Discriminations : les jeunes concerné·es et mobilisé·es

Discriminations : les jeunes concerné·es et mobilisé·es
Concertation jeunesse
  • Trois jeunes du territoire sur quatre déclarent avoir été victimes de discriminations en 2023, selon le Baromètre annuel des discriminations en Seine-Saint-Denis.
  • Le 17 septembre, le Département a invité les professionnel·les à réfléchir à ce phénomène et agir pour l'accès aux droits des 18-25 ans.
  • L'association Remem'beur, soutenue par la collectivité, était présente afin de faire connaître ses actions visant à déconstruire les stéréotypes par l'expression artistique.

77% des jeunes de Seine-Saint-Denis déclarent avoir subi des discriminations en 2023, selon l’Observatoire départemental des discriminations et de l’égalité. Ces inégalités « sournoises » dans l’accès aux loisirs ou au travail engendrent les rancoeurs des adolescent·es et jeunes adultes des quartiers populaires et le phénomène d’entre-soi, portant atteinte au vivre-ensemble. Une situation qu’Ali Ghessoum, directeur de l’association Remem’beur a décidé de combattre à sa façon.

Vous êtes graphiste, réalisateur, producteur… Vous avez fondé l’association d’éducation populaire Remem’Beur en 2011. Pour quelles raisons ? 

Après mes études en sociologie, j’ai travaillé pendant trente ans dans la publicité et j’ai vu que l’image peut être un vecteur extraordinaire pour faire passer des messages. A un moment, j’ai voulu employer cette expertise pour parler des sujets qui me touchent. Avec d’autres militants associatifs, nous trouvions qu’il y a des carences dans la manière dont l’histoire de l’immigration est intégrée dans le récit national, la mémoire collective.
On s’est dit : plutôt que de se plaindre, mieux vaut produire nos propres récits et utiliser l’expression artistique pour déconstruire les préjugés liés par exemple aux origines, à la couleur de peau… dont souffrent en premier lieu les jeunes des quartiers populaires. Pour ce faire, nous avons choisi d’employer les outils de l’éducation populaire pour vulgariser des messages de lutte contre les discriminations en les rendant accessibles au plus grand nombre.
Avec une dizaine de médiateurs, nous avons réalisé entre autres une exposition itinérante en hommage aux soldats coloniaux partis au front pendant la Seconde Guerre Mondiale avec des travaux d’écriture menés par l’historienne Marie Cheminot, des lectures du carnet de route de Bouzid Kara qui a décrit de l’intérieur la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, des ateliers d’écriture avec des migrants à Montreuil…

Vous intervenez beaucoup dans les quartiers prioritaires. Quels médiums employez-vous pour libérer la parole des jeunes – et des moins jeunes – que vous rencontrez ? 

Nous favorisons les médiations participatives, l’emploi de mallettes pédagogiques avec des ressources en ligne, les web-documentaires… Par exemple, pour notre action sur les soldats coloniaux, nous avons mobilisé un ensemble d’intervenants comme l’écrivain Mabrouck Rachedi ayant participé à des sessions d’écriture dans des établissements scolaires, l’humoriste Reda Seddiki qui a animé des ateliers de stand-up avec des collégiens et des lycéens… Plus tard, on a réussi à mobiliser le chanteur Magyd Cherfi du groupe Zebda qui a fait une lecture publique sur la scène du « Cabaret sauvage » pour célébrer les 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983…
Dans le cadre du dispositif « Jeunes contre le racisme », on a demandé aux collégiens de Villetaneuse d’exprimer leurs propres expériences de discriminations, en imaginant des slogans ou des punchlines servant de supports à la réalisation d’affiches. Les élèves nous ont confié avoir été très fiers d’avoir participé à une exposition itinérante qui a su mettre des mots sur leurs maux.
Sur le terrain, nous constatons qu’à partir de l’adolescence, les jeunes de banlieue intègrent malheureusement comme banales certaines attitudes des institutions comme des contrôles d’identité à répétition ou des difficultés accrues pour trouver un logement ou un travail. Ils développent de la résilience à cet égard et dans l’entre-soi des quartiers, n’ont pas forcément le réflexe de porter plainte pour discriminations. Lors de nos interventions, nous essayons justement de leur donner des notions juridiques pour qu’ils connaissent davantage leurs droits au quotidien.

