L’Observatoire des violences faites aux femmes tisse sa toile à travers le monde
- Mexique, Gambie, Palestine : pour ses 20e Rencontres Femmes du Monde, l’Observatoire départemental avait invité une quarantaine de femmes engagées de partout dans le monde.
- L’occasion de constater que si les droits des femmes sont bafoués dans de nombreux endroits du globe, un réseau de solidarité se dessine aussi pour dire non et inventer des solutions.
- Ces femmes témoignent pour SSD.fr de la situation et des avancées dans leur pays.
Bénin, Mali, Côte d’Ivoire, Sénégal, Afrique du Sud, Brésil, Argentine, Mexique, Palestine, Comores : ce mardi, elles étaient une quarantaine de femmes à avoir été invitées à l’occasion des 20e Rencontres Femmes du Monde.
Organisée par l’Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, la manifestation est l’occasion de condamner un mal malheureusement mondial – « une femme est tuée toutes les 11 minutes sur la planète » rappelait Ernestine Ronai sa fondatrice – tout en célébrant les énergies qui partout se lèvent pour combattre cette situation.
Femmes de tous pays, unissez-vous
Sur la scène de la MC93 de Bobigny, pour ce beau 20e anniversaire, on a ainsi entendu de l’espagnol, de l’anglais, de l’arabe : Mayssoun Dawoud notamment, à la tête de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Jénine en Palestine, a pu sentir une formidable vague de solidarité transmise par les quelque 800 personnes d’une salle debout comme une seule femme.
« Nos pensées se tournent naturellement vers la situation effroyable que vivent actuellement les populations civiles à Gaza et en Cisjordanie, a ainsi souligné Stéphane Troussel, le président du Département dans son intervention. Soulignant notamment que « près de 70 % des victimes de la guerre à Gaza sont des femmes et des enfants. »
Depuis 2021, l’observatoire séquanodionysien, qui s’est par le passé inspiré de ce qui se faisait par exemple en Espagne, a décidé d’essaimer à son tour de par le monde. En partenariat avec l’ONG Cités et Gouvernements locaux, le Département a ainsi lancé un réseau international « Pour des territoires protecteurs des femmes victimes de violences », et formé plusieurs actrices résolues à lutter contre les violences faites aux femmes. Nous avons choisi de donner la parole à plusieurs d’entre elles.
– Mayssoun Dawoud, responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes à Jénine, Cisjordanie
« Actuellement, la guerre rend tout extrêmement dur à vivre. Les prix sont exorbitants, certains enfants n’ont pas pu manger des fruits pendant un an… Les check-points de l’armée israélienne font de notre vie un enfer. Ceux qui payent le plus lourd tribut à la guerre sont les femmes, les enfants, les personnes âgées et les pauvres. Dans ce contexte, avoir réussi à partir de 2021 à réhabiliter un centre d’hébergement d’urgence pour les femmes avec l’aide de l’Observatoire de Seine-Saint-Denis a été une aide extrêmement précieuse. Avant la guerre, il servait déjà bien : des femmes victimes de violences ont pu y être mises à l’abri et avoir un lieu pour vendre des produits de leur fabrication : des châles, des savons… Avec la guerre, c’est devenu un outil plus qu’important : ce centre permet à certaines femmes d’échapper à l’isolement ou à la violence pendant quelques heures. La bonne nouvelle est aussi que nous disposons maintenant d’un cabinet juridique qui peut donner des conseils à des femmes victimes de violences et que 15 jeunes femmes ont été récemment diplômées en droit. Professionnels de l’éducation ou de la santé, je vous demande vraiment d’aider la Palestine comme vous le pouvez… »
– Rohey Malick Lowe, maire de Banjul, capitale de la Gambie
« C’est très encourageant je trouve que les populations civiles donnent le pouvoir aussi à des femmes qui connaissent toutes les difficultés qu’on peut avoir encore dans certains pays en étant une femme. A Banjul, nous sommes très fières d’avoir accueilli en janvier dernier un séminaire du réseau international de l’Observatoire des violences faites aux femmes qui a réuni 12 collectivités africaines. A Banjul, l’un des enjeux-clés est l’accès à l’eau. Car les femmes qui y ont accès peuvent cultiver ce qu’elles veulent dans leur jardin et obtenir ainsi les ressources pour avoir la liberté de dire non si elles le souhaitent. Voilà pourquoi j’ai déjà fait creuser 20 puits. Un autre axe auquel je m’attache, c’est de faire un budget qui dans tous les aspects prenne en compte l’égalité femmes-hommes. Unies, nous y arriverons. »
