Osama Albaba, Palestinien, photographe, pacifiste
- Arrivé en France un mois avant le début de la nouvelle guerre israélo-palestinienne, ce jeune homme de 28 ans né à Gaza a trouvé refuge à Montreuil.
- Photographe de formation, il est employé par Label Gamelle, une coopérative d’insertion dans la restauration, mais recommence à travailler comme photographe.
- Inquiet pour son grand frère sur place, il dit n’avoir malheureusement « plus aucun espoir » pour Gaza.
Sur son téléphone, il fait défiler certaines de ses photos : ici une vieille dame dans un camp à Rafah en 2022, là le visage d’un petit garçon dans le camp d’Al Jabalia, en février 2022. Des photos déjà d’un autre temps puisque, comme Osama le dit lui-même : « de tout ça, il ne reste rien. »
La guerre entre Israël et la Palestine, déclenchée par les attentats terroristes du Hamas le 7 octobre 2023 et qui s’est poursuivie par un déferlement de violences de l’armée israélienne contre la bande de Gaza, a tout emporté.
46 000 morts dont 60 % de femmes et d’enfants
Face aux 46 000 morts civils palestiniens provoqués par la guerre, « dont 60 % de femmes et d’enfants » rappelle Osama, on ne peut que se sentir impuissant. Lui, fils de photographe, frère d’un journaliste qui se trouve à Gaza, a choisi à son tour les images et les mots, comme des témoins un peu dérisoires de l’horreur.
Dans le café de Montreuil où on le rencontre, pas très loin de Label Gamelle, un traiteur d’insertion qui l’emploie depuis 3 mois, le jeune homme dit tout son désespoir, en regardant droit devant lui. « De Gaza, il ne reste rien, c’est une guerre contre les enfants, la culture, l’école, les intellectuels. Israël a choisi de tout supprimer, de transformer le nord de Gaza en une base militaire. »
Le nord de Gaza, c’est précisément là où Osama est né, il y a 28 ans. La maison où il a grandi à Jabalia, une ville particulièrement frappée par l’armée israélienne en octobre 2024, a été réduite en cendres.
Dans ce conflit déchirant, le jeune homme n’en peut plus d’être ballotté entre les violences de Tsahal et celles du Hamas, entre un fanatisme et l’autre. « Dans mon enfance, le drapeau jaune du Fatah était partout à Gaza. Puis, au fil des années, il a été supplanté par le drapeau vert du Hamas. L’occupation a fait de la religion une arme. » écrit-il dans une carte blanche livrée au magazine Politis en novembre. Dans ce conflit déchirant, lui, comme beaucoup de Gazaouis, se situe juste à hauteur d’homme ou plutôt d’enfant.
Au deuil pour les morts s’ajoute l’inquiétude pour les vivants : son grand frère Anas, journaliste pour la radio NPR (média indépendant américain), est encore à Burreij, en plein milieu de la bande de Gaza. « J’arrive à lui parler tous les 2-3 jours, quand les communications ne sont pas coupées ».
Les autres membres de sa famille ont réussi à quitter cet enfer, parfois au prix fort : sa mère Olfat, sa petite sœur Inès, et ses deux petits frères Adam et Amir sont parvenus à sortir de Gaza pour la Belgique, « pour 5 000 euros par personne… »
Premier appareil à 13 ans
Son père Mohammed Abed, photographe depuis 25 ans pour l’AFP, vit actuellement au Caire. Déjà blessé à la jambe en 2018, il a été récompensé plusieurs fois pour des reportages montrant sa terre dévastée. Son dernier prix, attribué en 2024 par des collégiens du Calvados, cet homme l’a dédié aux nombreux journalistes tués dans le conflit ainsi qu’aux enfants qu’il a photographiés.
« C’est lui qui m’a fait aimer la photo », dit sobrement Osama qui a mis le nez derrière son premier objectif à 13 ans. Pour la première fois de l’interview, le jeune homme esquisse un sourire.
La photo, c’est d’ailleurs ce qu’il aimerait poursuivre en France. En plus de ses tâches comme cuisinier et avec les encouragements de ses employeurs à Label Gamelle, Osama enchaîne donc les stages pour renouer avec son premier métier. Pour Politis, il a écrit une carte blanche poignante sur la folie de la guerre ainsi qu’un reportage sur un repas solidaire organisé par le traiteur de Montreuil pour 500 étudiants de l’université Paris-8. « Là-bas, voir autant de banderoles de soutien à la Palestine sur le campus m’a fait chaud au cœur, on se sent moins seul », murmure-t-il.
Pourquoi s’être tourné vers la France au moment de partir ? « Pour sa diversité. Se balader dans la rue ici, c’est comme se promener dans un film. Il y a tellement de nationalités différentes. Chaque personne a son histoire, sa souffrance parfois aussi. » Comme celles des quelque 20 salariés de Label Gamelle, Afghans, Ivoiriennes, Bengalis qui confectionnent chaque jour avec Osama des repas pour les centres d’hébergement d’urgence de la région et se serrent les coudes, s’écoutent les uns les autres. « J’ai été très bien reçu, les gens là-bas sont à la fois gentils et humbles », dit-il en français, lui qui ne le parlait pas il y a encore 16 mois.
Regard franc, poignée de mains, Osama s’apprête à aller retrouver sa chambre en colocation à Montreuil. Avant de s’engouffrer dans le métro, il parle de ce reportage à venir, pour Politis, sur un cirque palestinien invité ces jours-ci à Bagneux : sept artistes en exil qui ont monté le spectacle « Sarab » (« mirage » en arabe). En évoquant ce reportage, les yeux d’Osama s’allument. Pouvoir parler d’un avenir, c’est déjà être vivant.
Christophe Lehousse
Photo de une: ©Nicolas Moulard/Photos dans le corps du texte: ©Osama Albaba