Les préjugés qui entraînent des discriminations ne sont pas toujours faciles à détecter donc à contrer. Comment faites-vous concrètement pour sensibiliser les jeunes ? 

Nous essayons de libérer au maximum la parole et faciliter les confidences des écoliers parfois très jeunes. Certains ont confessé avoir été blessés par tel camarade qui ne souhaitait pas jouer « avec un noir » ou lui prêter sa console de jeux, à la stupéfaction de la maîtresse. Notre travail consiste justement à identifier et décrypter ces choses, faire comprendre aux jeunes la blessure qu’elles engendrent sur la confiance et la santé mentale de leurs copains, vulgariser les notions d’harcèlement…
Actuellement, on développe un jeu de plateau « Les Diskris Minis » qui est à l’état de prototype, pour éduquer à l’empathie dès le plus jeune âge et sensibiliser aux enjeux de diversité. Nous devrions avoir les premiers modèles fabriqués en novembre et nous allons bientôt former nos premiers ambassadeurs qui vont initier les enfants aux dangers des « Diskris Minis » dans les écoles en Seine-Saint-Denis et en Île-de-France.

Vous employez souvent l’humour et la culture populaire pour faire passer des messages anti-racistes. Pourquoi ? 

Parce que ce sont des médiums universels ! Nous avons sillonné le territoire avec l’exposition  « Eclats de rire » sur la place de la diversité dans l’humour en France. On est passé de Fernand Reynaud à Jamel Debbouze… qui par leurs sketchs ont été très efficaces contre le racisme. On a également répertorié dans nos ressources numériques des centaines d’oeuvres : romans, films, pièces de théâtre, albums, spectacles de danse… issues des quartiers qui ont inondé l’offre culturelle française. Un de nos projets a consisté justement à coacher des étudiants d’Aubervilliers qui ont reconstitué à l’Assemblée nationale le procès imaginaire de Mersault, le héros de « l’Etranger » d’Albert Camus qui a assassiné de sang-froid un « Arabe » dans l’Algérie coloniale. Il y a deux ans, les lycéens de Noisy-le-Sec ont aussi imaginé et rédigé avec nous un simulacre de jugement du savant italien Galilée condamné par l’Inquisition pour son attachement au raisonnement scientifique, une injustice flagrante qui me fait penser à la politique de Trump en ce moment…
Même si on peut avoir l’impression que l’histoire se répète et que nous vivons des situations sociales, politiques qui se dégradent avec des communautés qui vivent sans jamais se rencontrer, nous voulons faire le pari inverse et tout miser sur l’éducation et les rencontres entre les différents univers sociaux. C’est par le dialogue qu’on fait tomber les préjugés qui ne doivent pas être perçus de façon fataliste. Parlons-nous davantage, je suis persuadé que les fractures de la France ne sont pas irréparables, loin de là…

 

Juliette Griffond, directrice de la Délégation Egalité et citoyenneté du Département a présenté une campagne de testing mise en place en 2024 par le Département pour objectiver les discriminations subies par les habitants de la Seine-Saint-Denis.

Des rencontres pour agir contre les discriminations

20 ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois, quelles prises de conscience des discriminations et quelles actions des pouvoirs publics ?  L’Observatoire départemental des discriminations et de l’égalité organise, vendredi 17 octobre, une rencontre autour de ces problématiques avec des acteurs associatifs,  des sociologues, avocat·es, défenseur·es des droits… Ces temps d’échanges et de réflexion visent à analyser, comprendre, dénoncer et proposer des actions visant à lutter contre ces discriminations et agir pour combler la fracture entre une partie de la jeunesse des quartiers populaires et les institutions, en particulier les forces de l’ordre. Au programme : des tables-rondes, bilans, films documentaires, revues de presse…

Rendez-vous vendredi 17 octobre de 9h à 18h, 9 rue Gabrielle-Josserand à Pantin
Réservation sur inscription sur odde@seinesaintdenis.fr en précisant votre nom, prénom et fonction. 

Crédit-photo : Nicolas Moulard

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