– Lidia Rodriguez, directrice du programme Siempre Vivas à Iztapalapa, district de Mexico
« Dans notre quartier de Mexico, à Iztapalapa, nous avons choisi d’aller vers les populations pour tenter d’éradiquer les violences faites aux femmes. Nous faisons ainsi du porte-à-porte et prenons rendez-vous avec les familles. Au cours de ces rendez-vous, nous demandons leur ressenti à chacun des membres de la famille, leur parlons éducation, santé et aussi des différentes ressources qu’elles ont en cas de violences. Si des femmes reviennent pour nous signaler des violences, nous pouvons alors les mettre à l’abri dans les 16 maisons « Siempre vivas » (Toujours vivantes) que nous avons. Une autre de nos actions s’appelle « La route sans violence ». Elle est basée sur le fait que beaucoup de violences se déroulent aussi dans les transports en commun. Il s’agit donc de sensibiliser les chauffeurs pour qu’ils prennent la défense de la victime et pas de l’agresseur. Désormais, l’enjeu est d’appliquer ces démarches à l’échelle de Mexico toute entière. »
– Yadira Soledad Cortès Castillo, présidente du réseau Mesa de Mujeres à Ciudad Juarez
« Entre 1993 et 2024, on parle de plus de 2 600 femmes assassinées à Ciudad Juarez. Et c’est sans compter les nombreuses disparues (liées aux réseaux de narco-trafiquants). Je suis moi-même la fille d’une femme qu’on a tenté d’assassiner et ma sœur Ivonne a été tuée à l’âge de 4 ans. Face à cette situation, notre association est à la fois dans une démarche d’hommage aux victimes, pour ne pas que leurs noms soient oubliés et de développement d’outils. En 30 ans, nous avons ainsi aidé à développer des centres de justice pour les femmes. Mais les moyens manquent : à Ciudad Juarez, le centre de justice est ainsi à 2h de route du bureau du procureur en charge de la lutte contre les violences faites aux femmes… Nous avons de l’espoir avec l’élection, le 1er octobre 2024, de la nouvelle présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum. J’aimerais tant pouvoir dire : en 2025, à Ciudad Juarez, il n’y eu aucune femme assassinée… »
Christophe Lehousse
Photos: Fatima Jellaoui
Du chemin qui reste à faire, mais tout de même des résultats
« En France, 122 féminicides ont déjà eu lieu en 2024. Si l’on ajoute à ça les tentatives de féminicides et celles qui se sont suicidées du fait de violences, on arrive à 3 femmes tuées par jour ou qu’on a voulu tuer… Mais la bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas une fatalité, qu’on peut faire quelque chose contre cet état de domination et qu’on a d’ailleurs déjà largement commencé. »
Ernestine Ronai, fondatrice en 2002 de l’Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, n’est pas du genre à donner dans l’auto-satisfecit. Mais à travers une étude, elle a tout de même souhaité revenir sur le bilan positif du téléphone grave danger, pour ses 15 ans de mise en service.
Cette mesure pionnière en Seine-Saint-Denis – étendue ensuite à l’ensemble de la France en 2014 – a largement porté ses fruits. Son principe : donner aux femmes déjà victimes une première fois de violences conjugales un téléphone portable par lequel elles peuvent alerter si leur agresseur s’approche à nouveau d’elles. Actuellement 64 téléphones grave danger, attribués par la justice, sont en circulation en Seine-Saint-Denis et 46 sont réservés.
L’étude menée sur 197 déclenchements du téléphone grave danger de 2016 à 2023 établit ainsi que dans la plupart des cas, l’ex-conjoint ayant enfreint son interdiction de rapprochement de la victime a été arrêté avant qu’il ne puisse entrer en contact avec la victime. Pour toutes les femmes interrogées, l’outil est synonyme de sentiment de sécurité et de possibilité d’un avenir.
En 2021, un cas – tragique- est toutefois à déplorer : celui de Bouchra. Cette habitante d’Epinay-sur-Seine a été tuée par son ex-mari dès que celui-ci est sorti de prison. Détentrice d’un téléphone grave danger, elle n’a toutefois pu l’utiliser parce qu’elle n’avait pas été avertie de la sortie de prison de son ex-mari. Ce qui a amené à modifier la loi : désormais, toute sortie d’un homme condamné pour des faits de violences conjugales doit être signalée à son ex-partenaire et celle-ci évidemment accompagnée de mesures de protection.
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CL