Diaryatou Bah, la force du courage contre l’excision

Diaryatou Bah, la force du courage contre l’excision
Droits des femmes
  • Infatigable militante pour les droits des femmes, la romainvilloise Diaryatou Bah, originaire de Guinée, a converti ses traumatismes en puissance militante.
  • Excisée à 8 ans, exilée à 14 en Hollande auprès d'un mari violent et polygame, la trentenaire a réussi, avec un courage inouï, à quitter le domicile conjugal pour devenir une femme libre.
  • Rencontre avec cette éducatrice en centre social, décorée Chevalier de l'ordre national du mérite en 2022.

Vous êtes née en 1985 en Guinée dans une famille nombreuse et élevée jusqu’à dix ans par une grand-mère que vous adorez. Pourquoi cette femme a-t-elle accepté que vous soyez excisée si jeune ?   

Je comprends que ce soit assez difficile à entendre en Occident. Dans le village où j’ai grandi, toutes les filles ont été excisées, cela fait partie de traditions séculaires. Les gens perçoivent celles qui ne l’ont pas été comme impures, impossibles à marier car elles risquent de ne pas être vierges avant de connaître leur époux. 97% des Guinéennes sont excisées même celles qui ne sont pas musulmanes. En plus, il existe un énorme tabou sur cette question qui est malheureusement tue par les femmes elles-mêmes.

Dans mon cas, ma grand-mère m’a demandé de suivre une femme forgeronne dans la savane, vêtue d’un simple pagne. Personne ne m’a dit ce qui allait se passer, on m’a tenu les bras, les jambes et j’ai été excisée, avec un cri de douleur que je n’ai jamais oublié. J’ai eu alors des souffrances atroces et des saignements m’empêchant de bouger et de marcher pendant trois semaines.

Vous êtes mariée à 13 ans avec un homme de 30 ans votre aîné que vous rejoignez  à Rotterdam, qui se révèle violent et manipulateur. Comment ce piège s’est-il refermé sur vous ? 

Diaryatou Bah enfant

Diaryatou et son demi-frère à Conakry

Mon père, chef de quartier, était un homme bon et respecté qui avait quatre femmes et une trentaine d’enfants. Il a connu des difficultés financières quand il a refusé de donner son accord au gouvernement pour la construction d’une route nécessitant beaucoup d’expropriations. Mon futur mari a réussi à convaincre ma mère qu’il allait prendre soin de moi et aider mon frère à venir étudier en Hollande, en les illusionnant sur son poste de fonctionnaire pour l’Union européenne. Quelques mois plus tard, j’ai pu obtenir un visa touristique de trois mois au consulat et j’ai pris l’avion avec mon oncle vers les Pays-Bas, malgré les pressentiments de mon père qui regrettait cet arrangement.

Dès votre arrivée à l’aéroport de Rotterdam, vous déchantez rapidement… 

J’ai à peine reconnu cet homme que j’avais croisé quelques jours lors de sa venue dans ma famille. En fait, il était marabout, sans-papier, déjà marié à trois femmes en Afrique et au Cap-Vert. J’ai connu deux ans et demi de véritable enfer : il m’enfermait plusieurs jours dans l’appartement quand il allait voir ses épouses, me battait comme plâtre, me violait, en me traitant comme une bonne. J’ai perdu un premier enfant à quatre mois de grossesse puis j’ai accouché d’un nourrisson mort-né à cause de ses violences. Je n’avais même pas seize ans. En 2000, nous avons déménagé aux Lilas dans un appartement insalubre. J’ai dû subir une interruption médicale de grossesse car le troisième bébé que je portais à nouveau était malformé à cause des coups que je recevais. Heureusement, j’avais une voisine qui n’était pas dupe de la situation et qui m’a aidée comme elle a pu.

Comment avez-vous réussi à vous libérer de son emprise ?

Je savais que ce que je subissais n’était pas normal mais je parlais mal le français, je ne savais même pas qu’internet ou les ordinateurs existaient, plus la vulnérabilité due à ma situation administrative. Un jour, alors qu’il était en Guinée pour un mois, j’ai entendu, à la télévision, un témoignage d’une femme marocaine victime de violences conjugales mais ayant réussi à changer de vie. Cela a été le déclic et là, je n’ai plus cessé de me battre, en entrant dans un long parcours du combattant. Sur le conseil de ma voisine, j’ai rencontré l’assistante sociale de la Ville des Lilas en inventant un prétexte pour que mon père m’envoie un acte de naissance prouvant mon âge. Le 20 janvier 2004, j’ai quitté mon mari, en passant six mois dans la rue et en hébergement d’urgence, sans doute le prix de ma liberté.

L’Aide sociale à l’enfance de Seine-Saint-Denis m’a permis de signer un Contrat jeune majeur ouvrant droit à un accueil dans un foyer de jeunes travailleurs à Ménilmontant. Par ailleurs, le Point d’Accueil et d’Ecoute Jeune des Lilas et l’association dionysienne Voix d’elles rebelles m’ont aidée à bénéficier de cours de français et d’un soutien psychologique. Cet accompagnement m’a donné un petit délai pour m’instruire, apprendre l’informatique, réfléchir à une orientation que l’obtention d’une carte de séjour a facilitée.

Vous êtes éducatrice pour l’association Aurore qui agit pour l’insertion des personnes précaires. Pourquoi avoir choisi de travailler dans le social ?

Cette phase de reconstruction m’a fait prendre conscience que l’excision, les violences faites aux femmes et les situations critiques ne sont pas une fatalité et que l’engagement militant peut changer la vie de beaucoup de gens. Je me suis formée à l’université Paris VIII puis j’ai fondé l’association Espoirs et combats de femmes, en agissant aussi avec les collectifs Excision, parlons-en !,  Ni putes, ni soumises… Mon action pour la laïcité et les droits des femmes sont aussi une façon de rendre hommage à la France qui a été pour moi une terre d’accueil et d’émancipation. Par ailleurs, le combat est plus que jamais nécessaire avec une augmentation des excisions depuis quelques années en Afrique mais aussi en Indonésie ou en Malaisie.

Pour être efficace, il faut sensibiliser tout azimut.  J’ai écrit un livre* sur mon expérience, mené des campagnes pour alerter sur ce sujet en France, en Guinée et mon association informe les filles qui en ont été victimes des possibilités de chirurgie réparatrice. Nous nous engageons contre la médicalisation de l’excision dans les hôpitaux africains et je vais bientôt présenter un projet auprès de l’Union européenne pour que cette pratique barbare soit considérée comme un crime contre l’humanité. Les hommes doivent comprendre que les droits des femmes, loin de les restreindre, sont révélateurs des libertés des sociétés. Ils doivent se tenir avec nous pour faire changer les mentalités !

*Le livre autobiographique de Diaryatou Bah « On m’a volé mon enfance » a été publié en 2006. 

 

Diaryatou Bah mobilisée contre les violences conjugales

Diaryatou Bah, militante associative, participe à de nombreux « happening » pour l’égalité hommes/femmes à Paris et en province.

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