Le testing, une arme surpuissante contre les discriminations
- L’Observatoire départemental des discriminations et de l’Égalité (ODDE) a présenté le 6 novembre à Pantin une campagne de testing menée par des chercheurs visant à lutter contre les discriminations.
- Magda Jouini, représentante de parents d'élèves et membre de l'ODDE a supervisé l'instauration de ces testing dans les secteurs de l'éducation, de l'accès au logement ou aux loisirs.
- Rencontre avec une militante déterminée, très attachée à l'égalité républicaine.
Vous avez participé au plan d’urgence 93 puis à la mise en place des testings dans les secteurs du tourisme, de l’enseignement ou de la culture. Pourriez-vous présenter cette campagne ?
Je suis maman de trois enfants, représentante de parents d’élèves et je constate au quotidien de fortes inégalités en terme d’éducation entre les élèves de Seine-Saint-Denis et les autres territoires. Avec le non-remplacement de certains professeurs, nos jeunes perdent jusqu’à 15 mois de cours lors de leur scolarité, les infirmières scolaires sont en sous-effectif, les enfants en situation de handicap ne bénéficient pas de l’accompagnement d’un·e AESH malgré les notifications de la MDPH… Avec des professeurs, des parents, des acteurs de l’éducation, nous nous sommes mobilisés pour demander des moyens supplémentaires mais les améliorations obtenues restent très disparates en fonction des territoires et nettement insuffisantes.
Pour mieux nous faire entendre et impulser des politiques audacieuses, il nous faut des données chiffrées et précises prouvant ces discriminations, d’où l’idée de passer par le testing.
Nous sommes passés par un institut de sondages qui a effectué plusieurs enquêtes de manière très objective, menées selon un protocole rigoureux depuis deux ans. Plusieurs chercheurs ont ainsi suivi les démarches des parents d’un enfant souffrant de TDAH d’origine africaine et ont observé factuellement que son inscription dans l’école maternelle ou primaire de sa ville est plus compliquée que pour un élève lambda. En Seine-Saint-Denis, un ensemble de citoyens souffrent par ailleurs de discriminations multiples, intersectionnelles, cumulant un ensemble d’inégalités comme par exemple le handicap et les origines sociales de la personne par exemple.
D’autres testings ont été menés sur le logement, l’accès aux loisirs… prouvant parfois l’existence de discriminations systémiques. Comment prouver concrètement ce phénomène ?
Nous avons suivi des familles « classiques » et d’autres portant un nom à consonnance étrangère dans leur recherche de logement sur le territoire et les panélistes ont constaté également des différences de traitement. Idem dans l’accès à des hébergements touristiques avec une chance de recevoir une réponse positive diminuant de 20% pour les clients dont le prénom et nom suggèrent une origine d’Afrique de l’Ouest, l’effet discriminant apparaissant d’autant plus fort que l’hébergement est de gamme élevé.
Pour l’accès aux établissements culturels franciliens, une enquête a été menée auprès de 300 structures via un protocole simple. Des professeurs fictifs issus d’un collège prioritaire pour le premier et d’un collège parisien ont envoyé une demande d’information pour une demande de visite guidée avec les élèves. A niveau de demande et de qualité égales, 11% des réponses adressées aux établissement de Seine-Saint-Denis sont de moindre qualité que celles envoyées aux structures parisiennes.
Ces opérations de testing sur le terrain permettent de matérialiser de manière très concrète les discriminations qui, je le rappelle, sont illégales et sévèrement sanctionnées. Elles permettent ainsi de visibiliser des inégalités cachées, très difficiles à prouver pour le commun des mortels et particulièrement sournoises. Difficile par exemple pour des habitants de s’insurger contre les déserts médicaux ou les inégalités territoriales au niveau des services publics aussi sans un solide réseau politique ou associatif…
Quelle suite sera donnée à cette campagne ? En quoi sera-t-elle efficace pour lutter pour une plus grande égalité entre les citoyens ?
Notre objectif n’est pas de faire des procès ou d’aller dans le conflit avec des institutions ou des acteurs qui n’auraient pas respecté la loi et l’équité. Au sein de l’Observatoire des discriminations et des inégalités, nous cherchons plutôt à faire oeuvre de pédagogie en faisant remonter nos rapports auprès de l’Education nationale, les établissements culturels, le Département après avoir débrieffé entre nous… Nous espérons aboutir à une inflexion des pratiques et de manière plus large, être force de proposition pour la réalisation de politiques publiques permettant un accès plus démocratique à l’éducation, au logement, à la culture…
Des dispositifs comme les classes CHAM (classes à horaires aménagés musique), les voyages scolaires Odyssées jeunes, les Microfolies… existent sur le territoire et contribuent à l’épanouissement des jeunes issus ou non des quartiers populaires mais ils souffrent parfois d’un manque de communication auprès du grand public. Les jeux olympiques et paralympiques ont aussi permis de booster les pratiques sportives et les projets d’éducation populaire.
En fin de compte, l’objectif de cette campagne est aussi psychologique et consiste à convaincre les habitants du territoire qu’ils sont aussi légitimes que les autres dans leur recherche d’émancipation et d’accès aux droits.
Une journée contre les discriminations territoriales
Les résultats de l’opération de testing de l’Observatoire Départemental des Discriminations et de l’Égalité (OBDE) ont été présentés de manière approfondie le 6 novembre à la Dynamo de Banlieues bleues de Pantin, en présence du Président du Département Stéphane Troussel, de la Défenseuse des droits Claire Hédon, des sociologues Thomas Kirszbaum, Leila Frouillon, d’un économiste, d’un démographe…
L’étude de ces testings révèle ainsi des inégalités territoriales de toute sorte (culture, loisirs…)… objectivées par des enquêtes scientifiques approfondies.
Retrouvez l’analyse des réponses et le compte-rendu factuel de l’opération de testing de l’OBDE.
Crédit-photo : Bruno Lévy