Quand une cheffe étoilée cuisine pour 500 étudiant·es
- Virginie Giboire, cheffe étoilée de Rennes, a cuisiné lundi 2 décembre pour 500 étudiant·es sur le campus de Paris 8 à Saint-Denis.
- Une initiative lancée par Label Gamelle, une coopérative d'insertion qui lutte depuis 2020 contre la précarité alimentaire.
- Avec un·e étudiant·e sur trois qui déclare sauter parfois un repas par manque d’argent, la population étudiante est elle aussi directement impactée par le coût de la vie.
Suprême de volaille à la bisque de crustacés suivi d’un riz au lait nappé de caramel. Tel était le menu du banquet solidaire concocté ce lundi 2 décembre par la cheffe étoilée Virginie Giboire pour 500 étudiants de Paris-8.
Sur les jeunes visages, beaucoup de sourires, de la reconnaissance aussi. Asmaa, la trentaine, se régale : « C’est très bon. Les pommes de terre en mousse, je n’avais jamais goûté ça », souligne cette étudiante en L3 de civilisation arabe, née au Caire.
Sur les tables, des cartes postales aux intitulés péchus : « Pour des repas pleins d’humanité » ou « Ce n’est pas parce qu’on est pauvres qu’on doit mal manger ».
Ces slogans, ce sont ceux de Label Gamelle, l’organisateur de ce repas solidaire. Cette coopérative d’insertion, basée à Montreuil, qui livre déjà une dizaine de centres d’hébergement d’urgence, a choisi en cette fin d’année de rendre plus visible la cause des étudiant·es, bien impacté·es par les prix galopants de l’alimentation.
« L’année dernière, on avait déjà organisé des repas à Jussieu et les queues étaient monstrueuses, se souvient Christine Merckelbagh, cofondatrice de Label Gamelle. C’est une évidence qu’il y a ici de gros besoins », poursuit celle dont la coopérative livre depuis septembre dernier 800 repas hebdomadaires à l’université Paris-8 sur 3 sites différents : Saint-Denis et les IUT de Montreuil et Tremblay.
« Le moment où la précarité étudiante nous a sauté au visage, c’était lors du Covid, où on s’est fait beaucoup de soucis pour un certain nombre d’étudiants. Mais depuis, ça s’est malheureusement poursuivi, notamment du fait de l’inflation. Il n’est pas rare de voir des étudiants qui à midi gardent une partie de leur repas pour pouvoir manger le soir », confirme Annick Allaigre, la présidente de Paris-8.
« Tous les mois, je suis dans le rouge »
Sans en arriver à ces extrémités, certains d’entre eux disent devoir faire attention. « C’est clair que ça pique, moi tous les mois, je suis dans le rouge. Donc c’est assez souvent pâtes, riz, et Lidl est mon meilleur ami », explique Paco, étudiant en cinéma, venu avec une bonne tablée de copains d’études. Pierre, en face de lui, confirme à sa manière : « Moi, il se trouve que je place la nourriture sur un piédestal donc je vais rogner sur d’autres dépenses, mais c’est clair que tout a un coût.»
Ce qui fait que tous saluent l’initiative de Label Gamelle : « C’est très sympa, je n’avais jamais mangé dans un étoilé avant ça », se réjouit Kelyan, 20 ans. Cerise sur le gâteau, le chef est une cheffe et Eva, elle aussi en études de cinéma, y est sensible : « 33 femmes cheffes étoilées seulement sur 650, c’est quand même pas normal. Je connaissais déjà le ratio parce que je viens de Valence où la cheffe Anne-Sophie Pic est assez à cheval sur la question ».
Aux côtés des étudiants ce jour-là se tiennent aussi des politiques : la députée de Seine-Saint-Denis Fatiha Keloua-Hachi qui portera bientôt à l’Assemblée une proposition de loi visant à rendre accessibles à tous les étudiant·es les repas universitaires à un euro, ou encore le président du Département Stéphane Troussel. « Un tiers des étudiants disent devoir participer à des distributions alimentaires et un sur 2 qu’il a dû réduire ses achats alimentaires, il y a donc là vraiment un sujet », explique l’élu dont l’institution a lancé en juin dernier le chèque alimentaire Vit’alim, appliqué sur 4 publics cibles dont des étudiant·es de Villetaneuse.
Après leur repas, Nathan et Mehdi, deux étudiants en sciences politiques, se lèvent tout exprès pour aller remercier la cheffe, passée par la prestigieuse école Ferrandi. « En parallèle de nos études, on travaille en resto, donc on sait aussi que c’est important pour ceux qui sont aux fourneaux d’entendre quand c’est bon », commentent-ils.
Christophe Lehousse
Photos: ©Nicolas Moulard