français de Roland-Garros.
« Je suis content d’avoir gagné. Et que Yannick Noah me remette le trophée, ça me fait un peu drôle. » Alkaïm avait le coeur qui battait à cent à l’heure, ce dimanche sur les coups de 15h. Ce jeune garçon de Stains, qui joue au tennis depuis l’âge de 5 ans, venait de remporter dans sa catégorie des 15-16 ans le Tournoi national de Fête le Mur.
Fondée en 1996 par Yannick Noah, cette association entend favoriser la pratique du tennis dans les quartiers populaires et s’appuie sur ce sport pour des actions d’éducation et d’insertion.
Présente dans 80 villes sur toute la France, elle s’est aussi implantée très tôt à La Courneuve – en 2000 – et plus récemment à Aulnay, pour là aussi, faire comprendre aux enfants des quartiers populaires que le tennis, ce n’est pas que pour les autres.
« En 20 ans, Fête le Mur a permis à d’innombrables jeunes de pratiquer un sport qui leur était parfois lointain, se félicitait Mohamed Assaoui, directeur de l’antenne courneuvienne depuis ses tout débuts. Au-delà du sport, ça a permis à plusieurs jeunes de se former aux métiers de l’animation et du sport ou à l’arbitrage puisque nous avons aussi un programme de formation de jeunes arbitres. Bref, c’est un outil pour se retrouver, s’émanciper et vivre de belles aventures. »
Jeu, set et sourire
De fait, le sourire était partout hier, à l’occasion du Tournoi national de Fête le Mur, qui, pour la toute première fois, avait lieu en Seine-Saint-Denis. Du plaisir en barres sur les visages des 52 participants venus de toute la France – Chambéry, Bordeaux, Aix-en-Provence ou encore Bar-le-Duc – mais aussi des jeunes ramasseurs de balles et des 19 arbitres et juges de ligne. Et sur celui de Yannick Noah. 40 ans après sa victoire à Roland-Garros, l’ancien petit prince du tennis français n’aurait laissé passer ce moment pour rien au monde. « Etre ici avec ces jeunes, c’est mon cadeau. Je me souviens des premiers temps de l’asso où certains à la fédé nous avait accueillis avec ces mots : « ces gens-là ne joueront jamais au tennis ». Ca m’avait remué. Aujourd’hui, on a 80 implantations dans toute la France et des bureaux à la fédé, bien du chemin a été parcouru. », soulignait le dernier vainqueur tricolore des Internationaux de France avant de remettre leurs trophées aux 7 catégories du tournoi, en présence de Stéphane Troussel, président du Département et d’Olivier Klein, ministre de la Ville.
Pratique du tennis en pied d’immeuble, formations de jeunes arbitres, invitations à Roland-Garros, Fête le Mur fait en effet feu de tout bois pour initier les jeunes des quartiers au tennis. Tout en s’appuyant aussi sur la petite balle jaune pour travailler la confiance en soi, la réussite scolaire et l’ouverture au monde.
17 500 jeunes concernés chaque année
En marge du tournoi national, les 52 jeunes réunis ont par exemple eu l’occasion de suivre des ateliers sur l’alimentation ou la pratique des langues étrangères grâce à un partenariat avec l’association Planet Citizens. « On a vraiment l’ambition de dépasser le cadre de la seule activité physique. L’association compte 6 grands axes: la promotion du tennis dans les quartiers, l’éducation alimentaire, la réussite scolaire, l’insertion professionnelle, le décloisonnement et l’égalité filles-garçons », détaillait Albert Singer, directeur du développement à Fête le Mur.
Sur ce dernier volet par exemple, l’association est exemplaire : 46 % des 17 500 jeunes qu’elle implique tous les ans sont des filles, bien loin du ratio 20-80 % affichés par les clubs. Pour Atina Vuckovic, 10 ans, ça n’a même jamais été un sujet quand cette jeune fille originaire de Stains s’est mise au tennis dans la foulée de son grand frère Aleksa : « Je joue au tennis parce que ça me plaît et que j’aimerais y faire carrière. Fête le Mur est une association motivante : elle nous donne la possibilité de disputer des tournois et de rencontrer des champions », témoignait cette Stanoise qui, comme Alkaïm, l’aura emporté dans sa catégorie des 11-12 ans.
Mais une fois de plus, davantage qu’une usine à champions, Fête le Mur se perçoit surtout comme un tremplin et un transmetteur de confiance. En 27 ans d’existence, ce mur commence à en avoir généré, des rebonds.
CL
Photos: ©Franck Rondot
Yannick Noah : « Etre avec ces jeunes, c’est mon cadeau »
Quand vous créez Fête le Mur en 1996, songez-vous à tout ce que le sport vous a apporté à vous ?
Oui bien sûr. J’ai eu l’idée de cette association en voyant ce qu’avait fait Arthur Ashe aux Etats-Unis. Il était à l’origine de deux sites à Harlem et dans le Bronx que j’avais eu l’occasion de visiter. Et à l’époque, j’avais trouvé ça très chic. Dans les années 70-80, le tennis n’était pas encore ce qu’il est aujourd’hui : quand je jouais, j’avais ce sentiment d’être un peu seul. C’est comme si quelque chose manquait dans mon parcours personnel, le fait d’aider ma communauté. Si tu ne fais pas ça, tu ne sers à rien. Encore aujourd’hui, 33 ans après avoir arrêté ma carrière, ça résonne en moi. C’est un luxe de pouvoir avoir un impact sur la vie des mômes. Ca a donné du sens.
27 ans plus tard, vous êtes satisfait de voir comment l’association a évolué ?
On est toujours partagé entre l’enthousiasme de voir des retombées réelles et la frustration que ça n’aille pas assez vite à notre goût. Aujourd’hui, on est sur 80 implantations dans toute la France. Il y a 15 ans, je pensais qu’on en aurait 500 ! Mais le bilan est super positif. Etre là aujourd’hui, face à ces jeunes, c’est mon cadeau. Je me souviens des premiers temps de l’asso où la fédé nous avait accueillis avec ces mots : « ces gens-là ne joueront jamais au tennis ». Ca m’avait remué. Heureusement, bien du chemin a été parcouru depuis. Avec Gilles Moretton (président de la FFT), qui était mon collègue de pension à mon arrivée en France, on est sur la même longueur d’ondes.
L’impact de l’association est évidemment d’abord social. Mais y a-t-il aussi l’espoir de faire accéder au tennis le futur vainqueur français de Roland-Garros ?
Pas de pression sur les gamins. Ils sont là avant tout pour le plaisir. Après, bien sûr que je le souhaite. Je crois sincèrement que le prochain vainqueur français de Roland-Garros sera un gamin des cités. Pourquoi ? Parce qu’il y a ici tellement d’énergie ! En tout cas, ça aurait une résonance très puissante, dans l’imaginaire des gamins et pour le tennis français. Regardez l’impact qu’un Kylian Mbappé a sur Bondy ou qu’un Karim Benzema a sur Bron. Enfin, tous ces gens qui parlent des banlieues sans jamais y avoir mis les pieds arrêteraient avec leurs idées toutes faites sur les quartiers…
Mais pour cela, il faudrait faire venir au tennis les jeunes des quartiers qui sont plutôt attirés par le foot à l’heure actuelle. Regrettez-vous parfois que le tennis ait ce caractère élitiste ?
Non. Le tennis, avec le matériel qu’il implique, est plus cher, c’est un fait. Mais ça ne doit pas être un frein. Tout le but de l’association est justement de démocratiser le tennis. En prêtant du matériel ou en le donnant, en ouvrant des portes. Surtout, nous on n’est pas intéressés par faire des coups. On ne veut pas juste tendre des filets au pied des tours et le lendemain disparaître. Voilà pourquoi, plus que les structures – qui existent en cherchant bien – le plus important est l’encadrement. S’il n’ y a pas quelqu’un pour vous encourager, vous montrer les bases du jeu, les infrastructures ne servent à rien.
Propos recueillis par Christophe Lehousse